La wilaya d'Adrar compte � elle seule 167 associations. Il a pourtant suffi d'un petit groupe de jeunes exasp�r�s par leur d�nuement social pour la mettre � feu en peu de temps. Quelle force reconna�tre alors au mouvement associatif dans l'organisation ou l'encadrement de la soci�t� ? Quel impact exerce-t- il sur elle ? En r�gle g�n�rale, l'action collective passe par les associations parce qu'une partie des activit�s humaines ne peut �tre prise en charge par le secteur priv� ou marchand (les entreprises), alors que les services publics classiques peinent � s'adapter aux besoins de proximit�. De l'humanitaire � la religion et au sport, en passant par la culture ou l'�ducation, le champ occup� par les associations est immense. Elles sont le r�v�lateur des nouveaux besoins sociaux et participent � l'�volution des politiques publiques; mais elles travaillent aussi largement sur fonds publics, en tant qu'ex�cutantes de politiques d�cid�es par l'Etat ou les collectivit�s locales, ce qui suppose qu'elles soient performantes et rendent compte de leur action. C'est pourquoi elles sont soumises � agr�ment pr�fectoral ou minist�riel qui rel�ve du v�ritable parcours du combattant o� interf�rent l'int�r�t, l'all�geance, l'instrumentation, etc. Partout l'�tat des lieux reste � faire mais tous h�sitent � s'y aventurer, � l'exception du secteur de la jeunesse et des sports o� M. Yahia Guidoum a entrepris une expertise financi�re de tous les clubs, � commencer par ceux du sport roi, le football, dont le fort potentiel d'entra�nement les pr�dispose � "tirer" tous les autres. Force est de dire que le mouvement associatif est tout aussi saucissonn� que vassalis�, qu'il ne dispose pas de force de proposition ou d'action, ni de cr�ativit�. C'est le filet ou l'alternative � l'action politique qu'on ressuscite la veille des grandes �ch�ances �lectorales �moment privil�gi� pour la r�surrection d'associations dormantes en vue de "success stories" folkloriques sans travail de fond. C'est aussi le moment idoine pour collecter des fonds dispens�s de fa�on occulte. Les canots de la solidarit� et du dialogue se brisent souvent sur les r�cifs de la rente*. A sa d�charge, notre pays ne fait pas exception au reste du monde. Partout ailleurs, la remont�e triomphale du lib�ralisme �conomique, � partir des ann�es 80, s'est accompagn�e d'un basculement id�ologique qui a remis au go�t du jour l'av�nement d'une soci�t� civile dynamique, form�e par de multiples associations locales autonomes face � un Etat contraint, lui aussi, � revoir ses pr�rogatives � la baisse. Dans le monde arabo-musulman, la tendance g�n�rale a �t� au repli sur soi et au retour au souvenir d'une grandeur perdue et jamais retrouv�e. Avec la baisse des modes traditionnels de repr�sentation, comme la syndicalisation, les hommes �prouvent de plus en plus de mal � se projeter � long terme. Le mouvement ouvrier a perdu sa centralit� avec l'effondrement de l'Union sovi�tique et du bloc de l'Est. Le mouvement de lib�ration national aussi, apr�s avoir �t� ramen� � de vulgaires caricatures de dictatures banani�res. Les nouvelles identit�s sont de moins en moins professionnelles ou de classes, elles ne cherchent plus en priorit� la redistribution des richesses ou l'acc�s aux centres de d�cision, mais portent des aspirations plus qualitatives souvent labellis�es comme "nouveaux mouvements sociaux". Ce basculement a remis aux placards les visions anciennes sommairement rassembl�es sous le terme de holistique (du grec holos, "tout entier", au sens o� l'homme doit �tre �tudi� dans un syst�me global), au profit de l'individualisme m�thodologique, un courant qui consid�re que les ph�nom�nes sociaux doivent �tre expliqu�s par la rationalit� des individus Les entreprises investissent aujourd'hui massivement les clubs sportifs, notamment de football, et les stades. Ici, le don ne profite plus aux causes qui ne sont pas vendables en termes d'image. Comme le parrainage ou le sponsoring, le m�c�nat n'est jamais philanthropique et les grands annonceurs le consid�rent comme des investissements dont on doit pouvoir mesurer le retour; leur g�n�rosit� fluctue alors en fonction de leur sant� �conomique, de leurs besoins de communication et des ph�nom�nes de mode. Outre les collectivit�s locales (APC et APW) et les m�c�nes, quatre grands minist�res sont dispensateurs de subsides : la Jeunesse et les Sports, la Solidarit� et l'Emploi, l'Int�rieur et la Famille. C'est le tonneau des Danaides. Au hit-parade de la course effr�n�e aux pr�bendes, il y a les associations sportives fra�chement et maladroitement converties aux lois impitoyables du march�, d'une part, et les chasseurs de voix, d'autre part. Hors hi�rarchie, mais toujours dans l'espace l�gal, il y a les associations des droits de l'homme. La plus frondeuse de toutes reste la LADDH que pr�side Me Ali Yahia Abdenour. En pr�vision de la tenue de son congr�s, les 15 et 16 septembre prochain, la LADDH vient de lancer un appel � contribution financi�re qu'elle rattache explicitement � la qu�te d'un "r�le d'alerte et de critique" qu'elle entend assumer de fa�on "ind�pendante du pouvoir et des partis politiques, et repr�sentative d'une soci�t� civile qui g�rerait elle-m�me ses affaires". Toutefois, une hirondelle ne fait pas le printemps et l'argent investit de plus en plus la sph�re associative, au risque de pervertir la formation d'une soci�t� civile � laquelle se rattache si fi�rement Me Ali Yahia Abdenour. L'ind�pendance, le financement et la vitalit� des associations offrent un premier faisceau d'indices qui renseigne sur la nature et la qualit� de la soci�t� civile. Bien que le terme de soci�t� civile existe depuis le XVIe si�cle, sa consistance est de nos jours assez vague. On a tendance, a priori, � la d�finir par ce qu'elle n'est pas : ni l'Etat ni un acteur �conomique priv� : les groupes qui la forment ne cherchent pas la maximisation du profit, n'appartiennent pas � l'appareil d'Etat et ne veulent pas � en prendre le contr�le. Plus positivement, on peut d�finir la soci�t� civile comme le rassemblement de personnes cherchant, dans le cadre d'une association volontaire, � produire des normes et des r�gles dans une soci�t�. On a alors souvent et naturellement tendance � opposer Etat et soci�t� civile, alors que tout est imbrication. En effet, cette opposition va � l'encontre de la fa�on dont ont toujours �t� coproduites les politiques publiques : par des �changes, institutionnalis�es ou non, entre les divers groupes ou associations et les administrations. L'ambigu�t� vient de ce que les associations qui assurent une utilit� sociale d�sirent �tre reconnues et soutenues financi�rement, sans perdre pour autant leur ind�pendance, tandis que l'Etat entend l�gitimement contr�ler l'utilisation des fonds publics ou des fonds obtenus par appel � la g�n�rosit� du public, exige pour sa part une vraie transparence et attend un retour sur investissement. Il est du bon droit des pouvoirs publics de le faire pour d'autres raisons que la manipulation des �lections ou l'usage de l'argent public. La vitalit� des structures associatives (en termes de nombre d'adh�sions et d'activit�s couvertes), les comportements civiques ou collectifs et les attitudes (la confiance dans ses concitoyens et dans les institutions), mesurent une autre nouvelle cat�gorie d'importance : le capital social. L'expression signifie que la coh�sion du tissu social repose sur des obligations mutuelles, qui ne sont pas simplement des contacts; ils produisent une r�ciprocit� sp�cifique et, surtout, une r�ciprocit� g�n�rale plus efficiente qu'une soci�t� m�fiante, de la m�me fa�on que la monnaie est plus efficiente que le troc. C'est la condition premi�re d'une soci�t� solidaire. * Paraphrase de ces vers de Maiakovski : "Les canots de l'amour se sont bris�s sur les r�cifs de la vie quotidienne."