La Banque mondiale publie aujourd'hui son nouveau rapport sur la "gouvernance mondiale". Il passe en revue 209 pays en fonction de 352 crit�res, fournis par la Banque elle-m�me mais aussi 30 autres organisations comme l'universit� de Columbia, la fondation Freedom House ou le cabinet d'audit PriceWaterhouseCoopers. Un gros travail statistique a �t� fait pour mesurer le plus objectivement possible cette "bonne gouvernance". Daniel Kaufmann, le directeur du projet, tire le bilan : "L'am�lioration des conditions de vie est le r�sultat d'une meilleure gouvernance, et non l'inverse." C'est la d�mocratie qui prime, pas l'�conomie. Et si l'aide au d�veloppement du Sud passait par l'ing�rence du Nord ? Par quoi faut-il commencer ? Par le d�veloppement �conomique ou par l'installation de la d�mocratie ? Faut-il attendre que la prosp�rit� d�bouche naturellement, avec le temps, sur la libert� qui n'est alors, en somme, qu'un luxe de riches ? Ou faut-il, au contraire, pousser les exigences de l'Etat de droit parce qu'il est un acc�l�rateur, voire un pr�alable, � la croissance �conomique ? Le d�bat a longtemps partag� les �conomistes. Leur tendance est, par m�tier, de croire que l'�conomie prime sur le reste. Privil�giant le d�veloppement, ils proposent donc d'aider les pays du Sud sans regarder (ou trop regarder) leurs pratiques politiques. Les gouvernements sont eux aussi enclins � rallier cette th�se de la primaut� de l'�conomie. Non par conviction, pour ce qui les concerne, mais par convenance. Les gouvernements du Sud ne veulent pas qu'on mette le nez dans leurs affaires. Les gouvernements du Nord veulent pouvoir jouer des relations diplomatiques d'Etat � Etat, sans conditions autres que celles qu'ils d�cident. Les uns et les autres ont tort. En voici un exemple racont� par le New York Times, quotidien am�ricain, la semaine derni�re. L'Afrique va mal. Le Kenya a des richesses agricoles, des fleurs, des fruits et des l�gumes. Mais l'Etat est rong� par la corruption. La violence est dans les rues. A Sauri, petit village du sud, un quart des habitants est infect� par le sida. Il y a six ans, Anne Omolo arrive pour prendre la direction de l'�cole primaire. Les 500 �l�ves sont mis�reux, l'absent�isme est record. Leur probl�me est la faim. Anne Omolo essaie de trouver de la nourriture mais la pauvret� est g�n�rale. Elle d�cide, avec dix autres instituteurs, d'y aller de sa poche. Comme elle ne peut nourrir tout le monde, elle doit se r�soudre � l'horreur : faire un choix. Elle privil�gie les deux classes les plus �g�es. Comme le raconte le New York Times, "les autres enfants se sont mis � la fen�tre pour voir les grands manger". Le r�sultat ne s'est pas fait attendre. Le taux de pr�sence des �l�ves remonte � 100 %. La r�ussite scolaire suit. Dans le district, l'�cole de Sauri passe de la 68e place en 2000 � la 7e en 2004 et, sans doute, � la 1re cette ann�e. Le village va mieux. Les agriculteurs acceptent les conseils d'agronomes. La productivit� des fermes monte. Les r�coltes font dispara�tre la faim. Libert�s et d�mocratie incontournable Sauri a �t� choisi comme village mod�le par la Banque mondiale, avec Koraro, en Ethiopie. Les habitants recevront directement, sans passer par le gouvernement de Nairobi, 250 000 dollars d'aide annuelle pour poursuivre la modernisation de leurs petites fermes. L'�ducation a �t� le point de d�part. L'aide ext�rieure aussi (celle d'Anne Omolo). Mais le d�blocage du d�veloppement est venu du syst�me scolaire, en somme, d'une bonne gouvernance d'une partie (saine) des pouvoirs publics. Cet exemple vaut r�gle g�n�rale. Mais pour le lot commun, de la Bosnie au Mexique, du Ghana au P�rou, les analyses de la Banque mondiale sont nettes : la bonne gouvernance "d�bouche sur des conditions de vie meilleures et sur une r�duction renforc�e de la pauvret�". Le progr�s est d'autant plus recommandable qu'il est rapidement efficace. C'est le deuxi�me enseignement du rapport. L'am�lioration des droits, l'efficacit� de l'administration, la lutte contre la corruption, l'all�gement des juridictions ou le respect des contrats peuvent payer en six ou huit ans. Ces libert�s sont indispensables pour convaincre les gouvernements du Nord, comme les Etats-Unis, qui conditionnent leur aide aux avanc�es de la d�mocratie mais, surtout, les investisseurs priv�s. Les entreprises �trang�res ne veulent pas moins d'Etat en Afrique, elles veulent au contraire des Etats efficaces, dot�s d'institutions p�rennes et respect�es. La Banque mondiale qui, il y a dix ans, ne jurait que par la lib�ralisation et les privatisations en vient aujourd'hui � mettre la bonne gouvernance au cœur du d�veloppement. Elle comprend que la diff�rence se joue l� : un bon Etat peut � terme "multiplier par deux ou trois" le PIB par t�te d'un pays. Mais si certains progressent, d'autres reculent. C'est le troisi�me enseignement du rapport : � l'�chelle mondiale, la qualit� moyenne de la gouvernance stagne. Au moment o� l'on (re) d�couvre l'importance des r�gulations publiques, le constat se fait de leur pauvret�. Le contenu du rapport est un appel au Nord pour qu'il r�oriente ses politiques et encourage le Sud � renforcer le droit et la d�mocratie. Les Etats- Unis se f�liciteront de ce rapport qui justifie leur politique d'installation de la d�mocratie. Les partisans du "devoir d'ing�rence" des d�mocraties dans les pays sous-d�velopp�s en crise ou "faillis" trouveront l� un argument de poids : une intervention n'est pas seulement utile en cas de guerre ou de tsunami, elle serait b�n�fique, en temps de paix, au d�veloppement �conomique et social. Installer la d�mocratie, c'est la meilleure des politiques d'aide, selon les adeptes de la "Gouvernance mondiale". Mais c'est principalement l'affaire des populations concern�es, sans ing�rence aucune.