On le d�crivait � l��poque du coup d�Etat comme un dandy plein de fatuit� plastronnant dans un Conseil de la r�volution aust�re. L�on disait de lui qu�il �tait d�nu� de convictions id�ologiques, uniquement rong� par la gestion de sa carri�re personnelle. Un go�t inassouvi pour les premiers postes et un sens pratique pour y parvenir. Port� par la vague de notori�t� que connaissait � l��poque l�Alg�rie il devint un VIP venu des tropiques qui rassurait les salons politiques des capitales occidentales. Une sorte d�ic�ne et de gage de fr�quentabilit� des �tiers-Etats� nouvellement d�colonis�s. Sa �visibilit� internationale, aid�e par une long�vit� exceptionnelle au poste de commis voyageur de la diplomatie, allait par la suite lui servir pour s�imposer comme la derni�re alternative � la t�te d�un pouvoir alg�rien instable et qui n�en finissait pas de d�vorer les hommes. De l�enfance politique d�un chef nous nous limiterons � ces br�ves annotations qui, bien qu�incompl�tes, attestent que sa cooptation en 1999 lui doit beaucoup plus qu�on ne le croit. En effet dans le laboratoire de �profilage� des hommes utiles au syst�me, il pr�sentait les atouts qu�il fallait � la succession impromptue de Zeroual. Civil de connivence ancienne avec la caserne il avait de surcro�t l�avantage de demeurer inclassable doctrinalement et par cons�quent susceptible d��tre consensuel. Gr�ce � ce d�nominateur surfait de rassembleur capable de se placer au-dessus de la m�l�e, il apparut comme un affranchi vaccin� des a priori qui ont fait du pays un champ d�affrontements mortels. Ni d�mocrate de vieille extraction, ni islamiste sectaire de r�cente conversion, il semblait pouvoir trouver des possibilit� de convergence pour mettre fin � la grave crise. H�las, depuis bient�t huit ann�es, il n�a cess� de naviguer entre ces deux eaux sans jamais parvenir � rendre politiquement soluble cette dualit� fondamentale. Ignorant tous les clignotants rouges qui lui intimaient l�ordre de ne pas se compromettre au-del� de la mesure avec les factions terroristes, il refusera chaque fois d�admettre le caract�re fonci�rement inconciliable de la morale de l�Etat et du chantage islamiste. De louvoiements en d�lestages, il a fini par faire de cette double n�gation la source de la contestation de son propre pouvoir. Embourb� dans un inconfort politique qu�il a contribu� par ses largesses � alimenter, il est d�sormais accus� d�arbitraire de toutes parts, lui qui se voulait le souverain arbitre de la �r�conciliation� nationale. Voil� qui explique son silence g�n�, et dont il ne sait plus comment s�en expliquer publiquement. Le camp de la paix qu�il souhaitait structurer sur les cimeti�res et par-dessus les profonds d�saccords des vivants est aujourd�hui squatt� par une seule ob�dience. Celle qui le pousse aux derniers reniements de l�Etat. Devenu le camp retranch� de l�islamisme arm�, il dicte chaque jour de nouvelles conditions et cela dans une impunit� juridique in�dite. Entre-temps, il se garde bien de faire le m�nage et surtout d�exprimer la moindre r�serve face � l�activisme m�diatique de tous ces Kebir, Madani Mezrag ou Abassi. Ainsi, depuis une semaine, le djazariste Kebir, devenu porte-parole attitr� de l�ensemble de la mouvance, donne son avis sur ce qui reste � faire. Et ses propos sont d�crypt�s plus finement que ne le sont ceux qui ridiculement relaient la pens�e officielle. Belkhadem, Zerhouni, Soltani et m�me Ouyahia sont inaudibles, m�me quand ils se piquent de traduire le mutisme d�El-Mouradia. Prisonniers des poncifs, ils ont des difficult�s � rassurer ou � fournir des indications sur les intentions du pr�sident. Autant donc croire que m�me le premier cercle demeure dans une �gale ignorance que l�opinion et penser par d�duction qu�il n�est d�aucune influence sur la tournure des �v�nements. Au m�pris du calendrier de sa charge, Bouteflika semble �talonner le temps politique sur une grille qui �chappe aussi bien � ses alli�s circonstanciels qu�� la n�cessit� de rendre des comptes aux Alg�riens. L�on est bien loin de la fiction qu�on lui a compos�e en 1999. Celle de pr�sident consensuel qui voulait faire cohabiter le hidjab et la mini-jupe sans violer la R�publique ; de parler aux �gens de la montagne� et d�ner avec les la�cs ; de privatiser la ferraille industrielle sans renoncer � l�id�al alter-mondialiste, de revendiquer l�amiti� de Paris et de garder les yeux ouverts sur le pass�. En somme, il se voulait l�incarnation de toutes les valeurs m�me quand elles s�entrechoquent violemment et le voil� aujourd�hui inidentifiable jusqu�� l�incoh�rence. Homme politique �prot�iforme � � qui il est difficile de trouver un fil conducteur � son action, il a fini par hypoth�quer ce capital de d�magogie qu�on lui a fourbi � son arriv�e au pouvoir. Car pour avoir, en toutes circonstances, claironn� qu�il ne devait son ascension qu�� sa rencontre avec le peuple, il se retrouve d�sormais dans la d�sesp�rante solitude d�un autocrate avec pour seuls �vis-�-vis� les factieux responsables de cent mille morts. Inapte � l��coute, car accordant une confiance excessive � sa seule sagacit� politique, il ne parle que pour d�livrer des oracles et c�est pourquoi les Alg�riens ne se souviennent gu�re qu�il ait, � un moment ou � un autre, eu l�humilit� de reconna�tre la moindre erreur. C�est seulement une question de style diront certains, certes, sauf que c�est � travers un certain formalisme du magist�re que s�appr�hende l�homme qui l�exerce. Sur le sujet, les Alg�riens sont mieux �difi�s en 2006 qu�ils ne l��taient il y a quatre, cinq ou six ans. Ils savent d�exp�rience que leur amiral gouverne toujours � l�estime la felouque Alg�rie. Au-del� de l�absence flagrante d�une gestion saine et �quitable, ils craignent qu�il n�aille jusqu�au bout d�un double projet dont les cons�quences seraient inimaginables. Il concerne d�une part, la re-l�galisation injustifi�e d�un populisme religieux violent alors que sa nuisance �tait militairement r�siduelle en 1999 d�j� et d�autre part il est compl�t� par une refonte du texte constitutionnel afin de gommer le principe de l�alternance et r�introduire les archa�smes de la loi pr�c�dente (1989). Dans un cas comme dans l�autre, nous aurons la preuve que depuis sa premi�re profession de foi jusqu�� la plus r�cente il n�a fait que se d�dire par ambition personnelle. M�me s�il est admis que le Bouteflika de 1999 �tait encore sensible au �novembrisme � de r�f�rence, pourquoi par contre s�interdire l�hypoth�se qu�entre-temps il ait vu quelques avantages � diluer ce dogme fondateur dans le bain doctrinal dans lequel se reconnaissent les islamistes de tous poils et de toutes barbes ? Cela reviendrait � forger un nouveau socle constitutionnel composite afin de satisfaire leurs revendications cardinales. Une mise en phase du principe r�publicain et de la dimension religieuse de l�Etat. Toute la falsification consistera alors de citer en exemple les d�mocraties chr�tiennes pour d�douaner la tentation de cr�er une �d�mocratie islamique�. Or, une telle alchimie en terre d�islam est impensable pour la simple raison que nous avons affaire � des spiritualit�s ob�issant � des canons diff�rents. Bien plus que les subtils distinguos entre les religions, il y a surtout le fonds culturel de ces soci�t�s avanc�es o� le projet politique rel�gue au second plan l�appartenance cultuelle. Or, l�Alg�rie n�est pas encore l�Italie et ne voudrait pas devenir une r�publique des mollahs, tout au plus r�ve-t-elle un jour d�importer ce qu�il y a de positif dans la Constitution turque fond�e sur le concept de l�Etat la�que jusqu�� tol�rer qu�un courant religieux gouverne dans les limites l�gales que l�on sait. Ainsi, tant que notre loi fondamentale n�aura pas expurg� de son corpus le concept de �religion d�Etat�, l�islamisme politique demeurera une menace permanente. En s�engageant � remettre dans le jeu politique le fondamentalisme des mosqu�es et en ouvrant simultan�ment le chantier d�une r�vision constitutionnelle, le pr�sident joue avec le feu, uniquement pr�occup� par le r�am�nagement d�une troisi�me vie politique. S�il y parvient d�ici � 2009 il nous l�guera un Etat hybride o� l�on l�gif�rera sous le contr�le et le visa des mosqu�es. Les lois ne seront alors promulgu�es qu�apr�s l�onction des fetwas de conformit�. A ce moment-l�, l�Alg�rie sera entr�e de plain-pied dans le grand si�cle du �tout religieux�, comme le proph�tisait un certain Malraux mais l�imaginait s�rement diff�rent de celui qui hante Benhadj et qu�instrumentalise le pr�sident. Ici, l�inquisition se substituera � l��thique d�une r�publique d�funte. Et sur les d�bris de 45 ann�es d�histoire mouvement�e et sanglante, on en fera un �mirat de pacotille o� le pouvoir s�obtiendra par les all�geances tribales et les communions des zaou�as. Plus tard, bien plus tard, on lira dans les manuels officiels que dans l�enfance d�un chef il y eut la main de la providence, tant il est vrai qu�entre-temps, nous avions oubli� qu�en janvier de l�an de gr�ce 1999 le premier slogan de sa campagne parlait impudemment �d�homme providentiel�. Quelle coupable amn�sie !