Jo�l de Rosnay, un scientifique fran�ais, est l'auteur d'une nouvelle expression qui fera certainement date et tache d'huile : le pron�tariat. Dans son ouvrage �La r�volte du pron�tariat�, mis int�gralement et gratuitement en ligne six mois � peine apr�s sa publication chez Fayard, il �voque la r�volution en cours favoris�e par les nouveaux outils que sont les blogs, les wikis, les SMS, les chats ou les journaux citoyens. Outils qui permettent l'�mergence de "pron�taires", c'est-�-dire "une nouvelle classe d'usagers des r�seaux num�riques capables de produire, diffuser, vendre des contenus num�riques nonpropri�taires en s'appuyant sur les principes de la nouvelle �conomie". La parole politique se lib�re l� o� les oligarchies n'ont pas encore totalement (ou du moins pas encore) impos� le pouvoir des armes et de l'argent, comme elles ont fini par le faire pour tous les autres supports (presse �crite, radio et t�l�vision). Sur le Web, les individus et les groupes peuvent encore dire leur mot via les blogs, les forums de discussion ou les vid�os amateurs. D'o� la conviction largement partag�e qu'Internet est un bon moyen pour am�liorer le fonctionnement de la d�mocratie pour peu que sa gouvernance ne souffre pas de censure. Dieu merci, et pour une fois (et nous touchons du bois), notre pays ne figure pas parmi les ennemis du web. La libert� que nous avons de disposer encore librement de ce moyen d'expression ne suscite pas d'engouement particulier au sein de ce qui s'apparente �digestivement� � une classe politique. Les hommes politiques alg�riens ne jugent toujours pas utile de recourir � ce moyen de communication, parce qu'ils n'ont rien � dire ou ne jugent pas avoir de compte � rendre � ceux qui sont cens�s �tre leurs ��lecteurs �. D'ailleurs, on le constate partout : plus elle s'�loigne de la griffe, de l'emprise ou du contr�le de ces derniers, plus la politique devient un jeu opaque de sectes, de parias et d'officines. Autre impact du web sur la politique : la participation politique s'individualise et se lib�re, au pr�judice du militantisme ou du syndicalisme. Les vieilles structures s'efforcent alors de prendre les choses dans le sens du poil. De suivre la tendance. En France, 43 % des membres de l'Assembl�e nationale et 23 % du S�nat ont un ou plusieurs sites Web (dont les blogs). Selon les partis, les taux varient de 35 � 70 % chez les d�put�s (la gauche ressentant naturellement plus le devoir de rendre compte) et de 0 � 56 % chez les s�nateurs (leur mode de d�signation les rendant moins sensibles � l'opinion des autres). En revanche, plus de 9 parlementaires sur 10 ont d�pos� un nom de domaine. L'e-d�mocratie, cette d�mocratie directe par le biais d'Internet (vote en ligne, blogs politiques, communication Web des candidats, avec parfois une fonction podcast vid�o), reste donc largement sous-exploit�e, mais elle rev�t de plus en plus un enjeu strat�gique potentiel pour les prochaines �ch�ances �lectorales. En Asie, aussi, les nouvelles technologies bouleversent le rapport au(x) politique( s). Il ne peut en �tre autrement lorsqu'on affiche les performances suivantes : 70 % de p�n�tration du haut d�bit en Cor�e du Sud ; 400 millions de mobiles, un milliard de SMS par jour en Chine et, malgr� la censure, 60 millions de blogueurs chinois � la fin 2006. Les politiques ont donc compris l'int�r�t du web en prenant par ailleurs soin de ne pas tomber dans �le syndrome Dean�. L'enjeu, ici, est d'�viter que ne se reproduise le sc�nario � la Howard Dean, candidat malheureux � l'investiture d�mocrate aux Etats- Unis en 2004. Dean est certainement, de tous les hommes politiques du monde, celui qui a le plus exploit� Internet. Mais en vain. Il n'a pas combl� le foss� entre le virtuel et le r�el, c'est-�-dire que ses internautes ne se sont pas transform�s en relais de sa candidature : ils sont rest�s dans leurs bulles, entre eux, sans descendre dans l'ar�ne politique. En France, toujours, les candidats potentiels � l'�lection pr�sidentielle int�grent tr�s largement cet enseignement dans leur strat�gie de communication sur le web. Dans cette strat�gie, la seule installation d'un site ne suffit plus. Ils entreprennent, aussi, de p�n�trer la �blogosph�re �, c'est-�-dire poss�der un r�seau d'internautes qui soient autant de relais sur la Toile. Il existe ainsi une f�d�ration de "cyber militants" charg�s de promouvoir l'UMP sur les espaces Internet comme les blogs. On doit aux sp�cialistes entourant Nicolas Sarkozy de l'avoir convaincu d'acheter des mots-cl�s de la blogosph�re et de ses concurrentscl�s ("blog", "blogger", "podcast"...), via Google AdWords, apr�s les �meutes urbaines qui avaient secou� les banlieues fran�aises l'ann�e derni�re. La Toile de la Toile en quelque sorte. Un premier b�mol: vid�os et podcasts ne sont g�n�ralement pas r�glement�s. Et c'est tant mieux ainsi, m�me si des propos extr�mistes lib�r�s par l'anonymat de la Toile peuvent s'�pancher sur les blogs sans qu'on puisse les contr�ler. Les internautes se moquent beaucoup du marketing politique, � coup de google bombing (quand "miserable failure" renvoie au site officiel de la Maison Blanche), de faux blogs ou d'usurpation de noms de domaine (whitehouse.org). Une parodie du site de la Maison Blanche va jusqu'� vendre des objets comme le string patriotique sur lequel est imprim� "R�veillez-moi en 2008" (date des prochaines �lections pr�sidentielles aux Etats-Unis). D�s lors, la magie du Web et ses id�aux communautaires laissent place � quelques appr�hensions et inconnues. Autre b�mol : comment r�agir face � une rumeur en ligne qui risquerait d'influencer le vote au dernier moment ? Elle peut se propager tr�s rapidement et prendre une forme vraisemblable, compte tenu des possibilit�s du multim�dia: images ou sons truqu�s. Le droit de r�ponse devient plus difficile � g�rer avec la c�l�rit� qu'exige un tel contexte. Au cours du premier Forum mondial sur la gouvernance de l'internet qui a r�uni les repr�sentants de plus de 90 Etats et les principaux acteurs de la Toile, du 30 octobre au 2 novembre dernier � Vouliagmeni, dans la banlieue d'Ath�nes, la protection des donn�es personnelles, s'est av�r�e �tre un th�me qui commence � �merger comme une pr�occupation majeure. Pr�sent au forum, Tim Berners-Lee, le scientifique britannique, qui a mis au point le world wide web, s'est inqui�t� de ce qu'il puisse �tre utilis� � des fins "non d�mocratiques" et a d�fendu le projet d'un centre de recherche sur l'avenir de l'internet. En 1989, Tim Berners-Lee, alors au Cern (laboratoire de physique des particules) � Gen�ve, avait invent� le concept de lien hypertexte et l'architecture d'un r�seau mondial en "toile d'araign�e" (web), qui a facilit� l'acc�s � l'internet, jusque-l� r�serv� � une petite communaut� scientifique. Il ne savait certainement pas que son mod�le allait prendre une telle ampleur. "Si nous n'avons pas la capacit� de comprendre le web comme il devient aujourd'hui, nous finirons avec des choses tr�s mauvaises", a pr�venu Berners-Lee, aujourd'hui chercheur au Massachusetts Institute of Technology (Etats-Unis), dans une interview � BBC News. "Des ph�nom�nes non d�mocratiques pourraient appara�tre et les fausses informations se r�pandront sur le web", s'est-il inqui�t�, estimant que les changements technologiques caus�s par Internet pouvaient mener � une transformation radicale de la soci�t�. "Etudier ces forces et la mani�re dont elles sont affect�es par la technologie sousjacente nous semble r�ellement important", a-t-il ajout�. Son projet de centre de recherche sur le web ne serait donc pas seulement ouvert � des sp�cialistes de l'informatique, mais � des chercheurs issus de diff�rentes disciplines, capables d'�tudier le web comme ph�nom�ne technologique mais aussi social. C'est le d�fi actuel de la communaut� scientifique. Comme elle r�ussit le pari de mettre au point le web, elle rel�vera un tel d�fi pour peu que d'analphab�tes politiciens ne viennent mettre leur nez dans ses affaires.