L�avion s�est pos� � dixhuit heures � l�a�roport Houari-Boumediene. J�ai regard� par le hublot et n�ai rien ressenti. Absolument rien. On m�avait dit que je serai �mu, que je pleurerai. Mes yeux sont aussi secs que mon c�ur. Cette terre sera mienne lorsque j�en aurais chass� tous les impies qui la dirigent et tous les m�cr�ants que mes compagnons, mes �fr�res� n�avons pas pu d�f�rer devant �nos� tribunaux populaires ou assassiner. J�ai souvent imag� ces retrouvailles durant toutes mes ann�es pass�es � l��tranger. Elles sont telles que je les voulais. J�ai quitt� le pays, la peur aux talons, je reviens la t�te haute, le port altier, puisque le chef, le grand chef, a d�cid� que je pouvais mettre fin � mon exil, car, a-t-il dit, �je suis un repenti�. C�est le grand chef qui l�affirme. Ce n�est pas moi ou mes �fr�res� qui le proclamons. Remarquez qu�il n�a exig� ni remords ni regrets. De quoi me repentirai-je d�ailleurs ? D�avoir d�clar� que mes �fr�res� les �gorgeurs, les violeurs, les massacreurs avaient eu raison de semer la terreur ? Cela ne pose aucun probl�me � ma conscience et je ne regrette rien. Ceux qui ont �t� tu�s ne sont pas des victimes, c��taient des kouffar (m�cr�ants) qui m�ritaient de mourir. Toutes les fois que tombait l�un ou l�une d�entre eux, je f�tais leur assassinat avec mes amis �trangers convaincus que j��tais leur invit�, leur r�fugi� politique dont il fallait prendre soin. Certains �faits d�armes� m�ont plus marqu� que d�autres : ainsi le 1er novembre 1994 o� p�rirent des enfants scouts � Mostaganem tu�s par l�explosion d�une bombe alors qu�ils se recueillaient sur les tombes des chouhada. Des Patriotes en herbe et puis quoi encore ? Pourquoi ne nous ont-ils pas �cout�s lorsque nous avions maintes fois r�p�t� que le pays n�avait pas �t� lib�r� puisque gouvern� par des incroyants ? Ou encore indescriptible �tait ma joie lorsque tombait un �taghout�, journaliste, intellectuel, policier, militaire, une femme, ou qu��taient tu�s leurs proches. J�envoyais sur-le-champ des communiqu�s aux cha�nes de t�l�vision arabes acquises � notre cause, pour dire ma satisfaction et encourager mes fr�res de poursuivre leur chemin. De quoi donc me repentirai-je, je vous le demande ? De rien, absolument rien. Le chef a d�cid� de m�appeler le �repenti�, c�est son probl�me. Le mien est d��tre revenu sans avoir � rendre des comptes. Ils avaient jur� de me juger, ils m�appelaient �le terroriste�, me voici aujourd�hui honor�, adul�, accueilli, comme un �h�ros� � ce que je ne suis pas, il n�y a pas pire froussard et d�gonfl� que moi. Il fallait les voir se bousculer dans la salle de d�barquement pour m�arracher une d�claration. Ah oui ! Il fallait les voir les journalistes agiter leurs micros, en tentant de m�approcher : �Une d�claration... une d�claration... Si Mansour...�, Tiens ! tiens ! Ils m�appellent �Si Mansour� (Monsieur), hier j��tais le �tueur�. Remarquez c�est cela la r�conciliation : on efface tout puisque je suis le repenti par d�cision du chef. Je leur ai promis une conf�rence de presse. Je sais qu�ils viendront nombreux. Le retour est exactement tel que je l�avais imagin� et voulu, tandis que j�avais fui le pays pour un exil dor�. L�unique chose qui m�a contrari� est que l�on ne m�ait pas offert les dattes et le verre de lait promis par le chef. Mais le grand chef ne peut pas �tre au four et au moulin, me diriez-vous, et puis il y avait mieux � l�accueil : mes fr�res �taient l�, des repentis comme moi qui ont d�clar� avoir tu� de leurs propres mains et ne rien regretter. Je suis revenu et ils croient que j�ai chang� d�avis ou qu�ils peuvent me convertir. Mais alors mes fr�res seraient-ils donc morts pour rien ? Je suis revenu pour terminer ce qu�ils ont commenc� et ce que j�avais laiss� en suspens. Je suis chez moi et il ne s�est rien pass�. Gare � celui ou � celle qui dira �terroriste� ! Je suis chez moi et il n�y a jamais eu de barbus barbares et de victimes de leur barbarie. Je suis chez moi et il para�t qu�ils ont peur de notre retour mes fr�res et moi. Ils savent que nous ne renoncerons jamais � notre dawla islamya. Ils savent que le grand chef nous encouragera � la fignoler. Ceux qui ne seront pas d�accord seront tra�n�s devant les tribunaux islamistes et pendus sur la place publique. J�ai bien dit que je n�avais aucun regret. J�en nourris un seul tout de m�me : celui de ne pas avoir encourag� mes fr�res les assassins � �liminer plus �d�infid�les�. Cela nous aurait facilit� la t�che. Mais avec l�aide du grand chef et de son charg� de mission nous r�ussirons. Je suis de retour moi le �repenti�, Sa�d Mekbel, Mohamed Boukhobza, Fatiha Oura�s, Mahfoud Boucebci, le colonel Hadj Ch�rif, les policiers, les militaires, Aboubakr, Belka�d, Hafid Senhadri, Pierre Claverie, ne verront plus jamais l�aube ros�e illuminer la M�diterran�e. Moi, je la reverrai demain et tous les autres jours. C�est le chef qui a d�cid� qu�il fallait effacer leurs noms, gommer leur histoire et honorer les �repentis� comme moi. Les seuls repentis. A moi de lui faire croire que je suis fr�re de tous les fr�res et de toutes les s�urs, hormis ceux qui refuseront de penser comme moi. A ceux-l� seront r�serv�s nos balles, nos couteaux et nos juridictions sp�ciales. Je suis de retour moi, le repenti sans repentance. Je n�ai pas chang�, je suis le commanditaire de tous les crimes. Le chef a d�cid� qu�il �tait grand temps pour lui de faire �riger la �dawla islamya� dont il a toujours r�v�e. C�est pour cela qu�il a autoris� mes fr�res et moi � revenir au pays. Cela a pour nom, selon lui, la paix. Moi, je ne me r�concilierai qu�avec ceux qui me ressemblent. Au fait qui �tait donc ce jeune homme qui fixait son regard sur moi � l�a�roport ? Je l�ai remarqu� parce qu�il se tenait � l��cart et ses yeux m�ont sembl� haineux. Je ne me suis pas tromp�. C�est le fils d�un journaliste �taghout� tu� par mes fr�res en 1994, m�a-t- on dit. Je suis de retour moi, le repenti sans repentance et il para�t que le jeune homme avait 20 ans, quand son p�re a �t� assassin�. Je suis de retour moi, le repenti sans repentance et je ne suis plus s�r de rien ni de personne. L. A. N. B. : Cette nouvelle est d�di�e aux familles des victimes du terrorisme, car s�il est vrai qu�une d�cision pr�sidentielle a blanchi les terroristes islamistes, elle ne saurait et ne pourrait avoir raison de notre r�sistance et de notre plume. Sans pardon aucun, sans oubli. Nos m�moires nous appartiennent.