Ce qui lui a permis de compter parmi les meilleures transmetteuses de la parole portée aux nues de l'universalité par le seul fait d'un don venu subrepticement l'habiter à un moment où elle s'y attendait le moins. Car Anissa a été victime d'ostracisme. Orpheline de son pays, elle se sent orpheline des autres poètes du monde... C'est après une fracture subie dans sa chair et dans son âme que cette fille est venue à la poésie enfouie en elle et qu'il fallait ressortir un jour sous peine d'en mourir d'étouffement. Une sorte de magie, d'exorcisme qui lui ont permis de sortir six publications éditées en France et au Canada qui portent la signature d'une femme qui a séduit des millions de Mexicains au festival de Morillos et dans deux autres Etats du Mexique où on l'appelait «Ama, Ama» (âme, âme). Des contrées d'où elle est rentrée en larmes, car c'était là le plus beau cadeau de sa vie, une vie mouvementée, tenaillée et lézardée parce que ainsi l'ont voulu les ennemis de la parole. Parce que Anissa a été saisie dans son âme et dans son être de fille écorchée vive. Sa poésie à fleur de peau s'inscrivait dans une philosophie universelle et touchait l'être où qu'il soit partout dans le monde après la traduction de ses poèmes et de ses contes kabyles en espagnol par le festival puis en Italie et dans certaines langues aussi. Ainsi, tout le monde pouvait accéder à sa poésie francophone mais aussi kabyle. Ce qui n'était pas évident pour une fille venue de l'univers des sciences. Et à part qu'elle soit une lectrice compulsive, le seul rapport qu'elle ait avec la poésie est ce transfert de curiosité et de pugnacité dans ses recherches. Et de la même manière qu'elle disséquait les molécules, elle épluchait les mots et les concepts de langue. Dans ses rencontres en France, Anissa est souvent accompagnée d'un musicien et la musique s'invite alors dans son univers poétique pour s'approprier ses textes magnifiés par la mélodie. Ce qui donne une énergie à sa parole féconde. Durant son épopée poétique, Anissa a même été accompagnée par Zahia Ziouani qui est connue pour être maintenant une grande chef d'orchestre. Mais la poésie de Anissa, qui se sent profondément algérienne, ne s'arrête pas uniquement à l'écriture. Elle donne de la berbérité et de la kabylité qui se rattrapent alors dans l'oralité. Parce que, de l'écriture, elle passe par la déclamation des textes qui restituent alors toute cette veine ancestrale. Car c'est à travers l'oralité que cette poésie a circulé. C'est une poésie savante qui ne s'arrête pas à l'écrit. Et il y a alors un rapport direct avec les gens parce qu'elle n'arrête pas de leur donner grâce à son expérience orale. Longtemps dans son enfance et âgée à peine de quelques mois, Anissa a été bercée par les chants de sa mère et les contes de grand-mère. Et du fond de son innocence puérile, elle a souri aux contes amusants et froncé les sourcils aux récits de misère et de méchanceté. C'est toute cette imagination débridée qui l'habite aujourd'hui. Et c'est cette poésie et cette littérature acquises pour avoir été professionnelle des ateliers qui a été retenue par les gens. Le sujet de l'ingratitude des siens réveille une grande blessure. C'est celle d'être absente dans son pays. Anissa, qui a porté sa voix à des univers étrangers insoupçonnables qu'elle n'a jamais pensé côtoyer un jour, est ignorée par les siens... Elle se sent orpheline de son pays dont son père, le grand révolutionnaire, feu Mohammedi Mohand Sadek qui fut coordinateur du FLN en France et initiateur des événements du 17 octobre 1961, était une figure emblématique de la Révolution . Dans un festival regroupant des poètes de renom venus de plusieurs pays du monde, son nom est pourtant associé à l'Algérie. Cette Algérienne de sang et de cœur est marginalisée par les institutions culturelles de son pays et de sa région qui ignorent son existence. Ce qu'elle vit très mal puisqu'elle estime que sa place devrait être ici, parmi les siens, ne serait-ce que par rapport au glorieux passé de son défunt père que toute l'Algérie connaissait. Anissa a aussi travaillé pour cette mémoire collective avant d'être familiale ou personnelle. La blessure de son papa qui est aussi le père de tous les Algériens accentue la douleur de la fille absente dans son pays alors que les autres pays lui ouvrent grands les bras au point de l'adopter grâce à cette poésie de l'exorcisme et de l'âme torturée. Elle est, certes, très fière de cette reconnaissance internationale sachant que la poésie n'est pas une chose que l'on fait facilement. Et celle de Anissa est faite dans cette profondeur par la richesse de ce qu'elle écrit. A-t-elle pour autant réussi à transmettre ce qu'elle a à donner aux siens ? Peu sûr, considérant le contexte, ce qu'elle vit d'ailleurs très mal. En écrivant ses premiers textes, elle savait qu'un jour, elle sillonnerait tous ces espaces et ces univers et qu'elle allait rencontrer autant de poètes qui se réunissent autour du même idéal, celui des valeurs de la vie. Un signe du destin reconnaît-elle, elle qui considère que ce n'est pas par le fait d'un quelconque talent qui a été développé dans la douleur. Confrontée et forgée par bien des épreuves, elle a hérité de ce don du ciel, habitée qu'elle est par la poésie. Si bien qu'elle ne contrôle plus son destin et que dans son cheminement solitaire, elle réalise des exploits, comme quoi la force de la parole peut être miraculeuse. En éditant le recueil de poésie en kabyle Anadhi, les premières portes auxquelles elle a frappé ce sont les associations berbères en France. Mais elle n'a pas été reçue avec la sollicitude voulue et la voilà contrariée dans ses projets, elle qui est passée de la poésie aux contes en publiant en 2013 un conte bilingue Qui est le roi de la forêt ?, ouvrage qui tarde à arriver en Algérie à cause de blocages. Mesure-t-elle l'importance de son exemple pour les femmes ? Anissa n'a pas le sentiment qu'on mesure. Elle, par contre, mesure et c'est le pays qui ne le mesure pas. En tant que femme kabyle dans une région où la tradition est lourde, il y a eu des événements très difficiles, ce pourquoi elle ne s'étonne pas que cette reconnaissance vienne d'ailleurs, consciente qu'elle est de ce qu'elle porte en tant qu'être humain. Ainsi, avec tout son parcours, cette femme qui a porté sa parole aussi loin dans le monde se résout à cette triste réalité de la solitude et de l'isolement. Est-ce là le prix à payer pour ne pas avoir vendu son âme au diable ? Elle revient aujourd'hui à la terre de ses ancêtres et elle espère ainsi que c'est ce qui va la réconcilier avec ses blessures. Anissa a aussi besoin de semer ses graines ici et de s'adresser à tout le peuple algérien pour lui dire que la mission de poète c'est de porter les valeurs de l'humanité. Et honnêtement elle pense les avoir portées au plus haut niveau et le plus loin possible. Ce n'est pas pour autant qu'elle ait la prétention de porter la parole de tout un peuple, mais elle ose espérer que beaucoup dans son pays se reconnaîtront dans sa parole.