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Algérie-France : la mémoire ressuscitée (2e partie et fin)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 13 - 03 - 2017

Contrairement à la France, où le débat mémoriel est avant tout un débat de société avant d'être celui des seules institutions publiques ou privées, en Algérie, ce débat est balisé par l'expression publique que symbolise l'Etat, et lui seul.
Les autorités algériennes ont depuis toujours considéré que l'histoire nationale dans sa version officielle est un domaine réservé qu'il utilise à sa guise, notamment dans les relations internationales.
Ce qui incite certains observateurs à considérer que «selon les moments et les réponses qu'il souhaite recevoir de l'Etat français, le pouvoir algérien activait ou désactivait la revendication de repentance»(15). Ou que Les autorités algériennes «soufflent le chaud et le froid. Tout dépend du moment et de l'opportunité»(16).
Autrement dit, les autorités algériennes utiliseraient le «levier mémoriel», notamment dans son aspect relatif à la repentance, comme un moyen de négociation dans les rapports conjoncturels avec l'ancienne puissance coloniale. Comme ce fut le cas notamment lors du procès du tortionnaire Aussaresses, en 2003, de l'adoption de la loi française n°2005-158 du 23 février 2005 «portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés» et du projet — avorté — à l'APN en février 2009 portant «criminalisation du colonialisme français de 1830 à 1962».
S'agissant du procès retentissant du criminel de guerre et tortionnaire Aussaresses, contre toute attente, il n'y a pas eu de plainte auprès de la CPI ou de poursuites engagées par les autorités algériennes, comme si le débat ne concernait pas notre pays. Ce silence avait été expliqué par la volonté de ne pas embarrasser le président Chirac avec lequel les relations étaient au beau fixe.
Pour rappel, la loi du 23 février 2005 glorifiait «l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française» (article 1). Elle y ajoutait que «les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord...» (article 4, alinéa 2)(17).
Son adoption avait créé un tollé général tant en France, sauf bien entendu auprès des nostalgiques de l'«Algérie française», qu'au sein de la société algérienne. Quant au parti du pouvoir, le FLN, il a publié un communiqué le 7 juin 2005, dans lequel il «s'élève contre cette loi qui consacre une vision rétrograde de l'Histoire», sans plus !
Considérant que cette loi créait plus de problèmes qu'elle ne pouvait en résoudre, le président Chirac a instruit le 25 janvier 2006 son Premier ministre, Dominique de Villepin, de demander au Conseil constitutionnel de permettre la suppression, par décret, du 2e alinéa de l'article 4 de la loi du 23 février 2005 et éviter un débat qui s'annonçait houleux au Parlement. Ainsi, le 15 février 2006, le décret n°2006-160 a abrogé l'alinéa en question.
L'adoption de cette loi a irrité les Algériens et eu pour conséquences le report de la signature du traité d'amitié qui avait été négocié entre les deux pays et, par la suite, la proposition en février 2009, par un groupe de 130 députés dirigés par un député du FLN, d'un projet de loi criminalisant la colonisation.
Les initiateurs du projet avaient déclaré leur intention «de créer des tribunaux spéciaux pour juger les responsables de crimes coloniaux ou de les poursuivre devant les tribunaux internationaux».
Le projet a d'abord fait l'objet d'un soutien officiel via le ministère des Moudjahidine (anciens combattants) et des organisations affiliées comme l'Organisation nationale des moudjahidine, ou celles des enfants de chouhada (martyrs) et de moudjahidine, toutes proches du pouvoir. Une fois la «tempête» passée, vingt mois plus tard, les autorités réagissent par le biais du ministre de l'Intérieur qui, comble de l'ironie, déclare que le projet de loi «ne repose pas sur un fondement juridique» !
Il y ajoute une sorte de prescription algérienne des crimes coloniaux en annonçant que «le code pénal algérien est postérieur à la période considérée», en référence à la période coloniale(18).
Pour sa part, se sentant sans doute nanti d'une vocation de «pédagogue» plus que de politique, le ministre des Moudjahidine avait conclu que même si le projet de loi n'est pas adopté, «la mémoire algérienne n'oubliera jamais l'atrocité du colonialisme français qui a spolié les richesses de l'Algérie et brisé les plus grands de ses symboles».
Quant au président de l'Assemblée populaire nationale de l'époque, il a révélé qu'«au vu des intérêts en jeu, on ne pouvait s'offrir le luxe d'ouvrir un autre front avec Paris»(19). La raison d'Etat avant tout ! Voilà qui a le mérite d'être clair. Les députés initiateurs du projet auront fait contre mauvaise fortune bon cœur et dû se contenter de l'illusion que leur avait procuré l'espoir – avorté — de mener à bien leur initiative dans l'intérêt du pays. La repentance attendra.
Quant aux dirigeants ou candidats français, ils n'effectuent pas leurs déplacements à Alger uniquement pour discuter d'histoire commune. La prise en charge des questions politiques, économiques, sécuritaires, culturelles... entre dans la logique de toute relation ordinaire d'Etat à Etat. Mais, entre l'Algérie et la France, existe un facteur humain qui a son importance dans les relations bilatérales. Nous avons constaté que la communauté française d'origine algérienne ou binationale est devenue un électorat que les politiques français tentent de séduire. Peut-on dire la même chose s'agissant de ses relations avec le pouvoir algérien ?
En l'absence de statistiques fiables relatives à son importance numérique et eu égard à sa mobilité et à son éparpillement à travers les cinq continents, la communauté nationale établie à l'étranger est évaluée entre 6 et 7 millions d'âmes dont 65 à 70% établies en France. De ce chiffre, seuls près de 1,8 million sont immatriculés auprès des 18 consulats généraux et consulats en France.
Le nombre d'électeurs à l'étranger avoisine 1 million de votants. La communauté est représentée à l'APN par 8 députés représentant 6 circonscriptions électorales réparties à travers le monde. Jusqu'au remaniement ministériel de septembre 2013, un secrétaire d'Etat, avec rang de ministre, était spécialement chargé, au sein du ministère des Affaires étrangères, de notre communauté à l'étranger. Nonobstant son poids numérique relatif dans le corps électoral national, notre communauté est toujours convoitée par les partis qui considèrent que sa composante humaine est appréciée pour les compétences managériales et scientifiques qu'elle recèle et qui peuvent être utiles au pays, pourvu que les pouvoirs publics fassent appel à elle. Mais cela ne semble pas être le cas. Les faits sont là pour le corroborer.
En effet, outre que l'organisation des Assises nationales de la communauté ait été abandonnée récemment, il y a eu aussi la suppression du poste de secrétaire d'Etat chargé de la Communauté, la mise aux oubliettes du Conseil consultatif de la communauté nationale à l‘étranger créé en septembre 2009 par décret présidentiel n°9-297 et l'introduction du fameux article 51 dans le cadre des amendements de la Constitution, en février 2016. Un ensemble de mesures surprenantes que contredit le discours officiel considérant cette communauté comme partie intégrante du peuple algérien.
Parmi ces mesures, c'est la dernière en date qui symbolise le plus le processus de victimisation dont est l'objet cette communauté. L'amendement constitutionnel (article 51) a été sévèrement critiqué par certains députés de l'émigration dont Mme Mechtalechta qui, parlant de nos expatriés, considère que «dénigrer ouvertement leur patriotisme sous prétexte de multi-nationalité est une offense à leur dignité et une insulte à l'histoire. La nationalité exclusive n'a jamais été l'inaltérable synonyme de défense de la patrie»(20). Doit-on alors s'offusquer que le taux de participation de la communauté aux différents scrutins nationaux soit le plus faible du corps électoral national ?
Rappelons que l'article 51 stipule que «la nationalité algérienne exclusive est requise pour l'accès aux hautes responsabilités de l'Etat et aux fonctions politiques». Comme d'habitude et malgré les critiques de la classe politique, notamment l'opposition, de la société civile et des députés et membres de notre communauté à l'étranger, l'APN a adopté, le 28 novembre 2016, le projet de loi «fixant la liste des hautes responsabilités de l'Etat et des fonctions politiques dont l'accès requiert la nationalité algérienne exclusive»(21). Avec une telle APN, pouvait-il en être autrement ? Aujourd'hui, l'image de l'émigré vivant en marge de la société d'établissement est révolue. Le retour au pays natal ou des parents est un mirage. L'émigré est devenu citoyen électeur. Les hommes politiques du pays d'établissement, la France dans ce cas, l'ont compris. Mais pas les dirigeants du pays d'origine. L'amendement 51 ne règle aucun problème, mais risque d'en créer de nouveaux dont le pays n'a nul besoin.
Le pays a plutôt besoin, en plus des footballeurs, des compétences de haut niveau de cette communauté. Le pays a besoin d'un lobby qui puisse influer sur la décision française dès que les intérêts de l'Algérie sont en jeu. Or, malheureusement, on ne souhaite guère l'entendre ainsi au gouvernement algérien. Les récentes décisions marginalisant notre communauté, outre qu'elles créent la frustration, démobilisent son potentiel créateur. L'ancien ministre, ambassadeur et consul général à Paris, Meziane Chérif, s'insurge contre l'attitude du pouvoir et s'interroge : «La communauté algérienne, prise dans son ensemble, constitue une force avec laquelle il faut compter dans le pays d'accueil. Alors pourquoi l'écarter dans son pays d'origine ?»(22)
Revenons à la visite d'Emmanuel Macron à Alger et ses différentes lectures algériennes. Ni chef d'Etat ni chef de parti mais simple candidat, Macron a été reçu avec les égards et le cérémonial dignes d'un chef d'Etat... présomptif. Il a été reçu par le Premier ministre, celui des Affaires étrangères qui l'a qualifié d'«ami», la ministre de l'Education, le grand patron du Forum des chefs d'entreprise... Tapis rouge, recueillement au monument des martyrs, couverture médiatique officielle... Il n'a pas été reçu seulement par le chef de l'Etat (pour raison de santé ?) comme l'avait été son prédécesseur candidat à la primaire de droite, A. Juppé.
Pourquoi tant d'égards pour un simple candidat à la présidentielle ? Les images du séjour ont surpris l'opinion publique algérienne. Les médias privés et électroniques ont commenté et fait part de la déception des citoyens algériens de l'attitude des autorités. Pour un journal électronique algérien, Macron serait «le candidat par défaut d'Alger», ou «l'unique option du pouvoir algérien lors des prochaines présidentielles»(23).
Est-ce nécessaire de lui réserver un tel cérémonial officiel ? Est-ce sa déclaration qui a influencé l'attitude des officiels ?
Quoi qu'il en soit, concernant la qualification de la colonisation de crime contre l'humanité par Macron, les autorités algériennes ont minimisé l'évènement. En effet, l'autoproclamé «porte-parole» du système, l'actuel directeur de cabinet à la Présidence et secrétaire général d'un parti du pouvoir, le RND, a d'abord qualifié les propos de Macron d'«électoralistes» avant de «décréter» dans un entretien à un journal algérien(24) que «la priorité est de préserver notre mémoire avant de réclamer des excuses du colonisateur d'hier».
Considérant le poids politique de l'intéressé au sein des rouages de l'Etat, on est enclins à penser qu'il n'exprime pas ici un point de vue personnel, ni celui de son parti, mais bien celui de l'Etat algérien. C'est du moins ce qui concorde avec les propos du ministre des Moudjahidine qui s'est limité à déclarer à l'occasion de la célébration de la Journée du chahid (martyr), le 18 février à Khenchela, «que la France doit assumer ses responsabilités envers l'Algérie et les dossiers en suspens entre les deux pays»(25).
Pas question de repentance pour les crimes de la colonisation en Algérie. Ce ne serait pas une priorité algérienne.
Fort heureusement, le porte-parole du RND ne semble pas être au diapason avec son secrétaire général. Chihab estime, en effet, que la déclaration de Macron constitue «une avancée sur le plan de la mémoire qui témoigne du courage politique (de Macron)». Dans l'opposition, le parti Talai El Houriet estime que les déclarations de Macron vont dans le sens des revendications du parti. Un avis partagé par le FFS, le MSP et bien d'autres.
Ces partis souhaitent que la France aille plus loin, vers la repentance officielle. Même attitude au sein de la société civile, notamment les historiens et la presse. Tous se félicitent de l'attitude de Macron et s'interrogent sur la suite qu'il pourrait donner à ses déclarations, s'il était élu président de la République.
La visite de Macron a permis, une fois encore, de constater le hiatus qui persiste en Algérie entre le discours officiel tendant à la mainmise de l'Etat sur la mémoire nationale et son interprétation au gré des événements, d'une part, et la revendication de la société civile et l'opposition politique d'«une histoire débarrassée d'un récit fantasmé et falsificateur»(26), d'autre part. Ce hiatus ne peut être comblé qu'«en donnant toute la liberté nécessaire aux chercheurs et aux historiens, les mieux à même d'écrire» la mémoire en tant qu'état d'esprit porté par tout un peuple qui en est le dépositaire.
Dans ce contexte, on est en droit de s'interroger : pourquoi les autorités algériennes devraient-elles «prendre une option» qui paraît hasardeuse dans un contexte électoral français plein d'incertitudes, que les pronostics varient d'un jour à l'autre et sachant que le dernier mot revient au peuple français, seule source de la souveraineté nationale ?
Alors, pourquoi Alger devrait accorder son «onction» à un candidat plutôt qu'à un autre, même crédité d'un bon score électoral ? Cela reste une affaire franco-française. Nous concernant, il s'agit de relations souveraines d'Etat à Etat.
D'autant qu'en France, Etat de droit, la personnalité du Président n'est pas décisive mais juste utile et nécessaire à la bonne marche des institutions républicaines, contrairement à ce qui prévaut dans de nombreux pays arabo-africains.
Ce qui devrait constituer la préoccupation permanente des autorités algériennes ne serait-ce pas plutôt l'image que donne l'Algérie d'elle-même en cette période d'incertitudes et de préoccupations quant à son avenir ? Ces préoccupations et inquiétudes hantent le quotidien du citoyen algérien et déteignent sur la vision de nos partenaires étrangers.
En témoignent les différents rapports et articles de presse étrangers critiques publiés récemment sur notre pays, dont le rapport parlementaire français en date de janvier 2017(27) et celui d'Amnesty International (rapport 2016-2017) publié le 22 février(28).La question mémorielle entre l'Algérie et la France est le reflet d'un rapport de force prévalant entre les deux pays et qui est actuellement nettement en faveur de cette dernière. Nous avons constaté a quel point en France, elle est devenue thème de débat public et pas seulement politique.
Dans ce pays, une partie de la société, notamment les intellectuels et les jeunes, ne cache plus son soutien au devoir qui s'impose aux autorités françaises de reconnaître les crimes commis au nom de l'Etat français en Algérie et partout ailleurs, durant la période coloniale. Par contre, en Algérie, le monopole mémoriel exercé par l'Etat confine les débats de société dans un arrière plan dont ne peuvent émerger que les intellectuels les plus engagés.
Ce rapport de force est aussi le reflet de la place qu'occupe désormais notre pays dans l'échiquier des relations internationales. Il est bien loin le temps où l'Algérie était «La Mecque» des mouvements de libération nationale du monde entier.
Le temps où la voix de l'Algérie était écoutée et prise en considération par tous les Etats du monde, y compris les plus puissants d'entre eux.
Ce rapport de force ne peut être rééquilibré sans un Etat démocratique, une bonne gouvernance, le respect des libertés fondamentales du citoyen, notamment la liberté d'expression, des élections libres, une économie saine, diversifiée et performante... En un mot, un Etat de droit qui serve et survive aux hommes.
Quel que soit l'«heureux élu» de la présidentielle française et sa vision de la question mémorielle, les intérêts bien compris des deux pays demeurent constants et s'inscrivent dans la dynamique des rapports de force et de coopération permanente entre deux pays souverains, nonobstant la qualité des hommes ou des femmes qui les dirigent ou les dirigeront demain.
M. Z.
Web-graphie 2
15- http://www.tsa-algerie.com/20170217/colonialisme-repentance-faut-remercier-macron/
16- http://www.toutdz.com/propos-de-macron-sur-la-colonisation-silence-officiel-gene/
17- http://www.voltairenet.org/ article17252.html -Thierry Meyssan
18-http://tempsreel.nouvelobs.com/ rue89/rue89-monde/20120314.RUE8514/les-moudjahidine-algeriens-veulent-criminaliser-le-colonialisme-francais.html
19- http://www.lecourrierdelatlas.com/ algerie-divisions-sur-la-criminalisation-du-colonialisme-francais--2262 Yacine Ouchikh
20- http://ldh-toulon.net/les-binationaux-sont-devenus-des.html
21- http://www.tsa-algerie.com/20160726/liste-postes-exigeant-nationalite-algerienne-exclusive-fixee/
22- http://www.tsa-algerie.com/ 20160119/communaute-algerienne-a-letranger-larticle-51-ou-le-deni-du-droit-du-sang/
23- http://www.tsa-algerie.com/20170214/emmanuel-macron-candidat-defaut-de-lalgerie/
24- http://www.elwatan.com/actualite/les-excuses-sont-importantes-mais-pas-une-priorite-22-02-2017-339791_109.php
25- http://www.tsa-algerie.com/20170218/propos-de-macron-colonisation-de-timides-reactions-officielles-algerie/
26-http://www.elwatan.com/actualite/la-france-face-a-son-passe-colonial-18-02-2017-339469_109.php
27- http://www.tsa.com/20170120/rapport- officiel-salarme-de-letat-de-sante-de-bouteflika-de-mohamed-vi/
28- http://www.tsa-algerie.com/20170222/constat-severe-damnesty-international-lalgerie/


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