Au matin du dimanche 13 novembre 2005, le cardinal Jos� Saraiva Martins, pr�fet de la Congr�gation pour les causes des saints, c�l�brait au nom du pape en la Basilique vaticane la messe de b�atification du serviteur de Dieu Charles de Foucauld, pr�tre qui v�cut de 1858 � 1916. Apr�s la messe, Beno�t XVI est venu v�n�rer les reliques des nouveaux bienheureux, adresser un salut � l'assembl�e et donner sa b�n�diction. Le Saint-P�re a d'abord rendu gr�ce � Dieu pour le t�moignage de Charles de Foucauld : �Par sa vie contemplative et cach�e � Nazareth, il a rencontr� la v�rit� de l'humanit� de J�sus, nous invitant � contempler le myst�re de l'Incarnation; en ce lieu, il a appris beaucoup sur le Seigneur, qu'il voulait suivre avec humilit� et pauvret�. Il a d�couvert que J�sus, venu nous rejoindre dans notre humanit�, nous invite � la fraternit� universelle, qu'il a v�cue plus tard au Sahara, � l'amour dont le Christ nous a donn� l'exemple. Comme pr�tre, il a mis l'Eucharistie et l'Evangile au centre de son existence�. Voil� donc Charles de Foucauld b�atifi� �rig� au rang de �bienheureux� par un acte solennel du pape, c'est-�-dire un homme dont les m�rites et les vertus ont admis � un culte plus restreint que celui r�serv� aux saints canonis�s. Le Saint Si�ge a ainsi fix� la vie de Charles de Foucauld : le Sud saharien o� il est mort, tu� le 1er d�cembre 1916 par son gardien touareg de 15 ans affol� par des bruits suspects (une autre version soutient qu'il a �t� assassin� � la porte de son ermitage, par des rebelles qui voulaient le prendre en otage), et Nazareth, un village de Galil�e o� il imita pendant trois ans, en ermite et dans la privation, la �vie cach�e� du Christ. L'�v�nement est pass� inaper�u chez nous. Ce n'est heureusement pas le cas en France, sa patrie d'origine, qu'il a servie jusqu'� son dernier souffle. Le quotidien Le Monde s'interrogeait, le lendemain de sa b�atification : �Fallait-il b�atifier, devant le gotha de l'Eglise et de la France officielle, ce militaire douteux, ce h�ros improbable, cet homme d'aventures qui br�la la vie par tous les bouts, mais la finit comme un saint au milieu des Touaregs ? Jamais on n'avait vu tant de r�ticences � une b�atification dans les rangs m�mes des fils spirituels de Foucauld. �Canonisons d'abord les exclus, les clandestins du sud du Sahara qui meurent, par centaines, dans ce d�sert en essayant de gagner l'Europe�, proteste un Petit Fr�re de J�sus. Des dizaines de biographies ont �t� �crites sur ce personnage de roman, mais il reste une �nigme.� Est-ce r�ellement une �nigme ? Ou simplement un adepte en son temps du pape Alexandre VI qui, en 1493, partagea la Terre entre l'Espagne et le Portugal � le m�ridien situ� � 370 lieues de l'ouest de l'archipel du Cap-Vert formant la limite entre les deux Empires : � l'ouest tout appartient � l'Espagne, � l'est tout au Portugal. Il fallait que �la religion catholique f�t exalt�e et partout r�pandue, et que les nations barbares soient soumises � la Foi�. L'Espagne et le Portugal, qui dominaient les mers, devaient s'en charger. Sauf qu'en son temps, c'est la France, �la fille a�n�e de l'Eglise�, qui devait le faire en Alg�rie. Tout dans ses abondants �crits � dont 15 000 pages de correspondance � confirme cette th�se. Charles de Foucauld a vu le jour � Strasbourg le 15 septembre 1858, dans une famille aristocratique, qu'il quitta � dix-huit ans pour rejoindre l'�cole militaire de Saint-Cyr, puis l'�cole de cavalerie de Saumur. C'est d'ailleurs dans un r�giment militaire, le 4e chasseurs d'Afrique, et non � la t�te d'une association de bienfaisance qu'il connut Alg�rie. Il appr�cia d'abord ses femmes et en abusa m�me au point d'�tre ray� des effectifs militaires et renvoy� en France o� il d�pensa un somptueux h�ritage familial dans les f�tes et les casinos. En r�int�grant l'arm�e, il n'est apparemment qu'un indic : il fait partie d'une mission de reconnaissance dans un Maroc rebelle et farouchement hostile � la colonisation fran�aise, d�guis� en rabbin. Le �petit fr�re� des Touaregs de Tamanrasset connut le Sud alg�rien, � partir de 1902, en compagnie du commandant Laperrine. A quarante-trois ans, il exer�a son minist�re en ermite � Beni-Abb�s, puis en missionnaire � Tamanrasset, dans le Hoggar, d�cid� � �apprivoiser� des populations �barbares� �ignorantes� ou �infid�les� d'un pays �o� tout est mensonge, duplicit�, ruse, convoitise, violence� et qu'il r�ve par ailleurs �d'amener � J�sus.� Il est sur les pas de Mgr Dupuch, premier �v�que d'Alger, en qui Tocqueville d�cela tr�s vite �une pointe de charlatanisme� et qui s'affiche ostensiblement derri�re les arm�es, dans le sillage de rubans de feu et de sang. �Quels liens unissent nos milices � la leur, nous qui lui devons tant et portant la croix derri�re leurs �tendards?�, savourait-il alors. Nul autre grand publiciste du Second Empire que son ami Poujoulat ne traduit si bien le r�ve Mgr Dupuch : �La lutte entre le christianisme et l'islam est la derni�re grande lutte de ce monde (.) Ce qui est en jeu, c'est la cause immortelle des id�es chr�tiennes auxquelles Dieu a promis l'empire du monde et dont le g�nie fran�ais est le moyen providentiel. L'esprit catholique devrait f�conder ce chaos qu'on nomme l'Alg�rie et vivifier cette terre une seule fois et pour toujours.� Il est �galement sur les pas du cardinal Lavigerie qui b�nit la famine de 1868 et dont une commission parlementaire d�plora le manque de charit� quatre ans plus tard, ainsi de l'abb� Burzart dont la turpitude est franchement �tal�e dans son Histoire des D�sastres, publi� � Alger en 1869. La conversion des musulmans apparut impossible � tous. �La conversion � grand renfort de publicit� et de dames de charit�, de quelques centaines d'orphelins fam�liques, l'installation des j�suites � El Biar ou des trappistes sur leurs 3.000 hectares de Staou�li, tout cela n'�tait que pi�tre compensation aux espoirs de Rome�, rel�ve courageusement Michel Habart dans Histoire d'un parjure, un document dans lequel il relate sous un angle in�dit et bien souvent peu connu l'ambiance du microcosme parisien au moment de la prise d'Alger. Ces cas semblent avoir fait illusion comme Chanteclair, coq de la fable fran�aise qui pense que le soleil se l�ve le matin parce qu'il pousse son cocorico. Ceux qui s'int�ressent � Charles de Foucauld ou le v�n�rent se rassureront toutefois � l'id�e que de nombreuses fraternit�s et communaut�s chr�tiennes se r�clament de lui (Petits Fr�res et Petites S�urs de J�sus, Fr�res de l'Evangile, Petites S�urs du Sacr� C�ur, Fraternit� Charles de Foucauld) et que deux films lui ont �t� consacr�s, tous deux r�alis�s par L�on Poirier : l'Appel du silence (1935) et La route de l'inconnu(1947). Cela rel�ve peut-�tre du simple hasard, mais la b�atification de Charles de Foucauld est pour le moins inopportune. Elle co�ncide avec l'adoption de la loi fran�aise reconnaissant la mission �civilisatrice� de la colonisation, qu'un mus�e de la pr�sence fran�aise en Alg�rie doit prochainement immortaliser � Montpellier, dans un ancien b�timent de l'arm�e, l'h�tel Montcalm, rachet� par la ville en 2002 pour deux millions d'euros. C'est peut-�tre pour faire oublier que l'id�e de ce mus�e a �t� �mise il y a quinze ans par le socialiste Georges Fr�che, tonitruant maire de la ville jusqu'en avril 2000, que le groupe socialiste � l'Assembl�e nationale a r�cemment d�pos� une proposition de loi visant � abroger l'article 4 de la loi du 23 f�vrier 2005 �portant reconnaissance de la nation envers les rapatri�s�. De m�me que cette b�atification co�ncide avec l'intensification des efforts d'�vang�lisation de certaines r�gions de notre pays. Il y a donc trop de co�ncidences pour ne pas croire � une programmation soigneusement orchestr�e, sur fond de d�voiement de l'Islam par les hordes int�gristes qui ont fini par achever toute id�e de r�forme et en donner au reste du monde une image d'intol�rance, d'exclusion et de terreur. Une chose est la lutte des id�es, si �pre que soient les divergences, dans le d�bat sur la signification des ph�nom�nes sociaux et autres, sur les moyens d'atteindre les id�aux partag�s par un groupe, une communaut� ou une entit�, sur les m�rites ou les faiblesses d'un syst�me ou d'un r�gime. Autre chose est de pr�cher la guerre et la haine, la calomnie et la rumeur, la subversion et le crime, pour faire planer sur les libert�s d�mocratiques le spectre de nouvelles inquisitions. Sommes-nous fatalement pr�destin�s � subir tous les int�grismes religieux ? N'y a-t-il pas une sorte de mal�diction qui souffle en permanence sur le ciel d'Alg�rie, emp�chant ses paisibles habitants � vivre leur foi dans l'amour, la mod�ration et le respect d'autrui ? Tamanrasset n'est pas pr�s d'�tre une terre de p�lerinage chr�tien, pas plus qu'Alger n'a �t� La Mecque des r�volutionnaires ou que les fetwas de jeunes apprentis sorciers n'ont pu restaurer la grandeur perdue d'un Islam qui a plus que jamais besoin des Lumi�res de ses r�formateurs.