J'ai �t� rassur� de lire cette information, rapport�e par Libert�, selon laquelle la DGSN s'est donn� pour mission de traquer les g�neurs des je�neurs. D'abord, me suis-je dit sans doute un peu assomm� par l'�loignement continu de l'heure de la rupture du jeun, s'ils s'attaquent aux g�neurs des je�neurs c'est que, ma foi, ils ont �radiqu� tout le mal du monde. Il n'y a plus aucun d�linquant � interpeller. Pas un dealer � se mettre sous la menotte. Pas un col blanc � blanchir davantage sous le harnais. Pas m�me un journaliste � qui rabattre le caquet. Ils doivent s'ennuyer � mort, b�iller aux corneilles en se demandant quelle est la meilleure fa�on de meubler le temps poreux du car�me. �a en deviendrait bigrement inqui�tant, s'ils n'ont vraiment plus rien d'autre � faire, nos gardiens de la paix et, depuis peu, de la r�conciliation nationale. Je croyais avoir compris que si le centre d'Alger est devenu un coupe-gorge, que si on te pique ton portable � l'ombre m�me de la caskita, si on te d�leste de ton portefeuille dans l'axe du commissariat central, si la criminalit� prend ces proportions o� tu n'es plus en s�curit� que chez toi, et encore, �a d�pend o� tu habites, c'�tait parce qu'il n'y avait pas assez de personnel dans la police nationale. Eh bien, non ! Une fois de plus, tu tapes � c�t�. Il y en a tellement dans notre pays poliment polic� qu'on peut se permettre le luxe de surveiller les g�neurs des je�neurs. L'histoire ne nous dit pas ce qu'ils encourent, ces g�neurs de je�neurs. Elle ne nous dit pas non plus en quoi consiste le d�lit de g�ne du je�neur, et qu'est-ce qui rend un g�neur de je�neurs pr�cis�ment g�neur de j�uneurs. Comme l'actualit� laisse au journaliste autant de temps que la criminalit� au policier, ne faut-il pas tuer le temps qui nous s�pare d'el adan � imaginer quelles sont les situations dans lesquelles un citoyen ou une citoyenne ordinaire devient, sans le vouloir et peut-�tre sans le savoir, un g�neur de je�neurs ? Tracer une sorte de code civil tacite aidera assur�ment nos pandores � faire leur travail dans les meilleures conditions de respect des libert�s garanties par la Constitution. Un balourd qui sort cigarette au bec en pleine rue grouillante de je�neurs, il faut bien s�r l'arr�ter et l'emmener illico prendre une douche sous el finga. Si le balourd en question ne fume pas dans la transparence, qui est le credo politique de notre r�gime, mais que son haleine f�lonne trahit un fond de tabac, il faut mobiliser la police scientifique et d�terminer l'heure exacte de la fumette. Si l'odeur est un r�sidu olfactif datant du shour, le coupable encourt le reproche de ne s'�tre pas bross� les dents. Si, en revanche, la prise de tabac est post�rieure ne serait-ce que d'une seconde � la fin de la r�cr�ation, le fait devient un d�lit et le d�lit un crime qui se lave sous el finga. Comme le l�gislateur est en distrait � ce moment, � cause de ce que vous savez, il y aura forc�ment des cas de figure o� nos flics charg�s de traquer les g�neurs de je�neurs vont devoir jouer les jurisconsultes. Ils devront m�me, � coup s�r, faire acte de jurisprudence et reconna�tre derri�re le quidam anonyme, anodin, quelconque, innocent ou feignent de l'�tre, l'horrible g�neur des je�neurs, l'abominable homme des neiges, le mouton noir, l'ours blanc, l'ennemi public num�ro un, le gibier de potence. Dans une lecture minimaliste de la chose, ils ne devraient avoir aucun boulot � faire, ce qui est conforme � notre nature sociale de fa�on g�n�rale et pendant le Ramadhan plus particuli�rement. Oui, vous voyez, vous, dans l'Alg�rie de 2005, quelqu'un venir carr�ment et inani mastiquer sa garantita irr�dentiste dans la rue, au vu et au su des je�neurs vigilants ? Vous imaginez, vous, un inconscient faisant safa et el maroua dans les jeunes rues de notre royaume de je�neurs qui n'aiment pas �tre g�n�s aux entournures en expulsant des volutes de Rym qui font comme une aur�ole d'ange au-dessus de sa t�te ? Inconcevable ! Inimaginable ! Impensable ! �a ne rentre pas dans la caboche, cette histoire ! M�me un fanatique de science-fiction aura du mal � rendre cr�dible une telle folie. Notre industrie mentale industrialisante qui a, depuis l'ind�pendance, gagn� tr�s largement la bataille de la production et le d�fi de la productivit� dans la fabrication de fous de toutes sortes, accuse une lacune qui rend sans objet la note de la DGSN lue par le petit bout de la lorgnette. Dans l'immense asile peaufin� avec soin par nos gouvernants, il n'y a pas un seul cas de pathologie susceptible de g�ner les je�neurs sans contestation aucune. Personne n'est assez fou pour fumer ou bouffer publiquement, en disant que la Constitution, garantissant la libert� de conscience, il y a des citoyens alg�riens qui n'observent pas les prescriptions religieuses ou qui observent des prescriptions d'autres religions. Personne ne le fera. Si c'est cette cat�gorie de fous qui est cibl�e, autant donner un cong� de 29 jours aux �quipes form�es pour d�tecter les g�neurs de je�neurs. L'occasion faisant le larron, il va falloir fabriquer sur le tas les g�neurs de je�neurs comme nagu�re on fabriqua des d�bauch�s qui osaient d�jeuner avec une coll�gue de travail sans �tre munis d'un livret de famille. On les baptisa, ceux-l�, les d�jeuneurs g�n�s. Comment faire pour fabriquer des g�neurs de je�neurs de sorte � rendre opportune la note ramadanesque ? Il faut laisser s'exprimer sur le terrain la cr�ativit� des �quipes de traque des g�neurs. Ainsi pourquoi ne pas s�vir sur cette jeune femme qui conduit sa voiture par temps de Ramadhan, cas de figure non pr�vu par le code de la route ? Si un je�neur est jeune est qu'en plus il est � jeun, �a le g�nerait beaucoup dans son �l�vation spirituelle, le spectacle de cette jeune femme splendide dans sa voiture. D'ailleurs, je te jure, Zekri, l'imam de la rue des Arcades, l'a dit dans son pr�ne post-adan. Il l'a dit, un point c'est tout ! Et si lui le dit, lui qui conna�t autant le Coran que les bagnoles, c'est que cette jeune femme g�ne le je�neur dans son jeun, quelle que soit la marque de la bagnole qu'elle conduit. Encore, Zekri est gentil, ce n'est pas comme l'autre, le taliban, le salafiste venu d'Arabie Saoudite. Il dit comme �a que m�me quand elle ne conduit pas de voiture, la femme g�ne le je�neur. Son existence m�me g�ne le je�neur qui se divertit de sa mystique pour regarder l� o� il ne faut pas. En Arabie Saoudite, o� les femmes n'ont pas le droit de conduire des voitures avant, pendant et apr�s le Ramadhan, tu vois, les policiers n'ont pas � traquer les g�neurs de je�neurs pour les matraquer. Si une malheureuse ou un malheureux se faisait prendre, on lui coupe quelque chose. Maintenant, dans la torpeur du Ramadhan qui rend les gestes mous et les pens�es vaporeuses, il faut s'interroger quand m�me sur ce qui s'est pass� pour que l'on en arrive l�. Il est vrai que ce genre de comportement inquisitorial, on l'observait d�j� du temps de Ben Bella et son socialisme de la chorba pour tous. Petit � petit, par des glissements difficilement r�versibles, des compromissions, des d�missions, on a acquis l'insigne singularit� d'�tre le pays o� des �communes islamiques� nargu�rent pendant une ann�e l'impuissant �d�mocratique et populaire� inscrit au fronton de notre d�magogie, o� un pr�sident de Parlement parla nagu�re au nom d'une r�publique islamique en voilant la d�nomination officielle de la r�publique, o� on envoie au trou des couples qui ont oubli� leur carnet de famille dans la veste laiss�e accroch�e derri�re la porte parce que de pauvres petits croyants � l'�me sensible et la lame n�anmoins sanguinolente sont �branl�s par l'�ventualit� qu'une femme ne soit pas la femme de l'homme que voil�. Je ne sais pas si cette cat�gorie de je�neurs qui, eux, tout en je�nant, multiplient les prix par deux ou trois pour faire saigner la bourse des je�neurs les plus pauvres, et les plus nombreux, seront consid�r�s comme des g�neurs de je�neurs. Ceux qui paup�risent encore plus les pauvres, qui les humilient, sont-ce donc des g�neurs qui tombent sous le coup de la note ? La traque des g�neurs de je�neurs peut aller loin. Qu'elle vire tout de go � l'arbitraire, c'est s�r et c'est d�j� fait. Mais �a s'arr�te o�, l'inquisition ? �a s'arr�te o�, la diversion ? Dans la r�publique r�concili�e et paisible, il est temps de traquer ce qui g�ne r�ellement les je�neurs. C'est pas les vrais probl�mes qui manquent, disait l'autre autrefois !