Quinze ann�es d��aventure intellectuelle �, comme le qualifia jadis un certain Premier ministre de Chadli (1). Avec la naissance du Soir d�Alg�rie, en septembre 1990, la presse alg�rienne inaugurait alors une nouvelle �re. Celle qui la mettait en phase avec les grandes mutations que la revendication d�octobre 1988 imposa aux principaux centres du pouvoir. Aussi bien ceux qui jusque-l� monopolisaient �la v�rit� id�ologique que la tentaculaire bureaucratie d�Etat. Mais que reste-t-il aujourd�hui de cet affranchissement, qui apparaissait alors comme irr�versible et sur lequel planent actuellement d�inqui�tantes menaces ? La plupart des professionnels de ce secteur ne cessent de se poser la m�me question que le contexte politique rend ponctuellement vitale. Car la judiciarisation effr�n�e de tout acte d��criture d�plaisant aux puissants et l�embastillement notoirement ill�gal du plus repr�sentatif des journalistes ayant contribu� � lib�rer cette presse sont des signaux qui alimentent les doutes et les peurs. La syst�matisation du harc�lement des journaux ind�pendants fait d�sormais partie de la panoplie des instruments de chantage de l�actuel pouvoir. Pourtant celui-ci �prouve, en d�pit de tout, d��normes difficult�s � brider cette libert� d�expression comme il a pu le faire dans le champ politique o� il parvint � laminer les courants de l�opposition. C�est que, contrairement � l��mergence des partis, la presse libre a �t� avant tout une conqu�te apr�s un long combat � l�int�rieur des structures m�mes de la communication officielle, il y a quinze ann�es de cela�� Temporellement, cela ne boucle m�me pas deux d�cennies et pourtant les premiers balbutiements de la libert� d�expression semblent remonter � une �poque lointaine. L�on peut expliquer cette rapide consolidation de l�exp�rience par l�acc�l�ration de l�histoire du pays qui a contribu� � faire m�rir une corporation dans le feu de la r�sistance. Ce qui n�est pas un bapt�me d�apprentis mais l�unique alternative � la survie quasi physique. La presse alg�rienne a connu d�abord la mort avant de d�couvrir le cachot politique. Longtemps relais croupion d�un appareil d�Etat arrogant et d�un parti omniscient, elle �pongera vite le d�ficit de cr�dit qu�elle avait aupr�s de l�opinion. Dans une joyeuse pagaille codifi�e par de vagues textes r�glementaires, para�tront en moins de deux ans (1990- 1991) des dizaines de p�riodiques (quotidiens et hebdos notamment), � l��criture journalistique peu orthodoxe mais qui, sans doute, signifiant qu�il fallait rompre avec la langue de bois officielle et la rh�torique compass�e du r�gime d�avant 1988 C��tait alors l�enfance d�une communication n�e au forceps mais � laquelle il fallait donner un cadre �thique et des moyens mat�riels afin d�en faire un �l�ment constitutif de la d�mocratie et un levier des libert�s politiques. Or, les pouvoirs successifs se sont toujours arrang�s pour la brider, c'est-�-dire de corrompre son ind�pendance en modulant la contribution de l�Etat et surtout en verrouillant d�finitivement le secteur audiovisuel, consid�r� � ce jour comme le pr�-carr� de sa propagande d�o� sont exclus partis d�opposition et opinions contradictoires. Depuis 1988, cette presse dans son ensemble a �t� encadr�e ou plut�t r�gent�e par des codes chaque fois plus restrictifs. Le premier, h�ritage d�une l�gislation d�inspiration hautement bureaucratique, fut qualifi� avec d�rision par les professionnels de �code p�nal�.Quant au second, il sera concoct� � la h�te et dans la confusion doctrinale qui pr�valait au sommet de l�Etat en 1990-1991. Gu�re meilleur que le pr�c�dent, il ne fournissait aucune perspective � cette profession. Enfin, avec l�actuel texte qui renforce le caract�re p�nal, nous nous acheminons vers un retour � l�auto-censure dans les r�dactions. C�est dire que, depuis le chadlisme d�clinant jusqu�au bouteflikisme triomphant, le rapport presse- pouvoir a, en permanence, �t� marqu� par l�affrontement. La multiplication des l�gislations dont aucune ne r�sista au temps est la preuve qu�un code � lui seul ne suffit pas � harmoniser cette relation, du moins avec la presse �crite qui refusera par suspicion fond�e tout projet o� non seulement elle ne sera pas associ�e mais plus encore l�inspiratrice principale. Aujourd�hui, les journaux ind�pendants sont pr�occup�s par ces p�rils que sont les monopoles anachroniques de la publicit� et des imprimeries ; mais �galement par ce d�bat de fond relatif � l��thique journalistique. Vaste et in�puisable. Car entre la froide d�finition p�nale de l�atteinte � la dignit� d�autrui et les intangibles exigences de la v�rit� que r�v�le le journaliste, le juge charg� de trancher est toujours en peine de faire la part des choses. Aussi dans ce domaine, tous les codes demeureront imparfaits tant que les m�urs politiques ne se seront pas assainis et qu�elles laissent transpara�tre � l�occasion le fait qu�elles se soucient peu du bien public ou qu�elles fassent du mensonge la r�gle d�or de leur gouvernance. En effet, si nos traditions politiques sont ce qu�elles sont aujourd�hui et si l��thique qui irrigue notre presse est parfois prise en faute, c�est parce que nos gouvernants sont avant tout des manipulateurs qui ont plus d�une raison � ce que l�opinion publique soit d�sinform�e. La pr�sence d�une presse qui tente de prendre le contre-pied du discours rassurant des dirigeants ne peut par cons�quent que lui valoir le traitement humiliant des tribunaux au seul motif qu�elle est �diffamation �. Bouc �missaire r�guli�rement d�sign� comme la source de tous les maux de ce pays, elle n�est tol�r�e que lorsqu�elle exerce sa mission d�informer sous la dict�e des princes. L�inclination de ces derniers � cacher les turpitudes de leur magist�re s�accommode mal des journaux qui r�v�lent quelques-unes de ces facettes. A la lire r�guli�rement, cette presse n�est ni graveleuse ni mensong�re comme l�on s�efforce de l�accuser. Elle serait m�me bien plus scrupuleuse vis-�-vis de la v�rit� que ne le sont les dirigeants eux-m�mes. C�est souvent gr�ce aux r�v�lations qu�elle a publi�es que cette r�publique a pr�serv� un tant soit peu de morale dans les terribles moments de doute. Quand les dirigeants politiques reprochent � la presse son manque d��thique alors que la morale de l�Etat est souvent �clabouss�e par des pratiques peu recommandables, cela ne constitue-t-il pas le pire des travers des princes ? Car la crainte majeure d��tre confondus par leurs fautes et leurs erreurs les pousse � s�inventer des ennemis sur mesure. La presse indocile n�est-elle pas un excellent alibi ? Mais pour combien de temps ? Celui qu�il faut �. comme dit l�humoriste, pour changer nos m�urs politiques. En attendant, Montesquieu nous aide � comprendre cette n�cessit� quand il �crit : �Carthage p�rit parce que lorsqu�il fallut retrancher les abus, elle ne put souffrir la main de son Hannibal m�me. Ath�nes tomba parce que ses erreurs lui parurent si douces qu�elle ne voulut pas en gu�rir ; et les r�publiques d�Italie qui se vantent de la perp�tuit� de leur gouvernement ne doivent se vanter que de la perp�tuit� de leur abus.�