Chers fr�res, Beaucoup d�entre vous n��taient pas encore l�. D�autres ne s�en souviennent certainement pas. Nous �tions en 1990 et le bateau Alg�rie naviguait dans une mer calme, loin des houles qui l�attendaient sur les rives escarp�es de la politique. Les r�formes de Hamrouche �taient sur les rails et le peuple d�couvrait avec un m�lange de satisfaction et de curiosit� les �missions de Mourad Chebine au ton r�solument novateur. C��tait l��poque h�ro�que d�une t�l�vision d�livr�e de la mainmise de la tutelle et d�une nouvelle presse ind�pendante qui s�installait doucement mais s�rement dans le paysage m�diatique. Bref, l�Alg�rie entrait dans une phase pleine de promesses. La d�mocratie naissante tra�ait ses premiers sillons sous un ciel totalement d�gag�. Personne ne voyait venir les nuages� En cette journ�e lumineuse d�un automne alg�rois � l��clat recommenc� chaque aurore, j�aurais tant voulu m�abandonner � l�ivresse d�une fl�nerie romantique sur le boulevard Zirout-Youcef pour admirer le port et ses bateaux blancs. Cependant, mes pens�es �taient ailleurs. Convoqu� chez le juge d�instruction, je pressai le pas pour arriver � l�heure. J�avais pr�f�r� quitter les avenues cahoteuses pour m��vader du c�t� du Front-de-Mer. La convocation, re�ue la veille, �tait bien au chaud dans ma poche. Le juge ? Pourquoi ? Qu�avais-je donc fait ? Le beau Palais de justice de la rue Abane-Ramdane ne m��tait pas inconnu. J�y avais couvert des tas de proc�s et, quand je le longe pour aller � la banque du Square poser la sempiternelle question au caissier : �Ont-ils vir� ?�, il me semble entendre la voix chantante de ma�tre Bouzida retentir dans le pr�toire et r�sonner sous l�immense vo�te de l��difice. C��tait une autre �poque� Le juge qui ne m�a pas laiss� beaucoup attendre �tait affable, mais le ton qu�il prenait en me posant ses questions me semblait tranchant et un tant soit peu ironique. Venons-en au fait : j��tais poursuivi en diffamation par la direction de l�h�tel El Djaza�r, non pas pour un article que j�avais �crit, mais en tant que directeur de la r�daction du quotidien populaire du soir Horizons. Le r�dacteur, auteur de l�enqu�te incrimin�e, n��tait autre que l�excellent journaliste de la rubrique nationale, A�ssa Chenouf. Bien s�r que j��tais totalement solidaire de mon coll�gue et que j�assumais chaque lettre et chaque virgule de son papier. Cela, le juge l�avait compris, lui qui s�attendait peut-�tre � un recul de ma part ! A�ssa et moi �tions certainement parmi les premiers journalistes alg�riens � passer devant un juge. Le comble, c�est que nous �tions poursuivis en tant que travailleurs de la presse gouvernementale ! Mais cela ne nous emp�chait pas de dire ce que nous pensions de certains agissements qui visaient � brader le patrimoine national. Eh oui ! Cela avait commenc� tr�s t�t ! Des gens bien plac�s avaient magouill� pour vendre l�h�tel El Djaza�r � une soci�t� �trang�re. Pour une bouch�e de pain. Je revois encore Me Sellini, jeune mais plein de mordant et de patriotisme, d�fendre notre article et s��crier � la face du juge : �Que juge-t-on ici ? Et qui juge-t-on ? Des journalistes honn�tes qui ont d�nonc� une op�ration hasardeuse ? Des hommes de plume qui ont plac� le patriotisme au-dessus des bas int�r�ts ? Ils n�ont fait que d�fendre le secteur public, en s�interrogeant sur une cession douteuse qui allait se faire en dehors de toute r�glementation et � un prix d�risoire !�Et de s�interroger : �Sommes-nous bien s�rs que ce sont ces deux journalistes qu�il faut juger ? Mais dans quel pays vivons-nous ?� (NDLR : ces paroles refl�tent l�esprit de l�intervention et ne sont pas une transcription fid�le de l�intervention). Pourtant, cette brillante plaidoirie n�eut pas l�effet escompt� sur des juges qui dissimulaient mal leur plaisir d�humilier, enfin, ces journalistes qui se consid�raient comme intouchables. Pour une fois qu�ils en avaient l�occasion, ils pouvaient s�en donner � c�ur joie. Boumediene n��tait plus l� pour nous prot�ger. Il n��tait plus l� pour d�fendre l�h�tel El Djaza�r, ce joyau de la capitale, perle rare pos�e sur son �crin �meraude au c�ur d�Alger la Blanche et haut lieu du tourisme international. La condamnation � en fait symbolique � fut confirm�e en appel. Voil�, c�est fait : nous �tions les premiers journalistes � payer pour un article �crit dans la presse publique en 1989 ! Si j�ai tenu � vous raconter cette petite histoire, chers fr�res travailleurs, c�est pour vous dire que le tourment qui vous pr�occupe ces jours-ci a eu un pr�c�dent. D�autres ont essay� d�arracher � vos pr�d�cesseurs cette merveille en vue de la mettre entre des mains cupides qui se seraient empress�es de faire dans la sp�culation immobili�re en installant des cubes hideux sur ce jardin royal, l�incomparable havre de verdure et de fra�cheur qui a fait chavirer les c�urs du roi de Gr�ce, de Winston Churchill et De Montherlant, �bahi en d�couvrant �le� paradis. Vous qui vivez et travaillez dans l�un des plus beaux �tablissements h�teliers du monde, savez cela. Chaque jour, vous red�couvrez le charme incomparable de ce monument qu�a tenu � visiter tout r�cemment le ministre britannique des Affaires �trang�res, M. Jacques Straw. Nul n�a le droit de vendre ce patrimoine. Qu�ils bradent tout, mais pas les monuments, pas l�histoire ! J�ai lu des informations qui m�ont fait chaud au c�ur : vous ne vous �tes pas laiss�s faire, vous avez r�agi de la meilleure mani�re qui soit, en pr�sentant un front uni pour dire �non � la vente de l�h�tel El Djaza�r�. Au mois de janvier dernier, j�ai eu l�occasion et la chance de s�journer dans votre h�tel ! Qu�on ne vienne pas me dire qu�il lui manque quoi que ce soit par rapport aux autres grands �tablissements de la capitale. Tout y est r�gl� comme sur du papier musique. Oui, chaque jour, vous interpr�tez une magistrale symphonie qui coule paisiblement sous les patios lumineux, dans les galeries aux fa�ences chamarr�es, sous le bois admirablement cisel� des plafonds d�un autre �ge et jusqu�aux plantes exotiques d�un jardin comme il n�en existe nulle part ailleurs. Croyez-moi : vous pouvez �tre fiers de votre h�tel ! Nous pouvons �tre fiers de ce fleuron du secteur public. R�cemment, j�ai voulu faire le malin en demandant � mon journal de me faire une r�servation dans le palace d�une grande cha�ne. Cafards dans la chambre et le double du prix d�El Djaza�r. Je suis revenu dare-dare chez vous, au c�ur du c�ur de la capitale ! Il y a dix-sept ans, un petit article de presse les emp�chait de brader l�ex-Saint- George au pass� glorieux ! Aujourd�hui, c�est votre d�termination � sauver votre gagne-pain et � le d�fendre contre les app�tits de la nouvelle bourgeoisie insatiable qui sera votre meilleure arme. Ne vous d�couragez pas et continuez � nous donner de si beaux exemples de solidarit�. Je vous �cris une lettre d�espoir afin de vous dire que si demain votre �tablissement garde son statut d�infrastructure de classe internationale aux mains de l�Etat, ce sera gr�ce � vous, gr�ce � votre lutte et � votre courage, femmes et hommes, du simple matelot au commandant de bord de ce navire qui ne coulera jamais : El Djaza�r ! Incha� Allah ! M. F. P. S. : A Benchicou Mohamed, prisonnier � El- Harrach : m�dite ce mot de D. M�riem, une lectrice qui attend avec impatience ta sortie de prison : �Sans une vraie libert�, la v�rit� ne sera jamais libre.�