Comment ne pas voir dans cette indignation populaire arabe si tardive qu'elle est le r�sultat d'une manipulation classique des foules. Les caricatures offensantes envers l'Islam ont �t� publi�es, pour la premi�re fois, il y a plus de quatre mois. Depuis, il y a eu beaucoup d'occasions de donner libre cours � la fureur populaire. Les Saoudiens, d'abord, nos ma�tres � penser, qui ont observ� le silence avant de sonner le rassemblement des col�res. Ils avaient deux occasions r�v�es pour donner de la voix : le sommet des pays islamiques organis� chez eux et le p�lerinage traditionnel � La Mecque. Rien ! Peut-�tre que nos grands fr�res saoudiens avaient la t�te ailleurs, qu'en cette p�riode de fin d'ann�e, le Danemark avait encore quelques charmes. On peut voir aussi dans cette indignation programm�e le r�sultat de la conjoncture politique : la victoire du Hamas palestinien et les rodomontades du pr�sident iranien. Quoi qu'il en soit, les tenants de l'islam politique ont encore exploit� � fond le filon sous la houlette saoudienne. De tous les pays musulmans, ont jailli les anath�mes et les incantations, avec les d�bordements d'usage. Les offens�s se sont fait offenseurs, selon les degr�s de sinc�rit� et de col�re. Des pr�cheurs se sont laiss�s emporter jusqu'� lancer des formules insultantes, s'en prenant aux m�urs et aux traditions du peuple danois. Le guide spirituel des Arabes au Qatar ; cheikh Karadhawi, a pris la t�te de ce que l'universitaire tunisienne Raja Benslama a appel� la �croisade � rebours�. Encore une fois, le ressort unanimiste et irrationnel de la �Oumma� agress�e a jou� � fond. Curieusement, la tonalit� discordante est venue des cadres de l'islam politique. Tarik Ramadhan, l'islamiste bon chic bon genre tel qu'il s'est impos� en Europe, a soign� son image : il a estim� que les r�actions arabes et musulmanes aux caricatures danoises �taient �exag�r�es�. Il a appel� � un d�bat serein et rationnel et il a condamn� les appels au boycott et au meurtre. Tarik Ramadhan s'est �galement interrog� sur les ressorts politiques de ces r�actions qui interviennent avec trois mois de retard. Il s'est �galement d�clar� inquiet devant �la dangereuse polarisation qui commence � s'imposer et qui encourage l'extr�misme des deux c�t�s�. Plus directe, la Tunisienne Raja Benslama trouve ces r�actions �caricaturales�. �Imaginez, dit-elle, des cohortes de combattants arm�es de pied en cap, mobilis�es et galvanis�es par des slogans religieux pour se battre contre un moustique. Avec la conviction que ce moustique est un facteur de destruction massive pour leur pays et qu'il viole leurs sanctuaires et leurs croyances�. �Nous voulons prouver chaque jour au monde que l'Islam n'a rien � voir avec le terrorisme et avec les terroristes, souligne Raja Benslama. Que les terroristes qui �pouvantent des innocents partout n'ont rien � voir avec l'Islam. Nous voulons montrer que l'Islam est une religion d'amour et de tol�rance. Au lieu de cela, nous fournissons tous les jours la preuve que l'Islam que nous voulons et que nous d�fendons est celui qui pousse � la confrontation avec autrui. Qui m�ne � une croisade � rebours, vers une voie �troite et au repli sur soi th�ologique�. �Est-ce que les caricatures causent vraiment un pr�judice � l'Islam? interroge Raja Benslama. Est-ce que le nombre des musulmans a diminu�, est-ce que les musulmans ont quitt� l'Islam en masse apr�s la publication des Versets sataniques de Salman Rushdie? Et avant, est-ce que l'Islam s'est effondr� � cause des �crits des h�t�rodoxes et des �uvres po�tiques satiriques et suspicieuses de Abu Nawas, Omar Khayam et Al- Maari ? �Nous sommes en droit de formuler des doutes sur la foi de ces gens qui poussent des cris de col�re. Si le croyant a la foi chevill�e au corps, il n'a cure de l'opinion des autres concernant ses convictions religieuses. Ensuite, que reste-t-il � Dieu si les croyants s'�rigent en juges sur la terre avant le Jugement dernier ? poursuit Raja Benslama. Si les musulmans croyants respectent l'interdiction de reproduire l'image des proph�tes et des compagnons, pourquoi veulent-ils imposer cette interdiction aux autres ? A ceux qui se sont oppos�s au pouvoir des religieux durant des si�cles pour conqu�rir la libert� d'opinion et de croyance�. Dans le m�me ordre d'id�es, le sociologue jordanien Chaker Naboulci pense lui aussi que les caricatures danoises ne sont qu'un pr�texte. �C'est le f�tu de paille qui a bris� le dos du chameau, comme on dit, �crit-il dans le quotidien kowe�tien Al-Siassa. La position occidentale � l'�gard du nucl�aire iranien, de la victoire du Hamas, du d�sarmement du Hezbollah et de l'ensemble de la crise du monde arabe. C'est tout cela qui a fait exploser cette �odyss�e� caricaturale. La preuve est que ces caricatures ont �t� publi�es en septembre dernier, soit depuis cinq mois, sans que personne en entende parler�. Chaker Naboulci cite lui aussi l'exemple des Versets sataniques de Salman Rushdie �qui ont eu un plus grand retentissement et caus� plus de torts � l'Islam et � son Noble Proph�te que ces caricatures. A tel point que Khomeini, � l'exception des autres th�ologiens de l'Islam, avait pr�conis� son assassinat en 1989. Ceci avait eu lieu aussi dans une conjoncture internationale, relativement � l'Iran, � peu pr�s identique � ce qu'elle est maintenant. La fetwa de Khomeini avait fait des Versets sataniques le roman le plus c�l�bre du monde � l'�poque. Des millions d'exemplaires avaient �t� vendus alors que les �diteurs appr�hendaient des pertes au pr�alable. Car le roman �tait une �uvre aussi d�bile qu'insipide au plan litt�raire, le plus mauvais roman �crit par Rushdie. De la m�me mani�re, note Chaker Naboulci, Karadhawi et un groupe de th�ologiens, le comportement de la rue arabe et des officiels qui ont rappel� leurs ambassadeurs au Danemark, tous ont contribu� � propager ces caricatures dans le monde entier. Ils ont �galement raffermi la volont� des journalistes et �crivains �trangers de publier des livres et des �tudes sur ces m�mes caricatures � l'avenir�. L'Egyptien Khaled Mountassar souligne de son c�t�, dans le magazine Elaph, que �le sous d�veloppement des musulmans est la plus offense inflig�e au Proph�te�. Le journaliste note que �m�me si tous les journaux du monde se liguaient contre le Proph�te, ils ne pourraient pas alt�rer son image�. Il rappelle que cet Occident d�cri� aujourd'hui a donn� naissance � Tolsto� qui a glorifi� le Proph�te. Il cite aussi les �l�gies po�tiques de Goethe, le jugement de Bernard Shaw ou encore celui de Michael Hart consid�rant que c'�tait la personnalit� la plus influente au monde. Notre confr�re consid�re aussi que �certains hadiths sont plus offensants pour le Proph�te que les caricatures danoises. Pour lui restituer sa vraie image, il faut commencer par expurger les compilations de �Hadiths� et les livres de th�ologie de toutes les fables et les superstitions qui y persistent�. Il termine par ce conseil : �Si vous voulez vraiment venger le Proph�te, commencez par produire vos aliments et fabriquer ce dont vous avez besoin. Ensuite, boycottez qui vous voudrez.� Puisqu'il est question de priver nos enfants de �Kinder� en boycottant le Danemark, � d�faut de boycotter l'indignation s�lective, pourquoi s'arr�ter l� ? Boycottons la France ! Que tous nos lib�rateurs et leur descendance qui ont la double nationalit� br�lent leurs papiers fran�ais place du 1er-Mai ! Boycottons les h�pitaux fran�ais, les avions fran�ais. Boycottons France Soir qui n'est pas distribu� en Alg�rie ! Comme le propri�taire de ce journal est �gyptien, boycottons aussi l'Egypte. Et puis, tant qu'� faire, boycottons aussi la Ligue arabe puisqu'elle si�ge au Caire. Ce serait l�, mes chers amis, le commencement de la sagesse.