D- LA MOUVANCE HETERODOXE On l'a vu, précédemment : le 5 octobre 1988, date majeure dans le processus d'effritement de l'unité de pensée et d'action qui fit la force du régime algérien, depuis son avènement violent, en 1962, a relancé, avec fracas, le débat – vieux, alors, de plus de deux décennies – sur la légitimité du FLN et sur sa capacité matérielle et morale à diriger l'Etat. Ses fondateurs historiques, passés à l'opposition, lui avaient, bien avant la survenue de ces évènements, dénié toute représentativité et toute aptitude à incarner l'héritage de la Révolution et dénoncé les déviances politiques et éthiques que ses appareils bureaucratiques lui avaient fait subir, en trente années de pouvoir délégué. Ces dirigeants avaient réclamé qu'il soit disqualifié, déchu de son sigle et restitué au peuple parce qu'il avait échoué à donner corps au projet national dans le respect de l'esprit et de la lettre de la proclamation du 1er Novembre 1954. Exprimée, dans un premier temps, par des canaux non structurés, se bornant à protester contre «sa corruption vénale et politique et sa caporalisation par des castes usurpatrices», ce mouvement dont certains éléments proposèrent le retour au PPA de 1937 – idée rejetée par les autorités pour sa connotation messaliste – se saisit de l'entrée en vigueur de la Constitution de 1989, pour créer des partis censés pouvoir – selon eux – rentrer en possession de l'identité perdue du FLN et renouer avec le courant nationaliste authentique, dans une actualisation adaptée à la perspective démocratique décidée par l'Etat. Ils furent, d'ailleurs, implicitement, encouragés à abonder, dans ce sens, par l'aile réformatrice du pouvoir qui ne prévoyait pour le FLN, dans ses projections institutionnelles, qu'un rang normalisé. Deux groupes de partis firent, ainsi, leur apparition en se définissant comme les éléments constitutifs d'une mouvance qu'on pourrait qualifier d'hétérodoxe. Le premier rassembla les formations emmenées par d'anciens chefs de gouvernement écartés des postes qu'ils occupèrent dans les exécutifs ou au sein des hautes instances de l'ex-parti unique. Le deuxième se composa de celles initiées par des militants d'associations d'enfants de chouhada et de syndicats estudiantins, anciennement proches du FLN. 1- les partis hétérodoxes des anciens dirigeants de l'etat et du fln Le pouvoir d'Etat, en Algérie, a, toujours, été d'une extrême complexité, se composant, se décomposant et se recomposant, en fonction des rapports de force, dans le secret absolu de ce que M'hammed Yazid, ancien ministre de l'Information du GPRA et ancien directeur général de l'Institut national d'études stratégiques (Inesg) avait appelé «le cabinet noir». Les conflits internes, qui débordent, rarement, de ce cercle hyper-hermétique, parce que ses protagonistes détestent, par-dessus tout, les déballages publics, sont, en général, réglés soit par le délestage du groupe des vaincus, dans les cas «délictueux», gérables, sans effusion de sang, soit par l'élimination physique, dans les cas estimés attentatoires à la sécurité et aux intérêts vitaux du groupe des vainqueurs. L'éjection du groupe rival de sa position dominante est, systématiquement, suivie, après l'élimination de ses chefs, par la dispersion des rescapés sur d'autres clans et sous-clans où ils sont réduits à l'impuissance de développer la moindre nuisance. Mohamed Harbi, acteur et observateur des affrontements qui avaient déchiré le mouvement révolutionnaire algérien pré et post-indépendance, a isolé et identifié ce gêne caractéristique de l'exercice de l'autorité de l'ombre en Algérie et l'a théorisé dans son essai : «Le FLN : mythes et réalités». La règle – immuable, pendant plusieurs décennies et dont on peut même faire remonter l'usage à l'époque du Mouvement national – a perdu de l'acuité de son mode opératoire expéditif à partir de l'accession du président Chadli Bendjedid à la magistrature suprême. Sa prise de distance avec les services de renseignements, la «libération» des sépultures séquestrées des colonels Amirouche et Si El-Haouès, et l'élargissement de l'ex-président Ahmed Ben Bella maintenu, treize années, au secret, lui furent reconnus comme des gestes de repentance. Ces mœurs politiques, d'un autre âge, étaient, en effet, appelées, obligatoirement, à disparaître alors que l'Algérie négociait le virage difficile qui devait la conduire à vivre sous le régime d'un Etat fondé sur le respect des libertés et le droit des citoyens – quels que soient leur statut et leur rang – à se voir protégés contre tout sévice, abus et coercition commis ou couvert par les autorités détentrices de la violence organisée. L'instauration de ce nouvel ordre eut pour effet de voir d'anciens responsables d'Etat, non plus astreints à la solitude d'une résidence surveillée où il était interdit à quiconque de les approcher, mais autorisés – s'ils en faisaient la demande dans les conditions prévues par les nouvelles lois – à créer des partis politiques activant, non pas, forcément, sous le parapluie protecteur du pouvoir mais sous l'enseigne déclarée de l'opposition, un précédent qui civilisa des pratiques connues pour être étalonnées à l'aune des lettres de cachets des monarques absolus. La porte ouverte aux opposants internes du régime pour faire connaître et défendre leur différence ne fut pas – on s'en serait bien douté – exempte d'obstructions, dès lors que le droit de lancer des formations politiques fut reconnu, sans difficulté, à certains, quand il était refusé à d'autres, sous des motifs non explicités clairement. Le premier train de partis, candidats à l'agrément, comporta le Mouvement algérien pour la justice et le développement (MAJD), l'Alliance nationale républicaine (ANR), Wafa, le Front démocratique et Talaïe El-Houriyate. Dans le second, prirent place Ahd 54, le Front national algérien, le Front El-Moustaqbal et El-Fadjr El-Djadid, agréés à des périodes différentes. A) LE MOUVEMENT ALGERIEN POUR LA JUSTICE ET LE DEVELOPPEMENT Le scénario de politique-fiction le plus fantasque n'aurait, jamais, osé envisager qu'un tout puissant chef des services de renseignements pouvait, un jour, formuler, une fois démis de ses fonctions militaires et civiles, l'idée de monter un parti politique dont l'objectif inscrit dans ses statuts était de «militer pour la construction d'un Etat démocratique». Pour aussi extravagant que cela aurait pu en avoir l'air, ce scénario a bel et bien été écrit, le 5 novembre 1990, par Kasdi Merbah – de son vrai nom Abdallah Khalef – né en 1936, à Fès, au Maroc, lorsqu'il fit déposer au ministère de l'Intérieur, par Me Moulay et Rafik Bensaci, la demande d'agrément du parti Majd. A analyser son mobile apparent, cet acte traduirait – dans une logique proche de celle adoptée, en 1985, par Ahmed Ben Bella, en fondant le MDA – la mutation d'un homme qui aurait décidé, dans un examen de conscience lucide, de rompre – forcé, il faut bien le dire – avec son passé opaque et de s'adapter, en légaliste qu'il devint, aux règles du jeu induites par la nouvelle Constitution et aussi par les purges opérées au sein de la hiérarchie militaire de l'époque. Lorsqu'on le rapporte à son contexte, le recours à ce choix extrême et inattendu pourrait, également, s'expliquer par la volonté de l'homme de manifester, par un geste fort, son opposition à la décision du président Chadli Bendjedid de le démettre, le 9 septembre 1989, de ses fonctions de chef du gouvernement. Derrière le côté procédurier de sa protestation contre un décret jugé «anticonstitutionnel», il entendait, sûrement, montrer aussi sa déception face à l'ingratitude dont il fut payé, en retour, par l'homme qu'il avait placé, en 1979, en pole position, dans les starting-blocks de la course à la succession de son protecteur et père spirituel, le défunt président Houari Boumediène. Quant au fond de l'acte, en lui-même, il serait trop naïf de le réduire à une simple forfanterie par laquelle un haut responsable, éconduit, ripostait à sa mise à l'écart par ses adversaires. Youri Andropov, le chef de l'ex-KGB et bref successeur de Tchernenko s'était, également, reconverti dans la politique en prenant la tête du PCUS et de l'Etat – dans une posture différente de celle de Kasdi Merbah – en répondant à l'appel des derniers apparatchiks de l'URSS pour sauver le pays et l'empire d'un effondrement imminent ; avec la volonté de les réformer, selon un mode d'emploi interne, librement convenu, et non en appliquant une feuille de route dictée par les puissances occidentales, ainsi que l'avenir immédiat le confirmera avec la perestroïka et la glasnost de Mikhaïl Gorbatchev. Kasdi Merbah, directement interpellé par la crise algérienne des années 90 dont il connaissait, sans doute, les dessous secrets, avait été tenté de jouer – à un autre niveau et sous une casquette civile moins redoutée – un rôle similaire : préserver le pays de la guerre civile et, par là même, sauver son propre bilan et celui de l'ancien système des verdicts de l'Histoire. Ce rôle qui lui tissait une aura de sage réconciliateur et le prédestinait, dans les calculs probables de ce qui lui restait comme compagnons, à un rebond politique dont on ignorait les partenaires, l'agenda et le sens caché, n'avait pas de quoi rassurer les messianiques, ses anciens alliés, qui avaient été trop loin dans la voie de l'éradication pour accepter de faire volte-face. La menace qui pesait sur leur tête et sur l'avenir de leur stratégie n'était donc pas – selon eux – virtuelle, corroborée par le discours et les positions du Majd, l'un des rares partis à ne s'être pas associé au concert anti-islamiste des partis éradicateurs. La mort brutale – le 21 août 1993 – de l'ancien compagnon de Abdelhafid Boussouf, négociateur d'Evian, directeur de la sécurité militaire, secrétaire général du ministère de la Défense, ministre de l'Industrie lourde, de l'Agriculture et chef du gouvernement qui avait fait le pari de l'impossible en emportant avec lui les secrets de la Révolution et de la République, stupéfia les Algériens. Le parti Majd ne lui survécut pas. Son légataire présomptif, Abdelkader Merbah, le récupéra, sous une autre appellation – le Rassemblement patriotique républicain (RPR) – qui ne franchira pas les frontières des partis de l'allégeance périphérique. B) L'ALLIANCE NATIONALE REPUBLICAINE Les mêmes interrogations suscitées par la reconversion de Kasdi Merbah en chef de parti accueillirent l'entrée – en 1995 – dans l'arène partisane de l'autre négociateur d'Evian, Rédha Malek. Que venait faire dans cette galère l'ancien ambassadeur de l'Algérie auprès des capitales des grandes puissances, le président du Conseil consultatif, le membre du HCE, le ministre des Affaires étrangères et chef de gouvernement du président Liamine Zeroual ? Il n'avait, en principe, plus rien à ajouter à son palmarès. Essayiste et mémorialiste avec l'Empreinte des jours, Tradition et Révolution et L'Algérie à Evian : Histoire des négociations secrètes 1956-1962 ce bougiote d'ascendance, né à Batna, le 31 décembre 1931, licencié en philosophie et en lettres, était plus répertorié dans les catégories de l'Histoire, de la pensée et de la réflexion intellectuelle que dans celles de l'action partisane. Il avait raconté à l'auteur de ces lignes comment il reçut, en 1981, au siège de la représentation de l'Algérie aux Nations unies, à New York, le président de la République islamique d'Iran, Mohammad Ali Radjai, alors interdit d'entrer aux USA, en raison de la crise des otages américains retenus à Téhéran par les Pasdarans. En charge des intérêts iraniens aux Etats-Unis, l'ambassadeur d'Algérie à Washington qu'il était, invita le président iranien à consulter le dossier qu'il lui avait préparé sur l'état d'avancement des négociations placées sous les bons offices de l'Algérie. A sa surprise, celui-ci mit, de côté, le document et lui demanda de lui raconter, d'abord, la Révolution algérienne et les négociations d'Evian, ce qu'il fit toute la soirée. Tout le talent de Rédha Malek était là. Il était dans sa propension naturelle à être le narrateur prolixe des évènements dont il fut l'acteur direct ; la mémoire qui retenait le moindre détail, d'apparence mineure, mais qui avait son importance dans le récit global comme par exemple celui qu'il avait plaisir à évoquer, souvent, ce fameux stylo que Krim Belkacem sortait, chaque jour, «de la poche de son costume bleu à fines rayures claires» dans la voiture qui les amenait, tous les deux, au bâtiment abritant les négociations à Evian. «Vois-tu, Rédha, lui disait Krim, c'est avec ce stylo que je signerai les accords de cessez-le feu avec le gouvernement français». On ne sait pas trop ce que devint ce stylo mais le rappel de ces souvenirs révélateurs repose la question de savoir pourquoi leur précieux conservateur décide, à un moment aussi crucial de l'Histoire du pays, de se démarquer du régime avec lequel il s'était confondu toute une vie. Au risque de se laisser tomber dans les travers de la spéculation, l'analyste pencherait vers le même type de motivations que celles qui guidèrent Kasdi Merbah. Rédha Malek avait, probablement, succombé, à son tour, à un débordement d'affect provoqué par l'interdiction qui fut opposée à sa candidature aux élections présidentielles par un pouvoir qu'il avait servi avec une discipline exemplaire. Cette tentative d'explication est un peu courte quand on sait que le personnage, connu pour être bien solide sur ces appuis, en avait connu d'autres. Ce qui serait, par contre, plus instructif, c'est de savoir ce qui s'est, exactement, passé au HCE et ce que furent les véritables débats entre ceux qui voulaient négocier et composer avec l'AIS et ceux qui repoussaient le compromis plus enclins à soutenir la solution radicale résumée dans le fameux «la peur doit changer de camp» proféré par Rédha Malek dans un cimetière algérois. son boycott, solitaire, des élections législatives du 4 mai 2017 risque de lui coûter aussi cher qu'au PAGS, au FFS et au RCD, tenus longtemps éloignés, par le passé, des espaces de la concurrence électorale. Il aurait pu profiter de ces premières étrennes de son existence politique pour prendre l'exacte mesure de son enracinement électoral au lieu d'esquiver la confrontation avec ce qu'elle comporte de dangers quant à la préservation du terrain gagné jusque là ; enfin, le défi du rajeunissement annoncé – surtout au niveau de l'instance supérieure de direction – n'a pas été relevé, plusieurs anciens cadres des gouvernements du président Liamine Zeroual, eux aussi, septuagénaires figurent dans son organigramme ; d'autres partis ont, dans la même veine, été constitués par d'anciens ministres des gouvernements des présidents Chadli Bendjedid et Liamine Zeroual : le CCDR, déjà cité, fondé, avec l'appui des sénateurs démissionnaires Salah Boubnider et le Commandant Azzeddine, par Abdelhak Bererhi, ancien membre du comité central du FLN qui vient de publier le premier tome de ses mémoires Itinéraires : de l'université à la politique et l'Union des forces démocratiques et sociales (UFSD) présidé, dès 2012, par Nourreddine Bahbouh, ancien ministre de l'Agriculture et membre démissionnaire de la direction du RND, directeur de campagne de Mokdad Sifi à la présidentielles de 2009. Ultimes remarques au terme de ce chapitre consacré aux partis hétérodoxes des anciens dirigeants de l'Etat et du FLN : deux formations au moins, antagonistes par leurs projets de société – Wafa et le Front démocratique non agréés – ne sauraient être rangées parmi celles qui se revendiquent du néo- nationalisme, la première d'obédience islamiste, la seconde plus proche des versions RCD et ANR que de celles de Ahd 54 ou du Front national algérien ; la délivrance sélective des agréments contredit les intentions premières du pouvoir auquel on prêtait la volonté de mettre un trait définitif sur les règlements de comptes et l'exclusion arbitraire. On constate, plutôt, qu'en plus de l'application d'une règle non écrite qui continue d'interdire aux anciens dirigeants de premier rang de griller les lignes rouges, la distribution des autorisations d'activer vise, presqu'exclusivement, les intellectuels — historiques ou pas — au profit de la cohorte de dirigeants, formés sur le tas, qui encombre les allées d'une classe «pré-politique», comme El-Hachemi Cherif aimait à le répéter. Un signe, parmi d'autres, de la méfiance persistante cultivée par certains «décideurs» à l'endroit de l'intelligence de la Nation. 2 - LES PARTIS NEO-NATIONALISTES Les deux partis sortis du lot de ceux qui avaient adopté le credo du dépassement du FLN par la reprise de son flambeau, ressourcé aux fondamentaux, sont Ahd 54 et le Front national algérien. Tous deux, fondés par des enfants de chahid, s'étaient éloignés du FLN, en suivant une ligne indépendante. A) AHD 54 Ahd 54 est le fait de Fawzi Rebaïne, un opposant de la première heure, chef de file de l'association des fils et filles de chouhadas de la wilaya d'Alger puis de la Ligue des droits de l'homme, après sa détention dans les pénitenciers de Berrouaghia et de Lambèse, sous l'inculpation d'atteinte à la sûreté de l'Etat. Fort de cette double «légitimité» révolutionnaire et démocratique il se lance dans le militantisme partisan légal, dès 1991, non sans avoir mis en place, après les évènements d'Octobre 1988, un Conseil national contre la torture. Les Algériens reconnaissent, très bien, cet Algérois de 62 ans, fils de Fatima Ouzegane, candidat assidu à toutes les élections présidentielles et législatives, à son franc-parler qui domine son discours atypique. Il s'est constitué auprès du public, au vu de cette constance, un capital de sympathie qui n'a pas, toutefois, suffi à entraîner une adhésion franche à son programme nationaliste basé sur la défense des valeurs de la Révolution de Novembre et de la mémoire. Le score qu'il a obtenu à l'élection présidentielle de 2014 se situe au dessous de 1%. B) LE FRONT NATIONAL ALGERIEN Le FNA de Moussa Touati, transfuge de l'ANP, natif du Titteri, bien qu'ultérieur à Ahd 54 bénéficia d'une entame plus aboutie, puisqu'après 3 ans, seulement, d'activités, il remporte 8 sièges, en 2002, puis provoque la surprise, en 2007, avec 13 sièges — ses adversaires imputent ce succès à la confusion faite par les électeurs entre son sigle et celui du FLN —. Il se stabilisa, en 2012, au niveau de 9 sièges. Son discours, lui aussi, nationaliste, se singularise, par contre, par son populisme primaire – il se dit «parti des pauvres» — et des libertés prises avec la vérité qui lui ont fait dire, durant la campagne des législatives de mai 2017 qu'«on vit mieux au Maroc qu'en Algérie». A ces élections, il a présenté, dans la wilaya de Chlef, une liste composée, uniquement, de femmes, en application des dispositions de la Constitution de 2016, révisée, relatives au genre. Aux élections présidentielles de 2014, son leader n'obtient que 0,56% des voix. C) LE FRONT EL-MOUSTAQBAL ET EL-FADJR EL-DJADID Ces deux partis doivent leur naissance au déblocage du processus d'octroi des agréments ordonné par la Présidence de la République craignant de voir «les révolutions arabes» déborder les frontières de l'Algérie. Une vingtaine de formations nouvelles pour la plupart, totalement inconnues dans l'espace partisan, déjà saturé, profitèrent de cette levée d'interdiction maintenue pendant une dizaine d'années par Nourreddine Zerhouni, ministre de l'Intérieur et ancien directeur adjoint des services de renseignements sous le gouvernement du président Houari Boumediène et administrée, avec célérité, par Daho Ould Kablia, son successeur et non moins président de l'association des anciens du Malg. Le Front El-Moustaqbal (front de l'avenir) et El-Fadjr El-Djadid (l'aube nouvelle) qui firent partie de cette troisième et ultime cuvée du multipartisme, depuis 1989, se situèrent, comme leurs aînés, précédemment, cités, sur une position de défiance vis-à-vis du vieux courant nationaliste «perverti par le FLN» et à l'égard duquel ils se posèrent en alternative générationnelle appelée à le transcender. Moins prisonnier de la rigidité du discours d'El-Fadjr El-Djadid de Tahar Benbaïbache venu de la Coordination des enfants de chouhada et du RND dont il fut, avant Ahmed Ouyahia, le secrétaire général «désigné» par Mohamed Betchine, un de ses fondateurs, le Front El-Moustaqbal fort de l'expérience des luttes estudiantines de sa matrice, l'UNEA des années 80-90, a pris, dans la course au leadership du courant néo-nationaliste un avantage favorable. Il le démontra aux législatives de 2012 et, surtout, à la présidentielle de 2014, saisie par son dirigeant, Abdelaziz Belaïd, médecin de son état, pour populariser le «modèle» de ce que sera le politicien algérien de demain. Le scrutin de 2017 devra, en principe, confirmer et améliorer le vote «d'estime» qu'il recueillit, il y a cinq années, et qui le classa au surprenant troisième rang après le Président élu. El-Fadjr El-Djadid, membre du Pôle du changement de Ali Benflis s'était, pendant ce temps, occupé à se prémunir de toute espèce de volatilité opportuniste, en attendant de voir si sa participation — décidée contre l'avis de ses alliés — aux élections de 2017, avec des têtes de listes comme Ali Draâ, ancien directeur du journal L'Unité de l'Unja, et conseiller en communication de Mouloud Hamrouche, apportera ou non un changement dans l'image que l'opinion s'était faite de lui. E- LES OPPOSANTS NON PARTISANS Les opposants non partisans de l'ère constitutionnelle sont moins nombreux que ceux de l'opposition historique des premières années de l'indépendance. Et bien plus libres de leurs paroles, de leurs actes et de leurs mouvements. Le point qu'ils ont en commun avec leurs homologues partisans — Abdelhamid Brahimi, Rédha Malek, Kasdi Merbah, Sid Ahmed Ghozali, Ahmed Ouyahia et Ali Benflis — est d'avoir blanchi sous le harnais en gérant des situations exceptionnelles – état d'urgence, endettement extérieur, plan d'austérité du FMI, déstructuration du tissu industriel – dont ils ne furent jamais comptables. Ceux qui se sont, particulièrement, signalés, sous ce rapport, furent Mouloud Hamrouche (16) et Ahmed Benbitour – les plus constants – et Mokdad Sifi, sur un mode intermittent et plus mezzo voce. Tous trois donnèrent l'impression de se refuser à un engagement partisan qui les aurait, de toute évidence, soumis à des sujétions contraignantes limitatives de leur volonté de s'adresser, directement, au peuple. Ce à quoi ils ont préféré un statut de recours, du fait des responsabilités nationales qu'ils exercèrent à des moments charnières de l'Histoire mouvementée du pays. Mouloud Hamrouche avait, ainsi, pris de la distance par rapport au FLN de Abdelhamid Mehri pour mieux marquer l'autonomie de son gouvernement réformateur de 1989-91. L'opposition de ces dirigeants pour aussi nette et, parfois, très vive, qu'elle fut, ne dépassa pas le stade d'appels ou de déclarations centrés sur leur conception de la gouvernance, en débat au sein du pouvoir et de la société. Mouloud Hamrouche fut la personnalité qui en usa, le plus fréquemment, collectivement avec Hocine Aït Ahmed et Abdelhamid Mehri, à propos du Contrat de Rome, et, à titre individuel, sur les réformes institutionnelles qu'il prit soin de, toujours rattacher, implicitement, aux siennes propres orchestrées, sous son gouvernement, par Ghazi Hidouci, Bakhti Belaïb et Smaïl Gouméziane. Sur le 4e mandat et les révisions de la Constitution, il se montra plus incisif dans l'intention de tester la popularité de ses propositions et peut-être, également – à un moment où il était question de succession – de vérifier s'il existait, au sein de l'opinion, un mouvement favorable qui l'aurait incité à forcer un probable destin national. Il contrevint, une seule fois, à cette attitude de dirigeant en réserve de la République, au-dessus des partis, en se rendant à Mazafran (Zéralda) le premier grand forum – toutes mouvances confondues, en l'absence du PT et du FFS – organisé par une opposition au plus fort de sa dynamique offensive. Ahmed Benbitour, l'unique chef de gouvernement à s'être prévalu de l'exploit d'avoir démissionné, en tenant tête au président Abdelaziz Bouteflika, ne bénéficie pas du même courant de sympathie et se trouve, largement, défavorisé dans ses tentatives de gagner la bataille de l'opinion. Par manque de charisme et d'originalité, il constate qu'il n'a pas d'autre possibilité que de se réfugier derrière le paravent de l'opposition partisane dont il ne rate aucun conclave. Ces faiblesses l'ont dissuadé de présenter sa candidature aux présidentielles de 2014 après en avoir fait, le premier, l'annonce solennelle. A côté des opposants non partisans civils, il arriva au régime – du temps du bicéphalisme — de se faire fustiger par des officiers généraux de l'ANP en retraite. Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense et membre du HCE, opposé au 1er et 4e mandat, Rachid Benyellès, ancien général commandant des forces navales et ex-membre du bureau politique du FLN et Hocine Benhadid, général commandant des forces blindées et de l'Académie militaire interarmes de Cherchell, furent les plus véhéments, dans leur critique de la gouvernance du président Abdelaziz Bouteflika. Les coups d'Etat étant passés de mode, le procédé, abondamment, relayé par la presse écrite et électronique, manqua de déstabiliser le pouvoir avant qu'une loi ne vienne mettre un terme aux interventions des militaires dans la sphère politique. Ils sont, désormais, astreints à l'obligation de réserve pouvant encourir des peines de détention ainsi que Benhadid en fit l'expérience à la prison d'El-Harrach. Les partis ne détiennent pas à eux seuls le monopole de la contestation. La société civile (17) leur a emboîté le pas et va jusqu'à les concurrencer sur leur terrain depuis 2013, l'année où fut annoncée la candidature du président Bouteflika à un 4e mandat. De nombreux segments du mouvement associatif – Rafd, RAJ, ACVO 88, les associations des familles de victimes du terrorisme, El-Baraka — les syndicats autonomes – Fonction publique, Santé et Education – la presse écrite indépendante, les chaînes de télévision privées, la blogosphère utilisant tout les moyens – manifestations de rue, grèves, communication sur les réseaux sociaux – pour informer l'opinion publique sur leurs protestas. Ce phénomène ascendant tend à se généraliser et à s'installer dans le temps, volant la palme de l'efficacité aux partis pénalisés par le rachitisme de leurs bases et leur communication désincarnée par rapport au vécu et aux problèmes de la société. Le mouvement qui a fixé les luttes autonomes de plusieurs catégories socioprofessionnelles du pays a payé la rançon de son audace : plusieurs journaux empêchés de parution, des TV sanctionnées par des fermetures et des blogueurs emprisonnés, dont Tamalt décédé, en détention, accusé d'un délit que la loi ne punit pas d'emprisonnement. La répression de ces formes exogènes d'expression politiques n'a pas découragé la volonté des jeunes, de manifester leur aspiration au changement et au respect des libertés et des droits reconnus par la loi, le signe d'une prise de conscience qui augure d'une autogestion sociale des luttes en phase avec l'air du temps. B. M. (À suivre) Notes : 15) Ali Benflis, né le 8 septembre 1944 à Batna, ce fils et frère de chahid, auteur d'ouvrages dédiés à la mémoire de ses parents est un juriste de formation, avocat, magistrat et plusieurs fois ministre de la Justice, de 1988 à 1991 dans les gouvernements Merbah, Hamrouche et Ghozali. Cofondateur de la Ligue algérienne des droits de l'Homme, il désapprouve l'interruption du processus électoral et s'oriente vers le Parlement où il est élu député FLN en 1997. Directeur de campagne du candidat Abdelaziz Bouteflika, en 1999, il est secrétaire général puis chef de cabinet à la Présidence de la République et, enfin, chef de gouvernement en 2000 et Secrétaire Général en 2001. Encouragé, selon la vox populi, par le général Mohamed Lamari, chef d'état major de l'ANP, il postule à la Présidence de la République en 2004. Son brain-trust de campagne est composé, alors, de nombreux intellectuels, artistes, technocrates, anciens officiers de l'ANP et anciens ministres parmi lesquels : Chafik Mesbah, Abdelmadjid Bouzidi, Abdelmadjid Attar, Leïla Aslaoui, Boutheina Cheriet, Si Mohamed Baghdadi, Abdelhak Bererhi, Karim Younès, Lakhdar Hamina, Ahmed Rachedi, Nacer Djabi, Abdenour Keramane, Nazim Zouiouèche, Abdelaziz Djerad et Sellat, son directeur de campagne. Après un échec qui le désarçonna, il entre en hibernation d'où il ne réemergera qu'en 2014. Il est, de nouveau, candidat, à la présidentielle, crédité de plus de 12% de voix. Rassuré par ce regain de popularité, il fonde Talaïe El-Houriyate (l'avant-garde des libertés) agréé en 2015. Abdelkader Attaf et le colonel Ahmed Adimi l'assistent dans l'animation des activités du parti. 16) Mouloud Hamrouche appartient à une famille de moudjahidine et de chaouhada d'El-Harrouch (Nord Constantinois) où il est né en 1943. Lui-même jeune fidaï – à 17 ans – dans les commandos de Si Messaoud Boudjeriou – de son nom de guerre El-Ksentini – il est transféré en Tunisie puis en Irak où il suit une formation militaire. A l'indépendance il est officier instructeur puis diplômé de Sciences Po à l'IEP d'Alger. Directeur du protocole des présidents Boumediène et Chadli, il gravit les échelons de la hiérarchie du pouvoir – Secrétaire général à la Présidence de la République – puis dirige le gouvernement réformateur porteur de nouvelles idées dans la gestion de l'économie et l'organisation des institutions et de la presse. C'est ce gouvernement qui élabora les principaux textes de rupture avec l'économie administrée : loi sur la monnaie et le crédit, loi sur le commerce extérieur, loi sur l'orientation des entreprises. La libération de la presse, la suppression des ministères des moudjahidine et de la communication lui sont, également, dues. La révolte du FIS le place devant un grand dilemme. Il essaie de temporiser et autorise le stationnement des partisans du FIS sur les places publiques de la capitale. L'ANP le désavoue. Hostile à l'interruption du processus électoral, il est remplacé par Sid-Ahmed Ghozali. Il lance un appel à la paix avec les signataires du Contrat de Rome et apparait, depuis, de temps à autre, sur la scène nationale pour commenter l'actualité. Sans être entendu par la hiérarchie militaire qui ne lui pardonne pas ses positions contre les janviéristes. «Enfant du système» ainsi qu'il le déclare lui-même, il plaide pour sa transformation de l'intérieur. 17) Le mouvement associatif dont l'architecte fut El-Hadi Khediri, ministre de l'Intérieur et ancien DGSN, fut lancé avant les «associations à caractère politique». Il devait supplanter, sous une forme «libéralisée» le vieux système des organisations de masse effondré lors des évènements d'Octobre 1988 et dont l'un des symboles décrié était «l'Amicale des Algériens en Europe».