Question difficile pour un sujet presque tabou. Aime-t-on ses enfants exactement de la même façon ? L'amour des parents est-il équitable ? Papa, maman n'ont-ils pas un chouchou parmi leurs enfants? Comment ces différences, si elles existent, sont-elles vécues par les principaux concernés? Ces «inégalités» provoquent-elles un sentiment d'injustice et d'exclusion chez les enfants devenus adultes ? Quelques témoignages. Karim, 39 ans «Je suis l'aîné de la famille. J'ai une sœur et un frère. Ce dernier est arrivé par ‘‘accident'', comme on dit. Douze ans nous séparent. Avant sa naissance, tout se passait plutôt bien au sein de notre famille. Il y avait une certaine équité entre ma sœur et moi. Nous avions droit aux mêmes cadeaux, loisirs, vêtements, friandises. Dès lors que mon petit frère est arrivé, l'attention de mes parents s'est focalisée sur lui. Un peu trop à mon sens. J'ai senti le changement et cela m'a brisé le cœur. Je réclamais ma part d'affection, mais passais toujours au second plan. Les années ont filé et cette attitude des parents s'est confirmée. Lorsque mon frère a eu son bac, ma mère a loué une salle des fêtes pour organiser une grande cérémonie. Et ce n'est pas tout. Elle a envoyé mon frère passer des vacances à Marseille, chez mon oncle. Ni moi ni ma sœur n'avions eu pareil traitement. Ces disparités ont créé des jalousies et des tensions au sein de la famille. Quand je demandais à ma mère pourquoi elle préférait mon frère, elle niait l'évidence. Et cela continue même aujourd'hui. Matériellement, c'est toujours lui le chouchou de mes parents. Ils essayent d'être plus discrets à présent pour ne pas me blesser mais je finis toujours par tout savoir. Voyages, achat de voiture..., ils le soutiennent totalement. Pourtant, tout comme ma sœur et moi, mon frère à un boulot stable. Je ne comprends pas comment on peut favoriser un de ses enfants et négliger les autres. Ça fait tellement mal !» Djamila, 54 ans «Ma relation avec ma mère m'a pourri la vie. La raison ? Sa préférence pour mes deux autres sœurs. Je n'ai aucune explication, si ce n'est peut-être d'avoir un physique qui lui rappelait trop sa belle-mère qu'elle détestait par-dessus tout et qui le lui rendait bien d'ailleurs. Dans les faits, cela donne une histoire à la Cendrillon. ‘‘Ennechef'', les corvées, le ménage, c'était tout pour moi. Et la bastonne à coup de ‘‘bligha'' ne ratait jamais si j'osais me révolter. Ayant moins de temps pour réviser, j'avais des notes médiocres, ce qui accentuait le courroux de mes parents. Traitée de ‘hmara', on me comparait sans cesse à mes sœurs, brillantes, intelligentes et tout le tralala ! Je recevais moins d'affection, moins de bonbons, moins de considération. Et ça a continué même après mon mariage. Le coup de boutoir m'a été porté à la mort de ma mère. Mes sœurs se sont accaparées ses bijoux comme si je n'avais jamais existé. Au fond, je me moque du matériel. Ce dont j'ai manqué depuis toute petite c'est de l'affection d'une mère. Si j'avais été orpheline, j'aurais peut-être mieux encaissé le coup. Etre discriminé au sein de sa propre famille est la pire chose qu'on peut infliger à un être. J'essaye de ne pas reproduire les mêmes erreurs avec mes enfants. Et aussi je leur répète, chaque jour, qu'il faut apprendre à partager et à être solidaire entre eux, car l'amour c'est bien la chose la plus belle au monde.» Sabrina, 51 ans «J'ai deux filles. Elles ont 26 et 23. Je les aime toutes les deux mais pas exactement de la même façon. Je me sens plus proche de l'aînée et quand j'y pense, je sens une préférence envers elle. Elle est mariée, mais passe me voir pratiquement tous les jours. Sa sensibilité, sa tendresse et sa gentillesse m'enveloppent de bonheur. J'ai été alitée il y a quelques mois à cause d'un problème de santé. Elle a laissé tomber son foyer et son boulot pour rester à mon chevet. La plus jeune est moins expansive, plus égoïste. C'est son tempérament. Froide, taciturne. Réservée. Par exemple, elle peut partir en mission plusieurs jours et oublier de me téléphoner. Ce qui n'arriverait jamais avec l'aînée. Bien sûr, ces choses ne se disent pas, mais oui, je ressens plus d'amour pour ma fille aînée.» Lyes, 39 ans «Qui peut dire que les parents aiment de la même façon tous leurs enfants ? Mon père a toujours privilégié mon frère aîné. Il l'emmenait avec lui partout, en déplacement, en voyage. Il lui donnait les meilleurs parts à table. Ma mère essayait d'arrondir les angles mais cette iniquité crevait les yeux. Je me suis souvent révolté contre ce genre de situations. Ça m'a souvent coûté des taloches, mon père ne sachant pas communiquer autrement. Très jeune, il a initié mon frère à le seconder dans sa boutique de vêtements pour hommes. Au décès de mon père, il s'est autoproclamé unique hériter. Un long procès nous a opposés. Avocats, tribunaux, bagarres... Nous sommes devenus les pires ennemis du monde. Deux frères qui ne s'adressent plus la parole. C'est la conséquence du favoritisme de mes parents.» Francoise Dolto le répétait souvent : «Les enfants d'une même fratrie n'ont pas tous les mêmes parents.» L'amour équitable envers ses enfants serait-il un mythe ? La question reste posée.