Pas moyen de trouver une plage potable entre Azzefoun et B�ja�a. M�me pas la cossue Boulimat, belle de loin comme un mirage. Quand tu es devant, c'est quasiment le cloaque. D�sol� de te parler comme �a, mais je ne trouve pas de mots civilis�s pour te dire cette d�cr�pitude. Le Petit-Paradis est toujours aussi Petit mais c'est tout. Azaghar, c'est le maquis. Tu franchis la barri�re, un gars � la casquette douteuse te donne un ticket minuscule, puis il empoche 50 DA et te laisse aller ton chemin vers une sorte de terrain vague jonch� de sacs poubelles, de bouteilles en plastique et d'autres immondices inconnues des chercheurs en poubelles antiques. Une fois que tu as parcouru tout cela, tu t'affales sur une plage qui n'est ni de gravier, ni de sable mais tout simplement de terre. Il me souvient pourtant qu'il y eut du sable ici. Mais on a d� le mobiliser pour la solidarit� nationale. A moins qu'on l'ait offert comme truc humanitaire pour venir en aide � des peuples fr�res menac�s par la famine. Le fait est que le sable s'est �vapor�. Mon copain Mustapha me raconte que, dans une plage � l'ouest d'Alger, les pilleurs de sable embarquent leur client pour qu'il choisisse sur place celui qui leur convient. A charge pour eux de lui livrer. C'est un peu comme un self-service. Vous le voulez comment, votre sable ? A point ? Comme une sorte d'aur�ole qui vient l�cher la gr�ve, une pellicule de salet�s, de souillures, de pollutions, de saloperies, un m�lange gluant de d�jections de toutes sortes et de machins chimiques, surnage. Quand tu te payes un plongeon, tu te surprends la t�te dans le cambouis. Mais tu n'es pas oblig� de te soumettre � un tel masochisme. Tu peux entrer dans le parking qui ressemble � une carri�re abandonn�e, faire un tour pour v�rifier si la mer est toujours � sa place et aller voir ailleurs. Mais ailleurs, rien � voir d'autre. M�me topo partout. Des gus qui se dressent comme des sentinelles � l'entr�e de plages pollu�es jusqu'� un mile du rivage, encaissent de l'argent contre rien et ou alors contre quelque chose que tu ne comprends pas, la rage de se faire ran�onner et le bonheur d'�tre chez soi : c'est mieux, chez soi. Au moins, on est chez soi. Chez soi, toujours. Tu entres dans B�ja�a par le cap Carbon comme Alice au pays des merveilles. On voit bien que le mec qui a d�coup� la c�te n'a rien � voir avec l'architecte qui a con�u cette affreuset� qui balafre Boghni � une sorte d'immeuble carc�ral, laur�at d'un concours de mauvais go�t. Tu descends Oussama, ce village qui surplombe la ville, et te voil� coinc� dans la circulation. Les cort�ges nuptiaux font le rod�o sur un tron�on de bitume qui va se perdre dans la for�t d'immeubles d'Ihadaden. Tu bifurques, toi. Tu ne fais que �a, bifurquer. Tu longes le port et tu prends la direction de Jijel. A tout hasard, tu peux faire un coucou � Djamel Allem qui p�che pour le fun du c�t� des Salines avec sa barque de p�cheur. Apr�s le pont qui enjambe la Soummam finissant sa course, tu prends � droite. Le bouchon commence juste apr�s l'escalier. Un autre copain t'explique que cet indescriptible enchev�trement de bagnoles folles qui avancent au pas est d� � la multiplication par dix de la population du littoral en cette saison. Mais c'est d� aussi, et peut-�tre surtout, � la surpopulation de Tychy. Il faut voir �a. On devrait organiser des visites pour ajouter � sa culture g�n�rale la compr�hension de ce ph�nom�ne architectural que repr�sente cette cit� au nom bizarre : Capri Tour. C'est une incongruit� de banlieue d�guis�e en village de vacances. Moi qui ai grandi dans une cit�, la cit� des Eucalyptus, pour ne pas le dire, pr�s de Badjarrah, j'ai toujours r�v� d'habiter au bord de la mer. En voyant Capri Tour, je me dis qu'il est moins bizarre finalement de construire la mer � Badjarrah qu'une cit� qui lui ressemble au bord de la mer. Mais je pr�f�re retirer tout ce que je viens de dire. Il y en a qui aiment. Il y en a qui n'ont pas le choix. Il y en a surtout qui s'irritent de cette fa�on de se d�crire au chalumeau. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Une fois cela dit, je ne comprends toujours pas l'�tat d'abandon dans lequel on laisse ce pays. Il y a des plages sales pour l'acc�s desquelles des gens propres font payer. Ils font quoi de ce fric, de ton fric ? Ils le th�saurisent ? Ils te prennent cinquante dinars, les rangent, laissent les plages dans l'�tat lamentable o� tu les a trouv�es et reviennent le lendemain te redemander la m�me somme. Quand tu payes une amende, tu es au moins pr�sum� coupable d'une contravention. Mais, l�, c'est quoi ? Pareil pour le stationnement. Partout o� tu vas, un gus se pr�sente et te prend une pi�ce. Tu payes quoi, l� ? Sans doute la pr�vention contre le risque qu'il te fait courir, lui. Il le sait. Tu le sais. Le flic du coin le sait. Son chef aussi le sait. Le ministre le sait m�me s'il ne lui arrive pour ainsi dire jamais de recourir au stationnement � la diable. Son chef le sait. Mais tout le monde te dit : que peux-tu faire ? Que peux-tu faire est une tr�s tr�s bonne question. Cette anecdote me revient. Un jour, ce devait �tre en 1990, j'ai vu Rouiched au festival de Carthage. Il venait de faire un tour dans Tunis et en est revenu songeur. On aime ou on n'aime pas Tunis, mais on ne peut pas ne pas reconna�tre que la ville est propre et agr�able. Voil� Rouiched qui dit : �Autrefois, Alger �tait aussi propre. On remplissait des camions citernes d'eau de mer et on la d�versait du haut de La Casbah. L'eau retournait � la mer en ayant charri� toutes les salet�s de la ville. Mais � l'ind�pendance, les Fran�ais ont emport� la mer�. A. M. P. S. d'ici : le d�c�s de Hachemi Cherif est un sale coup. C'est une �poque qui finit avec lui. Il avait raison, mille fois raison avec Brecht sur ceci : �Le ventre est encore f�cond d'o� est sortie la b�te immonde.� Affection � sa famille et � ses camarades. P. S. de l�-bas : la chronique de la semaine derni�re m'a valu une vol�e de bois vert. Je me suis fait traiter de tous les noms pour mon manque patent de patriotisme. Mais j'aime mon douar d'origine, je t'assure. Et je n'ai � le prouver � personne. Le dire comme �a est d�j� une corv�e et une violation de mon intimit�.