Comme à chaque 8 Mars de chaque année, la femme fête sa Journée internationale dans le monde entier. Instituée par les Nations-Unies il y a de cela quarante ans, cette journée est différemment célébrée, d'un pays à un autre, d'une région à une autre et, surtout, d'une culture à une autre. Le sujet central de cette journée, la femme et ses droits en l'occurrence, est en effet intimement lié à la nature de la société et de ses traditions. Davantage encore dans des sociétés conservatrices et où le poids de la religion est décisif pour toutes les questions concernant la femme, ses droits, sa place au sein de la communauté en général. Qu'en est-il en Algérie, en 2017, après les différentes réformes du code la famille, de la Constitution, et de tout l'arsenal juridique lié aux droits des femmes, comme le code électoral ? Mis à part le fameux quota réservé à la femme sur les listes et les différentes assemblées élues, qu'en est-il de tout le reste, à savoir le droit à l'emploi, à l'égalité et à la parité ? Portrait d'une victime d'un drame familial «Avant, lorsque j'étais femme» On la trouve chaque matin assise tout au bout du chemin les Glycines, impassible face aux regards des automobilistes, le dos éternellement calé contre une roue de voiture garée le long de ces somptueuses ambassades surveillées par des policiers qui ne voient plus en elle qu'une partie du décor. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Son nom ? Vous ne l'aurez jamais. De la pudeur mêlée à une sorte de lassitude l'empêche tout d'abord de parler. Parler ? «Avec qui ?» et surtout «pour dire quoi ?» Elle dit non de la tête lorsqu'on lui propose de l'emmener dans une association qui pourrait l'accueillir et lui éviter peut-être l'enfer de la rue. D'une voix fluette, elle consent à lancer un «j'y étais auparavant, mais je me suis enfuie, cela ne m'a pas plu». Il faut un long moment avant de la persuader à parler, dire, raconter... Victime de la société ? De la vie ? Elle cligne des yeux pour dire non une nouvelle fois, puis se résout à parler. «Ça c'était avant, lorsque j'étais femme.» La réponse choquante ne lui procure aucun malaise. Enfouie sous une longue robe de toile noire qu'elle garde quel que soit le temps, elle rentre des mèches de cheveux sous un foulard qui ne garde de sa couleur rose que des traces d'autrefois. Autrefois commence dix ans auparavant lorsqu'elle accepte de se marier à un homme que son vieux père malade lui présente. «C'était pour me protéger, me mettre à l'abri d'une vie difficile avec mes deux frères drogués. L'un d'eux a fait deux fois de la prison, il me battait régulièrement et me poussait à sortir mendier et parfois même voler pour lui amener de l'argent. Nous n'avions pas vraiment de quoi manger. Chaque soir, j'allais prendre des choses dans une supérette, mais un jour, le propriétaire a placé des caméras de surveillance. J'avais été filmée, le lendemain, il m'a attrapé la main dans le sac et a menacé d'appeler la police. Des gens du quartier ont informé mon père, ils ont eu pitié de moi et lui ont conseillé de me marier avant que le pire n'arrive.» Le pire est malgré tout arrivé. L'homme auquel son père la marie la plonge dans un enfer d'où elle échappe miraculeusement. «Il me frappait, frappait jusqu'à ne plus en pouvoir», raconte la malheureuse en agitant frénétiquement la main comme pour reproduire inconsciemment des gestes qui se sont répétés de longues années durant. «Il me frappait avec tout ce qu'il trouvait, une fois il a même pris un marteau pour me fracasser le crâne, mais sa mère qui l'encourageait à me battre a pris peur et l'a persuadé de freiner son geste.» Seulement après, c'est cette même mère qui prend le relais et se met à battre la frêle victime. Son tort. «Rien, il disait que l'homme se doit de battre sa femme, que c'est ainsi depuis la nuit des temps, et que l'homme qui ne bat pas sa femme n'en est pas un.» Depuis le début, elle se tient assise sur la route mouillée, refusant de se lever lorsqu'elle est invitée à saisir un morceau de pizza que lui tend un passant. Son regard continue à fuir tous ceux qui l'entourent fortement imprégnée d'un sentiment qu'elle traduit par «je n'existe pas, c'est toujours ce que l'on m'a dit». «Chez mon père, j'existais uniquement pour amener de l'argent à mes frères. Une fois mariée, on ne me regardait qu'au moment de me battre ou de m'insulter. L'homme avec lequel j'étais me traitait comme un animal, il disait que la femme et la vache c'est la même chose. Je n'avais pas le droit de le regarder, il disait que j'avais des yeux de... mer... Lorsqu'il amenait les courses, il les jetait à terre pour me contraindre à les ramasser, il fallait que je sois rapide sinon il se mettait à m'insulter, sa mère venait et me battait alors. Un jour, il m'a demandé de lui remplir un verre d'eau. A peine avais-je ouvert le robinet qu'il s'est mis à m'insulter car cela ne se faisait pas assez rapidement à ses yeux, comme toujours, il disait que je n'étais pas une femme comme les autres qu'il aurait fallu me marier à un âne, pas un homme. Pour toutes ces raisons, je n'avais pas le droit de manger comme eux. J'avais uniquement droit à une boule de semoule cuite dans de la sauce, chaque soir c'était la même chose. Lorsque des voisins lui reprochaient, à lui et sa mère, le traitement qu'ils me faisaient subir, ils disaient que j'étais folle. Ils le disaient à tout le monde, et cela me faisait mal, très mal... Cet homme m'a blessée, humiliée, battue, malmenée, accusée de tout.» Un beau jour, le mari disparaît et ne donne plus jamais de nouvelles. La belle-mère décide de chasser sa brue. Le vieux père malade est décédé depuis fort longtemps. Elle se retrouve à errer dans les rues d'Alger sans jamais pleurer ni supplier. «Je reçois les coups de la vie comme ils viennent, comme ces truands qui s'en prennent à moi de temps en temps, ces voleurs qui me prennent les sous que les passants me donnent ou ces enfants qui se moquent de moi sans comprendre, sans savoir...» Transférée à plusieurs reprises dans des centres conçus pour ce genre de personne, elle avoue avoir eu du mal à s'adapter. «Je ne supporte plus les gens, j'en ai peur, je ferme les yeux à chaque fois qu'une personne vient me parler. Des associations ont voulu m'emmener chez un médecin psychologue, mais elles n'en avaient pas les moyens.» Les textes pour la promotion des droits de la femme, les efforts pour l'amélioration de la condition féminine, elle n'en sait rien, ne veut rien savoir, «l'homme est mon ennemi, pour cette raison je ne veux plus être femme». La conversation prend fin, elle redresse le dos en le calant mieux contre cette roue de voiture à laquelle elle est adossée et replonge son regard dans le vide... Comme elle, des dizaines d'Algériennes victimes de drames familiaux errent dans les rues du pays. D'autres continuent à subir un calvaire permanent entre des murs censés les protéger des aléas de la vie. A. C.
Crise économique Une «véritable opportunité» pour la femme d'entreprendre Malgré une batterie de lois tendant à promouvoir la place de la femme dans le domaine de l'entrepreneuriat, il n'en reste pas moins que l'Algérie enregistre en ce domaine un retard en comparaison avec les pratiques mondiales. Aujourd‘hui, avec la crise économique que traverse le pays, une fenêtre s'ouvre pourtant aux femmes chefs d'entreprises. Une «opportunité» à saisir. Younès Djama - Alger (Le Soir) - Ce constat a été réitéré par Leïla Akli, chef d'entreprise et présidente de la section femmes du Forum des chefs d'entreprises (FCE), à l'occasion de l'ouverture, hier à la Safex, de la 13e édition du Salon international de la femme «EVE 2017» (du 7 au 12 mars). «Aujourd'hui, malheureusement, l'entrepreneuriat féminin est en retard en Algérie. Nous ne sommes pas très nombreuses, nous les femmes chefs d'entreprises, en tout cas dans le secteur formel, puisque nous ne sommes que 6% soit en dessous de la moyenne mondiale qui est de 14%», souligne Leïla Akli qui estime qu'il «y a beaucoup de choses à faire» dans ce domaine, non sans insister que la crise économique que vit le pays reste une «véritable opportunité» pour la femme algérienne d'entreprendre. «Avec l'industrialisation de l'Algérie, il y a énormément de possibilités notamment dans le domaine de la sous-traitance qui va être un vivier pour les entreprises algériennes. Si on veut sortir de la dépendance des hydrocarbures, il va falloir créer énormément d'entreprises et de richesses, nous sommes, nous les femmes, une force vive avec laquelle il va falloir compter», affirme Mme Akli. Selon elle, en Algérie, la condition de la femme reste tributaire de l'application des textes pourtant existants. «Les textes existent, c'est leur application qui pose aujourd'hui problème», soutient la chef d'entreprise qui évoque aussi «un problème de mentalité» pour expliquer le recul des droits de la femme mais aussi «un problème culturel». Dans la société, il demeure «mal vu» que la femme sorte et crée une entreprise. Pour cette jeune entrepreneure, il y a un travail d'explication à entreprendre envers la société. Un fait est, selon elle, à souligner, il s'agit d'une réalité selon laquelle «il y a beaucoup de femmes qui réussissent et qui exportent. J'en connais énormément qui exportent vers des pays africains et c'est tant mieux pour elles». Pour encourager davantage l'entrepreneuriat féminin, le Forum des chefs d'entreprises (FCE) organise aujourd'hui à Alger une conférence sur l'entrepreneuriat et le leadership féminins, coïncidant avec la fête du 8 Mars. Il s'agit d'un débat autour «de ce qui a été fait en termes de politiques et ce qui pourrait être fait (société civile et administration) afin d'améliorer la condition de la femme dans le monde du travail», nous a indiqué Leïla Akli. Y. D.
AOUICHA BEKHTI AU SOIR D'ALGERIE : «Le 8 mars folklorisé et dévié de son symbole» Interview réalisée par Khedidja Baba-Ahmed Pourquoi avons-nous choisi Aouicha Bekhti pour évoquer avec elle la commémoration de la Journée internationale des droits des femmes ? Son choix pour nous s'imposait dans la mesure où, depuis quatre à cinq années déjà, elle a pris son bâton de pèlerin, pour saisir toutes les occasions et investir tous les médias pour évoquer la cause des femmes. Ce choix s'imposait aussi, parce que c'est la première des femmes à venir apporter, avec toute la verve qui la caractérise, la contradiction dans des débats qui réunissaient les intégristes les plus acerbes, et chaque fois, elle est sortie grandie de ces débats, et le combat des femmes éclairé par ses argumentations. Cette juriste, membre du Rassemblement algérien des femmes démocrates et co-fondatrice, du Réseau international féministe et laïque nous livre, dans cet entretien, son point de vue sur tous les aspects liés à son combat. Et lorsque nous lui faisons remarquer que son combat semble individuel, loin d'un mouvement collégial, elle ne le nie pas mais dit travailler au rassemblement, même si ses tentatives ont jusque-là échoué. Une action est, pour Aouicha Bekhti, prioritaire aujourd'hui : s'investir dans la conscientisation des femmes, seule à même de leur faire prendre conscience qu'elles sont des êtres humains et qu'elles peuvent décider seules de ce qu'elles veulent faire de leur vie. Soir d'Algérie : Tous les 8 mars, l'on vous entend ou l'on vous lit vous insurger contre la folklorisation de cette date. Que reprochez-vous à ces commémorations ? Une dénaturation du symbole de cette date ? Une tentative de faire oublier la lutte des femmes ? Aouicha Bekhti : Le 8 Mars a été en effet dévoyé. On l'appelle d'ailleurs la fête des femmes. Or, on a plutôt l'impression aujourd'hui que c'est la fête à la femme. C'est une journée qui devrait être consacrée au bilan du combat des femmes, aux avancées enregistrées dans ses droits. Malheureusement, au niveau officiel, on en a fait une journée fériée ponctuée par des défilés de mode, salon Eve ; salons de cosmétiques, grandes rencontres-fêtes avec des artistes. Or, le 8 Mars est l'occasion de faire le bilan du combat et des conquêtes des femmes. Tout a malheureusement été fait pour se détourner de cet objectif et on va plus loin encore en donnant la visibilité à des femmes qui ne représentent absolument pas le combat des femmes. Une avocate qui ne représente qu'elle-même ; une islamiste qui va de plateau télé en plateau télé pour défendre la polygamie et une soi-disant militante des droits de l'Homme que l'on a jamais vue sur ce terrain et qui vient d'être promue dans une institution censée défendre ces droits. Chaque 8 mars, on réunit ces femmes à la coupole pour danser. Je n'ai rien contre les femmes qui dansent ; au contraire, en tant que Méditerranéennes et Africaines, nous aimons bien danser, nous avons le rythme dans le sang, nous voulons danser et nous exprimer, mais le 8 Mars ne se réduit pas à ça. On est donc effectivement en train de détourner le 8 Mars de son contenu de luttes et on en fait une journée folklorique constituée de concours de beauté, de cadeaux, de fleurs et d'invitations aux restaurants... Moi, j'aimerais que les femmes puissent aller au restaurant et qu'elles y aillent tous les jours si elles le veulent et qu'elles en aient les moyens ; qu'elles puissent aussi aller au cinéma, au théâtre tous les jours de l'année et pas seulement le 8 Mars. En cette journée du 8 Mars, que l'on puisse s'arrêter pour réfléchir, savoir où nous en sommes dans nos combats. Le pouvoir se targue aujourd'hui d'avoir fait avancer la cause des femmes, notamment par l'adoption par l'APN le 5 mars 2016 d'un texte modifiant le code pénal portant sur la criminalisation des violences faites aux femmes. Vous avez dénoncé la disposition de ce texte qui ouvre la possibilité au pardon... Le pouvoir algérien se targue effectivement d'avoir fait des avancées en matière de droits des femmes, mais je considère, quant à moi, que cela est une grande supercherie. Sur la violence faite aux femmes, nous avons eu des amendements au code pénal et même si ces amendements ont le mérite d'exister et pénalisent les violences subies à l'intérieur comme à l'extérieur, on les a assortis d'une clause sur le pardon qui n'est pas une notion juridique mais une notion morale. Or, le code pénal est là pour réprimer et non pour faire la morale. Le pardon n'a donc pas lieu d'être dans le code pénal. En matière pénale, on dit que lorsqu'il y a une agression physique sur une personne, même si cette dernière se désiste de sa plainte, l'action publique représentée par le procureur continue. Alors qu'en l'occurrence dans ce texte si la victime pardonne, les poursuites cessent. C'est contre un principe fondamental du droit pénal et c'est pourquoi je parle de supercherie. Je voudrais parler aussi du harcèlement dans la rue et en milieu professionnel. Il y a, il est vrai, des dispositions dans le code pénal mais elles sont inapplicables dans la mesure où il est demandé à la victime de harcèlement d'apporter la preuve de l'agression qu'elle a subie. Une personne agressée dans la rue en présence de gens qu'elle ne connaît pas, elle ne peut espérer voir ces gens venir témoigner. Nous avons accompagné une femme qui a déposé une plainte contre le harcèlement de son directeur des ressources humaines. Elle a été déboutée par le tribunal alors qu'elle a réellement été harcelée. Seulement l'auteur de son agression est directeur alors qu'elle n'est qu'un agent et que par ailleurs ce directeur a été soutenu par son directeur général tandis qu'elle était dans l'incapacité objective des preuves. Il faut vous dire aussi que déboutée en première instance puis une deuxième fois par la cour, elle risque des sanctions. Et de victime, elle passe à accusée. C'est tout le paradoxe de ce texte et de tous les textes qui sont inapplicables par des dispositions sournoises. Il faut vous dire aussi qu'une fois ce texte, avec sa clause du pardon, adopté par l'Assemblée nationale, les islamistes ont demandé une loi réprimant la tenue vestimentaire des femmes qui serait la cause des agressions. Or, aujourd'hui les agressions sont subies aussi bien par les femmes sans voile que par celles en hidjab. Je tiens à dire que le danger est toujours là, il est dans nos institutions et on n'est pas à l'abri... Vous étiez malgré tout soulagée de voir cette loi votée ? Il y a eu des pressions et cette loi a été longtemps gelée. Du coup, nous nous sommes retrouvées à défendre la promulgation de cette loi pour pouvoir avancer et qu'enfin une loi contre la violence faite aux femmes soit votée. Avec l'assassinat de la femme de M'sila, cette loi a fini par passer mais sans nos réserves. Nous nous demandons parfois si toutes les pressions excercées et son long gel n'étaient pas faits pour réussir à faire adopter cette loi sans nos remarques. Nous avions discuté avec certaines députées qui s'étaient engagées à tenter de faire disparaître du texte la clause du pardon, mais elles se ont heurtées à d'autres femmes députées femmes, elles aussi, qui soutenaient que cette loi menaçait la famille. Lorsque on entend certains discours de femmes sur la condition des femmes, on a l'impression que beaucoup reproduisent leurs propres conditions de soumises et acceptent par exemple la polygamie, les coups... C'est vrai que le droit des femmes, l'égalité, le respect et la dignité de la femme sont des questions posées à toute la société, mais c'est en premier lieu la femme qui doit prendre conscience qu'elle est un être humain, et je n'ai pas l'impression que toutes sont conscientes de ce fait. Je dis que le combat à venir est celui de la conscientisation des femmes. Quant les femmes prendront conscience qu'elles sont des êtres humains et qu'elles n'ont rien à devoir, à ce moment-là, elles se battront. Ces discours rétrogrades de la femme sur la femme ne sont pas, contrairement à ce que l'on peut penser, produits seulement par des analphabètes mais souvent par des femmes lettrées... J'ai eu affaire à une députée d'un parti islamiste, Hamas, qui me soutenait qu'avec la loi sur les violences nous voulions casser les familles. Je lui ai répondu que c'est la violence qui casse la famille, ça n'a jamais été la loi. Or, j'ai retrouvé cette députée quelque temps plus tard et j'ai appris à cette occasion que son mari l'a jetée dans la rue avec ses deux enfants et elle était d'ailleurs en recherche de location d'un appartement. Plus incroyable, son mari, député Hamas, avait besoin, pour l'exigence de quotas de femmes, de la mettre sur la liste et une fois qu'elle a été élue député, il voulait prendre tout son salaire. Ayant refusé, il l'a mise dehors avec ses deux enfants et ils l'ont chassée du parti. C'est dire que même ces femmes-là qui s'attaquent à nous sont des victimes. Sur la polygamie, j'ai dit lors d'un débat télé que la polygamie n'est pas venue avec le Coran. Elle existait avant le Coran, ce dernier n'ayant fait que l'organiser. Lorsque j'ai expliqué cela, certains interlocuteurs islamistes m'ont rétorqué que j'étais en train de faire des fetwas et qu'il ne me revenait pas de la faire. Il en est de même du wali (tuteur) que l'on impose pour la femme pour son mariage. Lorsque je dis que cette obligation n'est pas inscrite dans le Coran, des femmes me répondent oui, mais il le faut et c'est là que j'explique que de par notre culture cette pratique existe et pourquoi l'inscrire dans les textes et en faire une obligation. La loi devrait être au-dessus de tout cela. L'avortement, un autre volet que vous défendez. Quels arguments présentez-vous dans vos débats sur ce problème qui constitue un tabou ? lors des discussions du projet de loi sur la santé, lorsque j'ai souligné l'importance de cette question, on m'a répondu que ce projet de loi contient des dispositions sur l'avortement thérapeutique. Est-ce suffisant ? Bien sûr que non, et ces dispositions ne peuvent régler le problème. L'argument opposé est que nous sommes une société musulmane. Et alors ? Cela n'empêche pas qu'il y a chez nous des enfants qui naissent hors mariage et nous sommes confrontés à un problème d'ordre juridique et sanitaire. Il vaut mieux que la femme aille avorter dans des hôpitaux plutôt que de voir des fœtus et des bébés jetés dans les poubelles. Par ailleurs, dès que j'ai eu à évoquer la nécessité de rendre disponible d'accès les moyens de contraception pour la limitation des naissances, dès que ce terme limitation a été prononcé, on m'a opposé encore une fois «haram» alors que la réalité de la société algérienne aujourd'hui est que la famille n'est composée que de 2 ou 3 enfants, ce qui montre bien que les couples utilisent la contraception. Ce qui me paraît fondamental aujourd'hui est qu'on élargisse la possibilité de l'avortement au viol et à l'inceste. L'exemple récent de la fille de treize ans violée et engrossée par son père est édifiant à cet effet. Que faire dans ce cas ? Continuer à interdire l'avortement ? Je dois vous avouer qu'il s'est même trouvé une militante de mon bord qui m'a demandé de ne pas parler de ce problème. Je pose alors la question : devons-nous continuer à nous taire sur des questions rendues taboues et si nous ne le faisons pas, qui le fera à notre place ? L'obligation de 30% de femmes dans les assemblées élues est l'autre trophée que sort le pouvoir pour convaincre de sa volonté de faire participer la femme à la vie politique nationale. Qu'en pensez-vous et qu'en est-il, selon vous, de l'application de cette mesure ? Je ne suis pas d'accord avec le système des quotas. Je défends l'égalité, donc c'est la parité que je revendique mais à condition que cette parité soit réelle. Je ne veux pas qu'au travers de ce système de quotas l'on mette n'importe qui dans les institutions élues, pourvu que l'on remplisse l'obligation des 30%. Ce qu'il faudrait, c'est que les femmes qui accèdent à ces assemblées puissent l'être pour leurs idées, tout d'ailleurs comme les hommes. Cette obligation de quotas a d'ailleurs donné, au niveau de l'Assemblée, des députées femmes qui ont voté des lois contre les femmes. Je suis pour la parité, mais par le mérite. Plus globalement pour ce quota de 30% comme pour les mesures contre les violences faites aux femmes, y a-t-il au sein de votre association Amal, par exemple, ou à d'autres niveaux, des études qui analysent les progrès ou les reculs engendrés par ces mesures ? Nous n'avons malheureusement aucun moyen. Nous n'avons d'ailleurs même pas d'agrément. Nous sommes des militantes du terrain. Si certaines d'entre nous affirment que nous avons fait des avancées, je dis, pour ce qui me concerne, que tant que je suis considérée encore comme mineure ; tant que l'injuste problème de l'héritage persiste ; tant que la polygamie est permise, je ne crois pas beaucoup à ces avancées et considère toutes celles-ci, inscrites dans la loi, comme une immense supercherie. Cette supercherie nous fait en plus beaucoup de mal parce qu'ils font tellement de bruit autour des textes qu'ils promulguent que les gens pensent que l'on a plus de droits que les hommes. Que ne faut-il pas entendre à ce sujet ! Un avocat m'a même dit un jour : «Vous devriez être heureuse, de quoi vous vous plaignez, vous avez même votre chéquier !» Le fait de dire qu'il y a beaucoup de lois en faveur des femmes fausse la donne. La réalité est qu'aujourd'hui, dans notre pays, des femmes sont assassinées dans la rue et enterrées et l'on n'en parle que très rarement parce que c'est aar, honteux. De victimes, elles deviennent une honte dans l'indifférence totale. Il faut vous souvenir que la femme assassinée dans la rue à Constantine l'a été sans que personne bouge et son assassin est reparti tranquillement et n'a été appréhendé que beaucoup plus tard. Ce qu'il faut relever, c'est que ces assassinats n'ont même pas remué la ministre qui est censée défendre la femme et qui plus est n'a pas dit un seul mot à ce propos. Elle a par contre brillé par son incroyable proposition de demander aux femmes de reverser leur salaire pour résoudre la crise financière, arguant du fait que dans le code de la famille, la femme est à la charge financière de son mari, et que par conséquent, les femmes travailleuses n'ont pas besoin de leurs salaires. Voilà où nous en sommes et voilà les insanités que l'on peut entendre d'une femme chargée officiellement de défendre les femmes. Cette ministre a même été plus loin en défendant la persistance dans la loi du tuteur pour la femme. Cette femme, ministre de son état, se considère mineure et partant, elle ne peut défendre la femme dans la république de Hassiba, les Djamila Boupacha, Bouhired, les Zohra, Ourida... et tant d'autres héroïnes qui font notre fierté des femmes. Et puis il y a eu beaucoup d'autres personnalités qui ont brillé par leur silence lors des violences et assasinats de femmes. L'on se réjouit bien sûr que l'on dénonce la violence contre les enfants mais qu'on ne dise rien sur la violence contre les femmes me révolte. Les avancées doivent se mesurer aussi par rapport à cette triste réalité. Vous êtes, pour ce qui vous concerne, très largement impliquée dans les réseaux sociaux où vous menez quotidiennement votre combat de féministe et de démocrate. C'est dans ces nouveaux médias que devront être menés les combats ? Aujourd'hui, j'utilise les réseaux sociaux et aussi la télévision parce que je sais, par expérience, l'impact de ce média sur les téléspectateurs. Je l'utilise parce que je n'ai pas beaucoup le choix mais parce qu'aussi je mesure l'impact que ce moyen produit sur les téléspectateurs. Lorsque j'interviens sur ce média, d'abord j'utilise le langage que tout le monde parle, ensuite j'avance mes arguments contre ceux des contradicteurs, directement, sans intermédiaire. C'est ainsi, qu'à de nombreuses reprises, l'on m'a brandi lors de ces émissions l'article 2 de la Constitution qui institue l'islam religion de l'Etat. En réponse j'interroge directement les gens en leur demandant si la présence de cet article dans la Constitution est normale et mon interrogation finit par être acceptée. De la même manière l'on m'écoute et l'on finit par entendre mon argument consistant à dire que nous sommes bloquées, nous les femmes, et les hommes d'ailleurs, par cet article 2 de la Constitution. Or, la Constitution ne dit à aucun moment que la charia est source de droit. De ce discours, les téléspectateurs n'ont pas été choqués et cela nous aide à avancer. En termes de visibilité, il me semble que le combat féministe dans le pays est plus un combat d'individualités que plus largement d'associations ou de partis politiques structurés. Quel est votre opinion ? Pour le moment c'est effectivement et malheureusement un travail plus individuel que collectif. Il y a de nombreuses femmes, qui, individuellement, travaillent à faire avancer la cause des femmes. Mme Benghebrit, par exemple, dans le domaine de l'éducation, un domaine capital dans les changements et l'ouverture qu'il peut opérer chez les jeunes, le fait par sa prise en charge de cet aspect en apportant un nouveau souffle, pour peu seulement qu'on la laisse continuer à le faire. Je n'arrête pas de tenter des regroupements de femmes décidées à contribuer à faire relancer le mouvement féministe, mais pour l'instant, cela n'avance pas beaucoup. Nous avons bien eu à voir de jeunes féministes, mais dont le féminisme exclue les hommes de leur vision. Elles nous déclarent, par exemple, que la polygamie n'est pas leur problème et se déclarent en guerre contre les hommes. Ce n'est pas mon combat. Je considère qu'il me faut aujourd'hui aider d'une manière plus collective et plutôt qu'être réactives, il nous faut nous constituer en force de propositions. Ne pas attendre une loi pour la critiquer mais à nous de faire des propositions et de faire campagne pour. Nous avons les moyens intellectuels pour le faire. Au MDS, par exemple, du temps d'El-Hachemi Cherif, nous avons mis en commun nos capacités de réflexion et produit un texte sur le statut personnel, qui propose un contrat à passer entre les époux et non un code, une loi qui va régir les relations de couples. C'est aussi ce type de travail qu'il faudra produire. Vous avez déclaré dans une tribune que «la laïcité est une question de survie des femmes». La société algérienne ayant été sournoisement imprégnée des idées rétrogrades et d'enfermement de la femme, prônées par les islamistes, souvent en connivence avec le pouvoir, la laïcité vous paraît-elle un combat gagnable dans ces conditions? Je pense que oui, ce combat est gagnable. Lorsque je parle à des gens, quelles que soient leurs catégories sociales, et que je dis que la laïcité n'a rien contre la religion mais que cette dernière devrait rester dans la sphère privée, cela est compris et accepté. Le terme lui-même de laïcité n'est-il pas devenu un tabou ? On l'a, depuis longtemps, présenté comme un tabou qu'il faut taire, qu'il ne faut pas évoquer. Or, il faut en parler aujourd'hui et expliquer, et qu'on nous laisse le faire et dire à tous que la laïcité n'est pas contre la religion mais elle refuse que cette dernière investisse le politique. C'est pourquoi aujourd'hui la priorité de mon combat va concerner la conscientisation des femmes pour qu'elles prennent conscience que le combat que je mène est juste pour que nous sortions de l'état de dominé à l'état d'être humain, doté de capacités tout aussi importantes que celles de l'homme et que, par conséquent, nous sommes en situation de décider de notre vie. K. B.-A.
Paradoxe algérien Quand le conservatisme favorise l'emploi des femmes La problématique de l'emploi des femmes en Algérie ne se pose pas en termes de contraintes juridiques ou sociétales mais, semble-t-il, plutôt de blocages psychologiques des femmes elles-mêmes. Statistiques... Lyas Hallas - Alger (Le Soir) - Pour des tâches similaires, les femmes en Algérie sont rémunérées comme les hommes au moment où partout ailleurs dans le monde les organisations de défense des droits de la femme dénoncent des discriminations en la matière ; que les salaires attribués aux femmes sont inférieurs à ceux de leurs vis-à-vis hommes. Et, pratiquement, les femmes en Algérie ne sont invisibles que sur les chantiers de construction et des mines où se pratiquent des métiers pénibles que les femmes ne sont peut-être pas prêtes à exercer ou ne peuvent pas faire. Or, il n'y a aucune contrainte juridique ou autre sinon, les blocages psychologiques des femmes elles-mêmes. Si le conservatisme gagne du terrain, il y a des femmes qui s'y adonnent volontiers puisqu'il crée une demande pour certaines professions. Les islamo-conservateurs étant réticents à l'idée que les femmes soient auscultées par des hommes, favorisent, de fait, l'emploi des femmes dans ce secteur. Et, on trouve désormais des cabinets de femmes médecins qui ne prestent que pour les femmes et les enfants où les femmes ne risquent pas de croiser des hommes dans les salles d'attente. Globalement, les personnels féminins en activité dans la Fonction publique étaient, en 2014, de 720 330 agents sur un total de 2 020 172, soit 35%. Le secteur de la santé compte plus de femmes que d'hommes, 138 581 sur un total de 266 525 en 2014, soit 52% de femmes (elles représentent 45% des hospitalo-universitaires). Dans l'éducation nationale, la moitié des effectifs est composée de femmes (297 394 sur un total de 592 831 en 2014). La police a également ses contingents de policières, estimés en 2016 à près de 20 000, soit environ 10% des effectifs de la Sûreté nationale. Dans le secteur de la justice, elles sont 13 644 sur 43 000 agents (30%). Et dans le corps de la magistrature et la diplomatie, les femmes algériennes sont mieux loties que leurs homologues occidentales même si la proportion des hommes est plus importante dans ces corps de métiers. On compte aussi, 62 258 agents féminins sur 171 761 dans l'enseignement supérieur, soit 36%, et la proportion est beaucoup plus importante dans le domaine de la recherche scientifique où elles sont près de 40%. Idem dans le secteur des finances où elles sont 28 757 agents sur 83 829 (34%) et l'on a vu une femme accéder au poste de vice-gouverneur de la Banque centrale. Du reste, c'est une question de choix et de mérite. Dans les fonctions politiques, et depuis l'instauration du quota de 30% pour les femmes, les partis trouvent du mal à compléter les listes faute de femmes candidates justement. Même si certains arrivent à confectionner des listes composées uniquement de femmes. Les féministes parlent souvent de dénigrement, de harcèlement sexuel ou de harcèlement moral et professionnel qui n'est pas l'apanage des seules femmes. Ce qu'il faut retenir – au-delà de ce qui peut relever du pénal puisque il faudrait le différencier du consentement, quoique souvent elles croient elles-mêmes qu'elles ont consenti, est que c'est aussi une question de personnalité. Personne n'a pu jusque-là contester l'autorité de Louisa Hanoune à la tête du Parti des travailleurs (PT). L'Armée nationale populaire (ANP) compte deux généraux femmes. Et ce ne sont certainement pas leurs subalternes qui oseraient les harceler. Certes, il y a moins de femmes dans le secteur économique, ce qui ramène le taux des femmes dans le monde du travail à 19% de l'ensemble des salariés. Et ce, parce que le secteur économique propose des emplois que les femmes ne sont pas prêtes à exercer – le plus gros pourvoyeur d'emplois en dehors de la Fonction publique est le secteur du bâtiment –. Il convient enfin de noter qu'il y a de plus en plus de femmes entrepreneures. En février 2017, l'Algérie comptait 275 576 femmes entrepreneures (143 010 gérantes d'entreprises et 132 566 personnes physiques), soit 7,5% de l'ensemble des opérateurs économiques (1,9 million). Elles sont actives notamment dans le commerce de détail, les services et l'artisanat, même s'il existe une petite proportion de femmes qui ont réussi dans l'industrie et le bâtiment. L. H. Femmes et retraite Droits à conquérir face à l'étendue de la discrimination subie Sur 539 231 pensions de réversion au 31 décembre 2016 — suite au décès du conjoint retraité (homme ou femme) —, 531 359 étaient versées à des femmes et seulement 7 872 à des hommes (du fait du décès de la conjointe retraitée). Sur 429 729 orphelins (enfants ayants droit de retraités décédés) bénéficiant de pensions de réversion, toujours à la même date, 409 513 étaient de sexe féminin et à peine 20 216 de sexe masculin. Ces statistiques sont édifiantes quant à la place mineure qu'occupe la femme en Algérie dans le monde du travail et dans le système de protection sociale en général et celui de la retraite en particulier. Terrible équation : la pension de retraite aux hommes — car issus du salariat déclaré à la sécurité sociale —, et la pension de réversion aux femmes et aux ayants droit de sexe féminin, car exclus ou très minoritaires dans le salariat déclaré à la sécurité sociale. Autres chiffres : sur près de 2 millions de retraités de droit direct (tous types de retraites confondus dont l'allocation de retraite), toujours au 31 décembre 2016, seulement 260 000 étaient des femmes, soit 1 femme retraitée pour 7 hommes retraités. Encore heureux que la femme travailleuse puisse, à sa demande, prendre sa retraite à 55 ans et bénéficier également d'une réduction supplémentaire d'un an par enfant dans la limite de trois ans et donc de pouvoir partir à la retraite à 52 ans si elle a élevé au moins 3 enfants et si elle le souhaite. Autre signe de la discrimination scandaleuse en matière d'accès au marché de l'emploi et au droit à des carrières complètes, celui de la répartition, selon le sexe des bénéficiaires, d'une allocation de retraite de réversion au 31 décembre 2016 : sur 44 806 bénéficiaires au titre de conjoint du retraité (ou de la retraitée) décédé(e), 44 383 sont des femmes. Pour rappel, lorsqu'un travailleur ne remplit pas la condition de travail requise, il peut bénéficier d'une allocation de retraite à partir de l'âge de 60 ans s'il justifie de 20 trimestres d'activité au moins. Ce sont souvent les femmes travailleuses, dont la carrière est hachée, interrompue et plus courte que celle des hommes, qui émargent à l'allocation de retraite. Par ailleurs, un retraité dont le conjoint ne travaille pas (très souvent il s'agit d'une femme au foyer), peut bénéficier d'une majoration pour conjoint à charge, une majoration dont le montant est fixé par arrêté du ministre chargé de la Sécurité sociale, sur proposition du conseil d'administration de la CNR, conformément à l'article 15 de la loi 83-12 modifiée par celle n°99-03. Ce montant est actuellement fixé à 2 500 DA net par mois. Algérie La fierté des femmes qui travaillent Une étude de l'Organisation internationale du travail (OIT, Nations unies, Genève), faite en 2014, analyse les contraintes et les opportunités en matière d'emploi des femmes en Algérie. «Je suis fière de mon travail, mais toutes, nous entendons dire ‘‘les femmes nous ont pris notre place''. La société [des hommes] ne pardonne pas.» Ce témoignage d'une femme algérienne de 42 ans de Tissemsilt montre que l'emploi des femmes fait toujours débat en Algérie — comme dans beaucoup de pays du monde. Malgré des avancées sensibles en matière politique dans ce pays où les femmes représentent plus de 31% des députés à l'Assemblée nationale, leur participation économique reste très faible. En 2011, avec une proportion de femmes dans la population active de 17,7%, l'Algérie se situait parmi les pays du monde ayant la plus faible participation économique des femmes – avec l'Irak et la Syrie –, selon une étude de l'OIT. Toutefois, les femmes commencent à pénétrer le marché du travail. Selon l'Office national des statistiques algérien, leur taux de participation avait atteint 19% en 2013. Activités à domicile «invisibles» Selon l'étude de l'OIT, la progression de ce taux de participation à la vie économique est freinée par une multiplicité de facteurs complexes, notamment socioculturels. De nombreuses femmes qui ont une activité à domicile non rémunérée, par exemple dans le secteur agricole, l'élevage, la transformation des produits agricoles, le textile, la confection, etc., ne sont pas considérées comme «actives» par une partie de la population. Le poids des traditions ou certaines contraintes familiales participent également à limiter les possibilités des femmes en matière de d'action, de déplacement ou de travail. Les jeunes femmes sont souvent peu en contact avec le monde extérieur à la famille, elles sont également moins informées et moins préparées à l'entrepreneuriat. Des familles sont souvent aussi plus enclines à soutenir moralement et financièrement les garçons dans des projets de création d'entreprises. La femme de Tissemsilt confie elle-même aux enquêteurs de l'OIT : «Je souhaite que ma fille étudie, mais je ne voudrais pas qu'elle travaille. Qu'elle étudie, qu'elle se cultive et aille très loin à l'université, c'est bien, mais je préfère qu'elle ne travaille pas car elle ne sera jamais respectée au travail. Ils [les hommes] ne respectent pas les jeunes filles.» Ce témoignage d'une épouse et mère de famille de cinq enfants, recueilli dans le rapport de l'OIT, en dit long sur les entraves culturelles à la participation des femmes dans la vie active. Les femmes prennent la parole Outre une analyse détaillée des statistiques du marché du travail des femmes de 2001-2011, les auteurs de l'étude, Jacques Charmes et Malika Remaoun, ont également donné la parole aux premières concernées afin de comparer les données statistiques collectées avec la réalité vécue par les femmes algériennes au quotidien. Elles y décrivent leur vie, expriment leurs ambitions, font le bilan de leurs itinéraires personnels — familial, éducatif, professionnel. Ainsi, l'étude relève aussi des progrès réalisés dans le domaine de l'emploi des femmes à travers les divers dispositifs mis en place en leur faveur par les pouvoirs publics. Cependant, le rapport souligne que le sort des femmes est entre leurs propres mains et dépendra de leur volonté à repousser les barrières et surmonter les obstacles. Mieux que n'importe quelle donnée statistique, cette entrepreneure de Tiaret clôt le débat : «Il s'agit aussi de ne pas vouloir dépendre de l'homme, de faire une carrière, de montrer ses vraies capacités. Et je crois que la femme a plus de volonté [que l'homme], elle peut donner plus.» Comment corriger les inégalités de retraite entre hommes et femmes ? Afin de corriger les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes, cinq pays européens — l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni, la Suède et la France — ont développé des dispositifs visant au renforcement des droits propres des femmes : le partage des droits à la retraite au sein des couples, mais, surtout, la compensation à la retraite de l'impact des enfants sur les carrières. L'OCDE a publié en 2015 de nouvelles données et analyses sur le large écart existant entre les pensions de retraite des hommes et des femmes. Ces données montrent que dans l'ensemble des pays européens membres de l'OCDE et aux Etats-Unis, les retraites versées aux individus de 65 ans et plus sont en moyenne 28% inférieures pour les femmes que pour les hommes. L'écart est supérieur à 40% en Allemagne, au Luxembourg et aux Pays-Bas, tandis qu'en Estonie, les différences entre les sexes sont peu importantes. La femme, l'avenir de l'homme ? Sur 7,4 milliards de personnes dans le monde en 2016, on compte 3,6 milliards de femmes. «En temps normal», il y a à peu près le même nombre de femmes que d'hommes sur la planète et même un peu plus de femmes, sachant que les naissances masculines sont un peu plus élevées (105 garçons pour 100 filles), mais que les garçons et les hommes ont une espérance de vie à la naissance inférieure à celle des femmes, en moyenne de 6 à 8 ans. L'Europe est la région du monde où la proportion de femmes est plus importante, en raison notamment du vieillissement de la population. Mais comme l'avait noté dès le début des années 1990 le prix Nobel d'économie Amartya Sen, il «manque» plus de 100 millions de femmes et filles. Cette inégalité démographique est due au fait que des millions de bébés et fœtus de sexe féminin sont supprimés chaque année en raison de leur moindre valeur supposée, de la préférence culturelle et sociale accordée aux fils dans certaines cultures, des facteurs sociaux-économiques (héritage, dot...). Infanticides, maltraitance, manque de soins existent dans certaines régions ; sélection prénatale, avortements dans d'autres. Le non-enregistrement des naissances à l'état civil dans certains pays rend plus difficile de faire un état des lieux. Les droits civils des femmes ne sont pas respectés partout. Des codes de la famille instaurent des discriminations en ce qui concerne l'autorité parentale, le mariage, le divorce, l'héritage...