La chronique de la semaine derni�re a suscit� de nombreuses r�actions. Celles-ci, une fois n'est pas coutume, tranchent avec les impr�cations et les excommunications que je re�ois sur ma bo�te e-mail. Les musulmans, mes fr�res, auraient-ils chang� au point de r�fl�chir avant d'accuser, de juger avant de condamner ? Toujours est-il que la grosse majorit� des questions tourne autour de la personnalit� de Djamel Al-Bana. Plut�t que de conclure � l'effet magn�tique de la seule parent� de Djamel avec Hassan Al-Bana, je pr�f�re croire � l'�veil de la curiosit� pour ses id�es. Le penseur �gyptien, aujourd'hui �g� de 85 ans, est un personnage atypique dans le monde arabo-musulman. Il ne pense pas comme le voudraient ses contemporains et il ne parle pas comme ils souhaiteraient l'entendre. Djamel Al-Bana abat toutes les cloisons et fait fi de tous les tabous lorsqu'il disserte sur la religion. Profond�ment croyant mais se d�fiant de l'Islam des apparences, il est l'un des rares penseurs musulmans � se lib�rer du carcan des th�ologiens. Comme beaucoup de ses semblables, le fr�re cadet de Hassan Al-Bana m�ne un combat qui semble in�gal. Compar� � un Karadhawi, solidement adoss� aux p�trodollars et � un r�seau de cha�nes satellitaires, il restera sans doute pour l'histoire un illustre incompris. Il y a, en effet, chez ce non-conformiste une volont� d�lib�r�e de d�fier, de provoquer la pol�mique. C'est une recette �prouv�e en Europe o� les novateurs ont fini par avoir le dernier mot. Dans un monde arabe marqu� du sceau de la mal�diction pour les novateurs, toute id�e � contre-courant est une offense � la communaut� des croyants. Dans ce contexte bien particulier, Djamel Al-Bana a donc commenc� par "offenser" son fr�re en refusant de s'enr�ler (1) dans le mouvement des "Fr�res musulmans". En 1946, il a cr�� le "Parti de l'action nationale et sociale". Arr�t� par la police alors qu'il distribuait des tracts de sa formation, il a �t� lib�r� sur l'intervention de son fr�re Hassan. Ce dernier le fit appeler et le sermonna en ces termes : "Tu te donnes de la peine pour travailler un terrain st�rile avec un parti ch�tif et pauvre qui ne r�unit que quelques jeunes et des ouvriers. Alors que chez les "Fr�res", il y a des jardins pleins de fruits qui ne demandent qu'� �tre ramass�s et prot�g�s." Rejetant la tentation du jardin du diable, Djamel dit � son fr�re : "Les arbres des "Fr�res" donnent des fruits que je n'aime pas." Loin de se mettre en col�re, Hassan lui conseilla alors de changer l'appellation de son parti. "Transforme-le en association, ainsi tu �viteras la confrontation avec le gouvernement alors que tu es dans ta premi�re jeunesse", lui dit-il. Quoiqu'il soit aujourd'hui en conflit permanent avec le mouvement des "Fr�res musulmans, Djamel Al-Bana voue une admiration sans bornes � Hassan, son a�n� de quatorze ans. Il consid�re que s'il avait v�cu assez longtemps, il aurait donn� une autre impulsion au mouvement. Le fondateur des "Fr�res musulmans" �tait un lib�ral, estime son fr�re cadet. "Il est n� et a v�cu dans la p�riode lib�rale de l'Egypte. C'est un enfant de la R�volution de 1919". Pour lui, la chance de la famille Al-Bana (2) est de n'avoir jamais mis les pieds � Al-Azhar. Si Hassan Al-Bana avait �t� "azhari", il aurait �t� archa�que et n'aurait pas profess� certaines id�es avanc�es pour l'�poque. "Ni mon p�re ni mon fr�re ni moi-m�me n'avons foul� les tapis d'Al-Azhar, Dieu merci !", aime-t-il � r�p�ter. Son p�re, tr�s pieux et f�ru de "hanbalisme", avait une immense biblioth�que o� voisinaient aussi bien les livres religieux que la po�sie et la litt�rature. Dans un recoin de la biblioth�que que Djamel affectionnait, le p�re collectionnait les feuilletons policiers ou romanesques qu'il d�coupait soigneusement dans Al-Ahram. Outre une publication du Wafd, on trouvait dans cette biblioth�que un journal intitul� Al- Amal (l'espoir) que publiait une jeune femme du nom de Mounira Thabet. C'est Mounira Thabet qui, d�s 1920, a revendiqu� le droit pour la femme � participer � la vie politique. C'�tait bien avant que les associations f�minines ne militent, dans les ann�es trente, pour l'acc�s des femmes � l'�cole et pour la mixit� au travail. En ce qui concerne l'attitude de son fr�re sur la question des femmes, Djamel Al-Bana ne la d�fend pas mais tente de la justifier. "C'est un sujet tr�s sensible, dit-il. Mon fr�re �tait favorable aux droits de la femme mais s'il avait pos� ce probl�me l� � son �poque, il aurait �t� rejet�. M�me le Proph�te n'a pas interdit le vin en une seule fois mais il a proc�d� par �tapes. Hassan Al-Bana se devait de ne pas �tre maximaliste vis-�-vis des masses m�me s'il ne pensait pas comme elles". Et pour bien montrer que son fr�re savait �voluer avec son temps, il rappelle que Hassan Al- Bana a fond� son mouvement en 1928 � Isma�lia, en tant que confr�rie soufie. "En vingt ans, le mouvement est pass� du soufisme � la revendication de l'Islam comme syst�me politique". A ceux qui assimilent abusivement la la�cit� � la m�cr�ance, il rappelle que la la�cit� en Europe a �t� une r�action � la dictature de l'Eglise."Or, souligne- t-il, il n'y a pas d'Eglise en Islam et il n'y a pas d'hostilit� entre la la�cit� et l'Islam. La la�cit� n'est pas contre la religion." De la m�me mani�re, il fait un sort au slogan des "Fr�res musulmans" sur l'Islam et l'Etat. "L'Islam est une religion et une communaut�, affirme-t-il. Ce n'est pas une religion et un Etat. L'Etat de M�dine �tabli par le Proph�te a �t� une exception, � la fois positive et n�gative (�). Je dis aux tenants de l'Etat islamique : "Donnez-moi un Etat dirig� par un Proph�te et je lui ferais all�geance". Donc, il n'y a pas de commune mesure avec l'Etat du Proph�te et sa revendication ne fait pas partie de la foi." "C'est pour cela que la voie salutaire est celle de la s�paration de la religion et de l'Etat, pr�ne Djamel Al-Bana. C'est pour �a que j'ai sugg�r� d'enlever de la Constitution (�gyptienne) l'article qui stipule que l'Islam est la religion de l'Etat. Pourquoi ? Parce que fondamentalement l'Etat ne peut rien offrir � l'Islam. En revanche, cet article peut �tre exploit� par des fous pour commettre des actes r�prouv�s par l'Islam. Sans compter que cet article peut heurter la sensibilit� de nos fr�res coptes. Ces derniers doivent avoir le sentiment que cet Etat est aussi le leur." Voici, enfin, comment Djamel Al-Bana voit le monde musulman aujourd'hui : "L'Islam que pratiquent aujourd'hui les musulmans n'est pas l'Islam de Dieu et du Proph�te mais celui des th�ologiens. Aujourd'hui, les gens ne font pas travailler leur esprit mais s'en remettent aux explications des ex�g�tes plut�t qu'au texte sacr� lui-m�me. Ils ne cherchent pas � s'assurer de la v�racit� d'un "Hadith" mais l'acceptent tel quel. C'est l'Islam des th�ologiens qui refl�te les pr�occupations de leur �poque et non pas celles de la n�tre (�) Toutes les "fetwas" des imams sont un obstacle � la modernisation de la pens�e islamique", ajoute le cadet des Al-Bana. Ce sera ma conclusion. A. H. (1) Ce qui est impensable dans des pays o� des partis se r�duisent souvent � une cellule familiale et ont pour id�ologie supr�me la solidarit� de clan. Par exemple: combien croyez-vous qu'il y a de la�cs dans la famille de Ali Benhadj ? Aucun, selon moi, mais si, par bonheur, il y a un Benhadj la�que, qu'il continue � se dissimuler, la "taqia" est de mise. (2) L'un des fr�res de Djamel Al-Bana a �t� un compositeur c�l�bre.