L�affaire des caricatures n�aura pas seulement d�clench� la col�re l�gitime des musulmans, elle aura eu �galement le m�rite de mettre � nu les d�rives extr�mistes de plus en plus nombreuses dans certaines d�mocraties occidentales. Et il est difficile de croire � la bonne foi du r�dacteur en chef du journal danois Jyllands Posten, lorsqu�il se d�fend d�avoir voulu provoquer un scandale. Comment pourrait-on le croire lorsqu�on sait : �Qu�en 2003, il avait refus� des caricatures de J�sus parce qu�elles auraient choqu� ses lecteurs, estimait-il ?� ( Le Point 9 f�vrier 2006 n�1 743). Connu pour �tre farouchement hostile � l�immigration, son islamophobie fait partie int�grante de son programme. Combattre l�islam pour ces journalistes et ceux qui leur ressemblent, c�est le diaboliser parce qu�il incarne, selon eux, le mal. D�s lors, les caricatures n��taient pas une simple libert� d�expression comme cela a �t� dit trop souvent. Elles devaient servir � repr�senter une image effrayante de l�islam : Musulman = terroriste = �gorgeur. Comment s��tonner alors que ces caricatures aussi stupides qu�inutiles aient �t� jug�es offensantes par les musulmans ? Mais pas seulement. Le grand rabbin Sirtuk, le pape Beno�t XVI les ont qualifi�es eux aussi d�injurieuses et d�offensantes. Et ce n�est pas en raison d�une pr�tendue incompatibilit� entre le sacr� et l�humour comme l�ont d�clar� certains politiques et intellectuels occidentaux. Je me souviens m��tre d�lect�e d�une caricature de Dilem au plus fort des ann�es de terrorisme islamiste en 1994. Il s�agissait d�un mouton qui tentait d��chapper au rite du sacrifice en disant : �Pourquoi veulent-ils m��gorger, je ne suis pourtant pas une femme ni un intellectuel ?� A l��mission �Ripostes� du 5 f�vrier, ce caricaturiste talentueux (Dilem) s�est dit choqu� par la publication des caricatures du Jyllands Posten. Le probl�me est donc ailleurs : c�est celui de l�extr�misme et de la x�nophobie. D�s lors, il est � se demander comment l�on peut se dire demeurer fid�le aux valeurs universelles de la d�mocratie lorsqu�au nom de celle-ci et de la libert� de tout dire, de tout �crire, on s�engage dans une action guerri�re contre l�autre parce qu�il a un teint basan� et des croyances religieuses diff�rentes ? L�islam devient l�ennemi. Pire encore on le r�duit � l�islamisme terroriste. Et force est de constater que si les caricatures ont �t� ressenties l�gitimement comme une offense faite aux musulmans, elles ont �t� l�objet d�une r�cup�ration politique de la part des islamistes radicaux qui n�ont pas eu beaucoup de mal � faire sortir les foules dans les rues. A l�extr�misme des uns a r�pondu l�extr�misme des autres. Ceux-l� diabolisent l�islam, les autres se croient d�tenteurs de la v�rit� absolue et entendent l�imposer � tous en pr�tendant repr�senter �la communaut� des musulmans�. Enfin repr�senter �la communaut� des musulmans�. En fin de parcours on note beaucoup de casse (repr�sentations diplomatiques occidentales saccag�es, incendi�es) et une grande violence. Celle-l� m�me que nous ont fait subir nos �islamistes� durant plus d�une d�cennie. Et le paradoxe est pr�cis�ment l� : pour quelles raisons n�a-t-on vu que des islamistes s�exprimer dans les rues en usant de la violence ? (Syrie, Iran, Pakistan, Afghanistan, Indon�sie). L�ancien ministre Mustapha Ch�rif a eu mille fois raison de rappeler que l��lite devait s�impliquer dans l�explication des valeurs de l�islam �( El Watan 15 f�vrier 2006). Cela �viterait en effet d�entendre un discours tant de fois r�p�t� : �L�islam est tol�rance, l�islam n�est pas violence�, la r�alit� veut que l�islamiste qui rejette toute contradiction et �limine � compris physiquement - tout autre individu qui ne pense pas comme lui s��rige en d�fenseur de l�islam. Alors o� est donc cette �lite que l�on n�entend pas et dont parle M. Mustapha Ch�rif ? R�cemment dans son billet de jeudi 16 f�vrier 2006, Hakim La�lam rappelait judicieusement qu�un ministre, celui des Affaires religieuses avait d�clar� esp�rer la cl�mence des juges pour les deux journalistes islamistes incarc�r�s pour avoir publi� les caricatures dans leurs journaux respectifs. La m�me semaine Fouad Boughanem, directeur de la publication du Soir d�Alg�rie comparaissait devant une juridiction p�nale � Oran. Il n�a pas eu droit � �l��motion� de ce ministre. Rien d��tonnant � cela car les islamistes se tiennent la main et ce repr�sentant de la R�publique n�a pas h�sit� � envoyer au diable la solidarit� gouvernementale pour exprimer haut et fort ses convictions islamistes. Ce sont plut�t les musulmans r�publicains � les deux concepts n��tant nullement antinomiques � qui auraient le devoir de se faire entendre afin pr�cis�ment de ne pas laisser cette image de la violence coll�e d�sormais � l�islam perdurer. Mais o� sont-ils et que font-ils ? Les a-t-on entendus lorsque Rafic Hariri, Jabril Tou�ni, Samir Kassir tous les trois libanais ont �t� assassin�s ? Les Libanais devront-ils continuer � payer le prix fort dans l�indiff�rence g�n�rale parce qu�ils ont os� revendiquer leur droit � prendre leur destin en main ? O� �tait-elle �l��lite musulmane� lorsque des imams ont �t� �gorg�s en Alg�rie ? Lorsque des femmes ont �t� viol�es et des nourrissons d�capit�s ? O� �tait-elle lorsqu�une pr�sentatrice de t�l�vision jeune et jolie, de nationalit� saoudienne a �t� totalement d�figur�e par un mari jaloux qui a d�clar� avoir agi au nom de l�islam ? O� �taient donc les musulmans lorsqu�un islamiste ignorant a d�clar� � la presse fran�aise �que l�on pouvait frapper son �pouse � condition de ne pas laisser de traces ?� Il l�a fait, avait-il d�clar� �au nom de l�islam� et ne comprenait pas pour quelles raisons il �tait expuls�. O� �taient donc les musulmans lorsque durant vingt ans, femmes et enfants, �taient jet�s dans la rue apr�s un divorce conform�ment � une loi concoct�e par des islamistes pour l�Alg�rienne le 9 juin 1984 ? O� �taient donc et o� sont-ils ces musulmans face au harc�lement dont sont l�objet les journalistes quotidiennement ? O� �taient-ils lorsqu�un r�alisateur hollandais M. Van Gogh a �t� �gorg� par un islamiste qui avait jug� son film �anti-musulman� ? Il est vrai comme le dit le Tunisien Mohamed Charfi (Islam et libert� : malentendu historique �Casbah Editions�) : �Quand un intellectuel tente d��mettre des propos de conciliation entre l�islam et la modernit�, les ul�mas se mobilisent contre ce penseur affreux m�cr�ant � abattre et les gouvernants par peur ou d�magogie font chorus�. Cela aussi est une v�rit� qui ne fait pas avancer l�islam. On se souvient du toll� g�n�ral islamiste provoqu� par l�islamologue et th�ologien de qualit� exceptionnelle, le regrett� Abdelmadjid Meziane, le seul � avoir eu le courage � s�attaquer au code de la famille lors d�un colloque � Alger en 1998. Mais pour autant, le silence de ceux qui auraient v�ritablement des choses � dire et � faire pour que le dialogue intereligieux s�instaure, mais surtout pour mettre fin � cet amalgame d�sastreux entre islam et violence islamiste (terrorisme) dessert la cause des musulmans et de leur religion. Vont-ils continuer � voir des kamikazes se faire sauter avec leurs bombes en emmenant avec eux des innocents, alors m�me que le kamikaze n�est pas un h�ros, un martyr et que le suicide est strictement interdit par l�islam ? Quand auront-ils le courage de dire que le kamikaze est un tueur ? C�est � partir de sa vision universaliste, sa morale, son appel � l�intelligence de l�homme que l�islam donne un sens � l�action du musulman, loin des appels � la violence, loin du sang et des extr�mismes. Etre musulman, c�est dire qu�effectivement les caricatures danoises sont innaceptables, mais c�est aussi avoir le courage de dire que la violence islamiste n�est pas la r�ponse parce qu�elle ternit pr�cis�ment l�image de l�islam. Etre musulman c�est dire que l�assassinat du pr�tre catholique italien � �Tr�bizonde le 6 f�vrier 2006� des religieux et religieuses chr�tiens comme nous l�avons v�cu durant les ann�es de terrorisme, sont injustifiables et posent ces deux questions qu�avait pos�es le regrett� journaliste et billettiste Sa�d Mekbel assassin� lui aussi par l�islamisme terroriste : �Depuis ce dimanche, ma pens�e ne cesse de tourner autour de l�assassinat des deux religieuses espagnoles. Comment et pourquoi ?� Etre musulman c�est dire que l�islamophobie du journal danois, la haine islamiste contre les chr�tiens et les juifs, les propos anti-s�mites d�un Dieudonn� ou de l�actuel pr�sident iranien sont aussi condamnables et d�testables les uns que les autres. Et il est inutile d�instaurer un dialogue avec ceux qui croient d�tenir la v�rit� supr�me. Enfin, lorsqu�on parle de communaut� de musulmans, il y a lieu d��tre prudent, ou tout au moins ne pas faire preuve d�ang�lisme. Il n�y a pas si longtemps, l�indiff�rence ou les encouragements de certains pays musulmans au moment o� le terrorisme islamiste commettait ses atrocit�s en Alg�rie, �taient leurs seules formes d�expression. L�urgence pour tous ceux qui entendent assumer leur islamit� dans le dialogue et surtout la tol�rance consiste � d�montrer que les mouvements extr�mistes qui se pr�tendent musulmans alors qu�ils sont islamistes recherchent d�lib�r�ment la confusion entre �religion� et �idiologie religieuse� afin de donner � leurs pr�tentions �minemment politiques, l�immunit� absolue. C�est v�ritablement � ce prix que sera combattue l�islamophobie. R�pondre � l�extr�misme par une arme identique n�est certainement pas la solution. La sagesse l�emportera-t-elle dans les ann�es � venir ? Qui peut le dire ?