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Insertion internationale de l'économie algérienne : sortir des logiques «extractives»
Publié dans Le Soir d'Algérie le 04 - 12 - 2017

La baisse des recettes extérieures du pays a poussé le gouvernement à engager, depuis quelques mois, une politique de réduction des importations en instituant des licences d'importation. Réponse bureaucratique à un problème économique, l'institution des licences d'importation révèle l'incapacité de notre pays à se doter d'une politique nationale cohérente et crédible dans ses relations économiques et commerciales avec le reste du monde. Cette mesure nous interpelle, par ailleurs, sur la question, combien importante, des choix politiques qui doivent accompagner les dynamiques constitutives de ce que l'on peut appeler le mode d'insertion internationale de l'économie nationale.
Rappelons que par mode d'insertion internationale de l'économie nationale il faut entendre l'ensemble des règles qui organisent les relations entre l'Etat-nation et le reste du monde, notamment en matière d'échanges de marchandises et de localisation des productions (via l'investissement direct) ou de financement des flux et soldes extérieurs(1). Il y a lieu également de noter à ce propos que les relations de l'Etat-nation avec le reste du monde résultent souvent de choix politiques. Ainsi, l'Etat-nation peut décider du choix d'un régime commercial à travers le contrôle des diverses composantes des tarifs douaniers, définir les modalités d'accueil de l'investissement direct, fixer des règles en matière d'investissement de portefeuille, choisir un régime de change..., autant d'options qui définissent la modalité d'insertion internationale, et qui s'introduisent en vue de gérer les relations avec le reste du monde. Ces règles sont transformées et redéfinies mais ne sont nullement détruites par le processus de mondialisation auquel nous assistons ces dernières années.
Le mode d'insertion internationale de l'économie a donc plusieurs composantes dont les configurations respectives diffèrent d'un pays à un autre. En Algérie, ces composantes présentent la particularité d'instituer et d'entretenir une logique extractive cantonnant le pays dans le rôle passif de fournisseur de matières premières ou de simple débouché aux biens et services venus d'ailleurs. Il en va ainsi de la question des échanges commerciaux avec le reste du monde, de l'investissement direct étranger et, question souvent occultée dans le débat public, de la gestion du taux de change de la monnaie nationale.
Une ouverture inconsidérée
Le début de la décennie 90 verra l'amorce d'un processus rapide et brusque d'ouverture extérieure, souvent le fait de pressions externes.
Dès 1991, le monopole de l'Etat sur le commerce extérieur fut supprimé. Cette ouverture fut renforcée dans le cadre de l'accord d'association avec l'Union européenne, contraignant le pays à une libéralisation poussée de son commerce extérieur.
Les effets de l'intoxication pétrolière sur la structure des exportations, loin de diminuer, se sont, quant à eux, renforcés. Les données statistiques montrent en effet que le secteur des hydrocarbures demeure encore le facteur essentiel, pour ne pas dire exclusif, de l'insertion internationale de l'économie algérienne, tendance que la politique de libéralisation a, selon toute apparence, accentuée.
L'avènement d'une conjoncture favorable sur le marché pétrolier mondial à partir de 1999 permet, certes, au pays de consolider sa position macroéconomique extérieure au point où il devient, à partir de 2002, un créancier net sur le reste du monde(2), mais cela ne semble pas avoir donné lieu à une prise de conscience sur l'impératif de revoir la politique commerciale extérieure du pays. Aujourd'hui, d'aucuns considèrent que l'Algérie est allée trop loin dans l'ouverture commerciale extérieure au point où l'espace économique national est devenu un véritable «déversoir» pour toutes sortes de marchandises venues d'ailleurs.
Le capital étranger, un agent rentier
L'investissement direct étranger (IDE), autre composante essentielle du mode d'insertion dans l'économie mondiale, fait l'objet, depuis 1999, d'un intérêt politique et médiatique sans commune mesure avec son apport réel à l'économie.
La présence de ce type d'investissement s'est révélée en effet fort modeste, pour ne pas dire insignifiante.
Que faut-il retenir de significatif lorsque l'on se penche sur le bilan de plus de deux décennies de «présence» du capital étranger en Algérie? Essentiellement, deux éléments : une présence fort timide par son volume et un déploiement sectoriel porté par une logique davantage «extractive» que créatrice de valeur.
Par leur volume, les IDE réalisés demeurent insignifiants au regard des potentialités du pays. De 1999 à 2015, les montants d'IDE effectivement réalisés n'ont pas dépassé 16,5 milliards de $, soit une moyenne annuelle de l'ordre de 1 milliard de $, correspondant à moins de 1% du PIB par an en moyenne.
Par secteurs, la présence de l'IDE s'est limitée, dans les faits, à des activités «extractives», dont évidemment le secteur pétrolier, mais aussi les services comme les télécommunications, les marchés publics de la construction et des travaux publics, les matériaux de construction et les médicaments. Fait notable, les IDE se sont rarement portés sur le secteur dit des «échangeables», i.e. les activités soumises à une concurrence étrangère. Globalement, et pour résumer une situation fort préjudiciable aux intérêts de notre pays, les IDE ont agi comme de véritables pompes à aspirer les liquidités internationales du pays.
Nous devons enfin admettre que si le déploiement du capital étranger présente une telle configuration, c'est sans doute parce que l'IDE en Algérie n'est pas soumis à des priorités nationales. L'absence de régulation étatique au niveau des orientations sectorielles des investissements ainsi qu'au niveau du régime des participations dans la propriété expliquent sans doute la prédominance du caractère essentiellement «extractif» de l'investissement étranger. La prédominance du comportement de recherche de rente qui caractérise l'action du capital étranger n'est par ailleurs pas spécifique à ce dernier : elle est une caractéristique du comportement de l'ensemble des acteurs de l'accumulation, à commencer par le capital privé national. Ainsi, lorsque la logique «extractive» du capital étranger ne trouve pas à se déployer directement par la voie commerciale, elle emprunte le détour du montage industriel, en association avec le capital privé national, comme c'est présentement le cas du secteur automobile.
Une monnaie surévaluée
Ce qui vient d'être dit des contraintes liées à l'ouverture commerciale peut être élargi à l'autre composante constitutive de l'insertion internationale : le taux de change. La détermination du taux de change est, contrairement à ce que l'on entend souvent, une décision éminemment politique. Cela est d'autant plus vrai que nous sommes dans une situation où l'essentiel des ressources en devises provient de l'exportation d'une ressource minière, propriété de l'Etat. Au même titre que l'ouverture commerciale et le démantèlement douanier, la surévaluation de la monnaie nationale, puisque c'est de cela essentiellement qu'il s'agit dans le cas d'une économie rentière, est une configuration porteuse des mêmes périls que ceux qu'on vient d'évoquer, de sorte que c'est la promotion d'un régime de croissance autonome de la rente qui s'en trouve compromise.
En effet, dans un régime rentier, le taux de change est un élément qui détermine dans une grande mesure la nature du projet économique et politique que l'autorité politique se propose de mettre en œuvre. Souvent, dans ce type de régimes, c'est la logique distributive qui prime. Cela se traduit dans les faits par une surévaluation structurelle de la monnaie nationale, surévaluation rendue possible par la disponibilité de la rente externe. Pour des raisons qui relèvent davantage de considérations politiques, la valeur de la monnaie nationale est instrumentalisée par l'Etat pour servir de moyen pour satisfaire les différentes demandes sociales qui lui sont adressées. La logique distributive, inhérente aux régimes rentiers, favorise la pratique d'un taux de change surévalué.
A contrario, la sous-évaluation de la monnaie est une situation qui, bien que rarement observée dans le régime rentier, tend à contrecarrer la logique distributive.
Si l'on examine l'histoire économique récente de l'Algérie, il semble clair que la politique de taux de change a joué un rôle déterminant dans l'orientation de la demande intérieure vers la production étrangère au détriment de la production domestique, qui s'en est trouvée du coup asphyxiée. De même qu'elle a sans doute grandement contribué à faire en sorte que l'allocation des capacités domestiques de production s'opère en faveur des activités à l'abri de la concurrence étrangère (services, BTP,...) au détriment des activités industrielles et manufacturières en particulier. Nous retrouvons là, évidemment, une configuration qui rappelle celle déjà prédite et abondamment décrite par la fameuse théorie du syndrome hollandais.
Conclusion
Le marasme économique qui touche aujourd'hui notre pays n'est sans doute pas sans lien avec les choix de politique économique de l'Etat. Ces derniers se présentent comme une combinaison périlleuse associant un libéralisme puéril sur le plan externe et un étatisme stérile sur le plan interne.
Dans ces conditions, il est illusoire d'espérer que notre économie prenne la trajectoire vertueuse de l'émergence, que beaucoup d'autres pays ont réussi à emprunter, lorsque l'essentiel de la politique économique de l'Etat se résume à une ouverture inconsidérée des frontières extérieures du pays au moment où, à l'échelle interne, les mécanismes incitatifs de marché sont bloqués, gelés ou carrément combattus.
Les expériences de certains pays qui ont réussi à sortir de la trappe du sous-développement montrent toutes que l'un des enjeux de tout processus de développement est la capacité du pays considéré à articuler favorablement et intelligemment ses mécanismes internes de régulation économique et sociale avec les contraintes et opportunités qui naissent de son insertion internationale.
De ce point de vue, la trajectoire économique de l'Algérie durant la décennie 2000 montre que, faute de politique appropriée, le pays n'a pas su tirer profit de l'embellie pétrolière et que, en définitive, avoir de l'argent ne suffit pas pour construire une capacité à créer des richesses, à fournir de l'emploi.(3)
B. S.
* Enseignant à l'université de Tizi-Ouzou. Auteur de La crise du régime rentier, essai sur une Algérie qui stagne, éditions Frantz-Fanon, 2017.
Notes :
1) R. Boyer, Théorie de la régulation 1. Les fondamentaux. Editions La Découverte, Paris, 2004, p. 39.
2) A partir de 2002, le montant des réserves de change est supérieur à celui de la dette extérieure, tendance qui se renforcera tout au long des années 2000 et jusqu'à nos jours.
3) H. Aït Amara, Ouverture de l'économie à l'international, dans El Watan Economie, édition du 16/10/2006.


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