La jeune poétesse tunisienne Wafa Hmissi vient de publier le recueil Jasmin, pulsation et délire aux éditions algériennes Baghdadi. «Jasmin, pulsation et délire est loin d'être une poésie. C'est une vie», dit-elle à son sujet. L'ouvrage, un vrai cri du cœur, est riche d'une soixantaine de poèmes dont Au commencement était le verbe, Esmeralda, Lopadusa (un nom latin qui veut dire Lampedusa), Voilée, Vivre ou exister, et Un jour, il fera beau. Wafa Hmissi, cette «âme vagabonde dans les aléas de ce monde», nous parle de sa poésie, de son pays, cette «reine de la Méditerranée», et de la vie avec ses hauts et ses bas, ses désillusions et ses joies. Le Soir d'Algérie : Qui est Wafa Hmissi, en dehors de la poésie ? Wafa Hmissi : Je suis une jeune Tunisienne, professeure de français, résidant à Sousse. Je suis chercheuse et doctorante et je travaille sur le sujet de l'interculturel. Le brassage culturel et la découverte de l'autre sont la première passerelle vers le soi. C'est dans ces noces culturelles que des valeurs telles la solidarité, l'amour, la tolérance, la clémence, la richesse et la prospérité se répandent. Et c'est d'ailleurs pour cela que j'ai publié mon recueil en Algérie (aux éditions Baghdadi). Pour moi, l'Algérie n'est pas un pays voisin mais ma deuxième patrie. Le choix d'un éditeur algérien n'est pas un choix arbitraire, c'est un choix lourd de signification. A ce propos, voilà ce que j'ai écrit sur la biographie de l'auteur : «Ecrire une biographie est comme ramer dans des eaux profondes. Pouvons-nous tracer les lisières d'un auteur en quelques lignes ? Serons-nous fidèles à ses sillages, à la voie qu'il a choisie, à ses combats de vie et d'esprit ? Une problématique éternelle émerge et submerge nos pensées. Tant qu'à moi la femme qui se cherche et n'est jamais arrivée à tracer les rivages de sa terre, j'ai fini par me connaître et me présenter : ‘‘âme vagabonde dans les aléas de ce monde''. Me serai-je trompée ? Les aléas traversés auront, un de ces jours, la réponse.» Paroles, ce poème, révolutionnaire par sa forme, est une succession de lignes vides et à la fin, nous avons : «Déclama, un jour, un poète. » Est-ce une façon de donner au lecteur l'occasion de participer à votre recueil ? Mon poème paroles paraît, certes, un poème silencieux, mais c'est un poème qui livre plus qu'il ne cache. Il parle silence et dévoile, ce qui se cache dans les profondeurs de nous tous. Ainsi offre-t-il l'occasion aux autres de le remplir et l'écrire selon leurs propres états d'âme. Chaque lecteur est un poète, mais à sa manière. En comptant le nombre de vers et de strophes présentés sous forme de pointillés, l'ont se rend compte qu'il s'agit d'un sonnet : 2 quatrains et 2 tercets (4 vers + 4 vers + 3 vers + 3 vers )... C'est une critique indirecte des règles de la versification, mètres et rimes, jugulant l'acte de la création poétique et l'enfermant dans des codes et des règles traditionnels. L'acte de l'écriture est l'expression de sentiments les plus profonds et les plus révolutionnaires. C'est un acte de pure liberté. Enfin, ce poème est silence et tout ce qui est silence est grandissime. Les trois poèmes Changer, Grèves et Mon pays semblent liés à l'actualité. Est-ce exact ? Mon pays, Grèves et Changer sont des poèmes d'actualité retraçant la peine de la poétesse. Ils renferment une critique sociale, politique et idéologique. Le printemps arabe ou précisément tunisien devient un printemps de sang, de souffrance et de passivité. Au lieu de travailler et d'avancer, les jeunes préfèrent la paresse et les grèves comme forme d'ascension sociale et d'augmentation de salaires. Ce phénomène a participé à la dégradation de l'économie du pays (grève) et à la montée des profiteurs et de la contrebande. En outre, au lieu d'avancer, les jeunes ne cessent de continuer les mêmes pratiques misogynes en matant une fille, imaginant des histoires autour de sa vie et souillant sa réputation. Le chiffre «2011 péripéties», cité dans le poème changer, en dit long sur le déclenchement d'une révolution qui a tourné à ses dépens. Mon pays est mon cri contre cet ogre qui a piétiné ma terre, contre tout terrorisme. Un de vos poèmes est intitulé «Daesh va nu». Pourquoi ce titre ? L'extrémisme religieux est un fléau à combattre. Daesh va nu est l'expression de ma révolte contre les extrémistes en général, contre ceux qui considèrent la femme comme une esclave et la réduisent en un corps. Tout au long du recueil, la poésie est mon havre de paix, ma salvatrice. C'est sous ses chapiteaux que mon âme a su s'envoler.