L'outrage a atteint une démesure telle que les pays musulmans ne pouvaient demeurer sans réaction. Ce que les Danois, citoyens et gouvernement confondus, avaient pris pour une banale affaire médiatique, est devenue depuis quelques jours, une crise diplomatique dont la gravité s'intensifie de plus en plus. C'est que l'affaire des dessins publiés par le Jyllands Posten, les «Muhammed tegninger», a pris des proportions à la mesure de la légèreté avec laquelle le Premier ministre, Anders Gogh Rasmussen, a accueilli les protestations de la communauté musulmane au Danemark ainsi que celles des diplomates arabes accrédités dans le pays. Ces derniers avaient beau expliquer que les caricatures étaient injurieuses et attentatoires à la dignité, comme à la foi des musulmans dans le monde et qu'il était inconcevable que quiconque puisse impunément présenter le Prophète comme un symbole du terrorisme. Non seulement, le gouvernement de coalition de droite et d'extrême-droite passe outre, mais le Parti du peuple danois ( DFP ) enclenche une violente campagne à caractère islamophobe. La réponse outrancière des dirigeants et du journal danois aux doléances de la communauté musulmane (environ 200.000) et des représentations diplomatiques arabes, s'est accompagnée d'une reprise des mêmes caricatures par un journal norvégien, comme si une volonté islamophobe présidait à la démarche des médias nordiques, forts, du discours officiel et officieux qui argue de l' inaliénable liberté d'expression. Le mépris latent s'est davantage explicité à travers l'attitude du Premier ministre qui avait opposé une fin de non-recevoir aux diplomates mandatés pour lui exprimer leur indignation, faute de temps, a-t-il osé affirmer. C'était là la goutte qui n'a pas manqué de faire déborder le vase et, depuis, les choses sont allées crescendo au point que de nombreux pays arabes et musulmans ont, non seulement, condamné l'attitude scandaleuse des autorités danoises mais ont, également, préconisé le rappel des ambassadeurs. C'est dire si la crise est devenue sérieuse et si l'alerte a, depuis, fait prendre conscience au gouvernement et aux médias danois qu'il y a des limites à ne pas transgresser, sous quelque prétexte que ce soit. Il faut en effet prendre les pays arabes pour d'aimables saltimbanques en voulant leur faire accroire la fable de la liberté d'expression au nom de laquelle un journal, de quelque obédience qu'il puisse être, peut impunément insulter quelque deux milliards de fidèles. Le moindre écrit, le moindre dessin antisémite aurait sans nul doute conduit tout le gouvernement danois, et qui sait, peut-être plus, à s'incliner plus bas que terre, à présenter toutes les excuses légales et autres. Il irait jusqu'à préconiser des sanctions exemplaires contre les fauteurs de troubles. Mais lorsqu'il s'agit de caricaturer l'islam, on brandit le bouclier de la liberté d'opinion et on agite les oripeaux de la laïcité. Cette politique de deux poids, deux mesures que les peuples arabes et musulmans connaissent bien ne saurait faire illusion. Les conséquences commencent à peine à se dessiner. Une entreprise comme Arla Foods (groupe laitier) a déjà enregistré une pluie d'annulations de commandes de la plupart des pays du Golfe mais aussi de l'Algérie, de la Tunisie et du Maroc. Lundi soir, on est tenté de dire enfin, le Premier ministre danois a consenti à condamner les caricatures du Jyllands Posten qui a, d'ailleurs, publié une pleine page, en langue arabe, dans laquelle il présente ses excuses aux peuples musulmans, tout en tentant de justifier sa ligne éditoriale toujours au nom de la démocratie. En définitive, les réactions des gouvernements, des organisations comme l'OCI et la Ligue arabe ainsi que de la rue musulmane, ont contraint un gouvernement de droite et d'extrême-droite occidental à une certaine volte-face. C'est que l'outrage a atteint une démesure telle que les pays musulmans ne pouvaient demeurer sans réaction.