L�euro n�a toujours pas les faveurs du march� de change parall�le local o� il vaut, en g�n�ral, un dinar de moins qu�� la banque. En dehors des p�riodes de forte demande, comme celle des grandes vacances ou du p�lerinage, cinq ans apr�s l'apparition des billets en euros, l'enthousiasme n�est toujours pas de mise autour de Port Sa�d. L�opinion europ�enne n�est pas plus enthousiaste pour l�euro qu�elle associe � la hausse des prix. En Allemagne, la monnaie unique est m�me tourn�e en d�rision : on l�appelle le "Teuro", un jeu de mots sur "teuer", qui signifie cher, et euro. En France, l'euro, jug� trop fort face au dollar et au yen, est rendu coupable de la m�diocrit� des exportations fran�aises. Des r�ticences psychologiques expliquent peut-�tre les difficult�s � basculer le mental dans la nouvelle �chelle de prix et de valeurs ; une majorit� de citoyens europ�ens continuant � �valuer un prix dans l'ancienne monnaie pour des achats importants. La Commission �uvre � d�dramatiser la situation. Elle voit dans cette m�fiance juste une �fausse impression [qui] peut s'expliquer par la mauvaise image donn�e par les abus commis dans certains secteurs et certains pays au moment de la mise en circulation de l'euro en 2002, et par la tendance psychologique g�n�ralement observ�e � constater les augmentations de prix plus facilement que les diminutions �. Consciente de ce que la confiance dans la monnaie est un �l�ment indispensable � sa stabilit� � long terme, la Commission europ�enne prend ainsi tr�s au s�rieux les r�actions de l�opinion. Elle r�agit en soulignant l'usage massif de la monnaie unique, y compris hors de ses fronti�res, usage qui s'est traduit par un triplement des billets en circulation depuis leur introduction, de 221 milliards d'euros en janvier 2002 � plus de 600 mds actuellement. Aussi, selon les estimations de la Banque centrale europ�enne (BCE), "entre 10 et 20% de la valeur totale des billets en euros est aujourd'hui en circulation en dehors de la zone euro". Le commissaire europ�en aux Affaires �conomiques et mon�taires, Joaquin Almunia, rattache ce succ�s de l�euro � "une inflation et des taux d'int�r�ts qui, pour de nombreux pays, n'ont jamais �t� aussi bas aussi longtemps". Pour M. Almunia, les autres avantages sont : la protection contre les crises de changes qui frappaient r�guli�rement les anciennes monnaies (notamment la lire italienne), une r�duction du prix des produits import�s, y compris le p�trole (parce que factur� en dollar), une progression des �changes et des investissements au sein de la zone euro r�duisant sa d�pendance ext�rieure, des voyages plus faciles et moins chers et, enfin, une plus grande transparence des prix favorisant la concurrence. Charles Wyplosz, professeur d'�conomie � l'Institut de hautes �tudes internationales de Gen�ve et directeur du Centre international d'�tudes mon�taires et bancaires, rejoint les th�ses de la Commission et de M. Almunia ; il met cet �euroscepticisme � mon�taire sur le compte d�une �communication d�sastreuse� de la BCE, d�une �culture bureaucratique� de la Commission et de la nomination de �pr�sidents ou de commissaires sans aucun charisme� � ces derniers n�autoriseraient pas � �faire r�ver avec l'euro �. A l�oppos�, un discours plus radical relie cette m�fiance � l'engouement des march�s financiers, qui sp�culent sur l'appr�ciation de l'euro par rapport au dollar (en 2006, l�euro s'est appr�ci� de 11,11 %, pour finir � 1,3199 dollar). Le boom d'une minorit� qui s'enrichit, via la bulle financi�re et immobili�re, en est l�aspect le plus visible. En dehors de nos cambistes en herbe et de l�opinion europ�enne majoritairement sceptique, le reste du monde a une meilleure opinion de l�euro. M�me s�il lui reste encore � faire un long chemin pour d�tr�ner le billet vert, l'euro a confirm� en 2006 sa supr�matie sur les march�s obligataires et nombre de banques centrales, notamment asiatiques, lui accordent une place de plus en plus grande dans leurs r�serves. Bien mieux, la monnaie unique confirme sa place de leader sur les march�s obligataires. En 2006, l'encours de titres internationaux libell�s en euros a repr�sent� 45% du total mondial, contre 37% pour le dollar, selon les donn�es recueillies par Capital Market Association et publi�es dans le Financial Times. Par rapport � 2002, la progression de la devise europ�enne est spectaculaire. A l'�poque, l'euro repr�sentait � peine 27% de l'encours mondial, contre 51% pour le billet vert. La d�cision prise par T�h�ran le 18 d�cembre dernier de libeller ses revenus ext�rieurs et ses avoirs � l'�tranger en euros plut�t qu'en dollars aurait �t� mise sur le compte de ses difficult�s � trouver un compromis avec la communaut� internationale sur son programme nucl�aire si un autre Etat, bien sous tous rapports, les Emirats arabes unis, n�avait pas annonc�, � son tour, le 27 d�cembre, sa volont� de convertir 8 % de ses r�serves en euros (soit 2 milliards) d'ici � septembre 2007. Ce qui porterait la part de l�euro � 10% des r�serves totales de l��mirat actuellement �valu�es � 2% (� peine un demi-milliard de dollars). Plusieurs pays �mergeants dont de nombreux producteurs de p�trole, tels que l'Iran, le Venezuela et l'Indon�sie, accentuent �galement ce mouvement observ� depuis plusieurs ann�es de r�-allocation des r�serves de changes en faveur de la monnaie unique. Selon les derni�res statistiques publi�es dans le rapport annuel du Fonds mon�taire international de 2006, la part de l'euro dans les avoirs officiels en devises des pays en d�veloppement est pass�e de 19,9 % fin 1999 � 28,8 % fin 2005. Simultan�ment, la part du dollar a r�gress� de 68,2 % � 60,5 %. La Banque des r�glements internationaux souligne dans son dernier rapport que les d�p�ts en dollars des pays de l'Opep ont diminu� de 5 milliards de dollars au deuxi�me trimestre. L'Arabie saoudite et le Qatar font partie des gros vendeurs. Les pays producteurs de p�trole, dont les recettes en dollars ont fortement progress� depuis trois ans, veulent d�sormais diversifier leurs risques. Sachant que les r�serves mondiales de changes atteignent les 4.000 milliards de dollars, c�est vers leur plus gros d�tenteur, en l�occurrence la Chine, que se portent tous les regards avis�s. La Chine se trouve dans une situation embarrassante : elle a commenc� � ralentir ses achats d'obligations am�ricaines et � "all�ger" sans trop de bruit ses r�serves � qui sont de l�ordre de 1.000 milliards de dollars � en billets verts au profit de la monnaie unique europ�enne. La Banque centrale de Chine, premi�re d�tentrice de r�serves au monde de dollars, par ailleurs fortement exportatrice, ne souhaite pas voir d�pr�cier ses r�serves (le billet vert a perdu 10 % de sa valeur face � l'euro en 2006). D�o� ce discret changement de cap. Les pays industrialis�s anticipent d�une tout autre mani�re. Certes, les banques centrales russe, n�o-z�landaise et suisse ach�tent du yen et de l'euro, mais la part du dollar dans les r�serves des pays d�velopp�s a �t� maintenue autour de 73 %, tandis que celle de l'euro a �t� l�g�rement accrue, passant de 16,1 % � 19,2 % du total entre 1999 et 2005. Le monde d�velopp� semble dire que l'euro ne remplacera pas le dollar, pour au moins deux raisons. D�abord parce que le Vieux Continent n'est pas assez dynamique pour attirer massivement les investisseurs. Ensuite parce que, au contraire de Washington qui vit aux crochets des autres nations, l�Europe se dit trop scrupuleuse, ou vertueuse, pour �mettre des montants colossaux de titres de dette, indispensables aux �trangers qui veulent acheter de l'euro. Un �minent �conomiste fran�ais, Patrick Artus, responsable des �tudes �conomiques chez Natixis, confirme ces projections dans une �tude publi�e ce 9 janvier. Patrick Artus affirme m�me qu'il n'y aurait m�me pas de substitution d'actifs en euros aux actifs en dollars dans les r�serves de changes mondiales. Il n�y aurait l� qu�un mirage, un effet provenant essentiellement, selon les calculs de M. Artus, de l'appr�ciation de la monnaie unique face au billet vert sur le march� des changes. Car les chiffres des r�serves de changes sont exprim�s en dollars, et sont m�caniquement influenc�s par le taux de conversion. Cet expert montre, par des calculs complexes sur la vitesse de progression de chaque part exprim�e dans sa devise, que "quand on corrige cet effet de valorisation pour r�v�ler le "vrai" comportement d'allocation d'actifs des banques centrales, on voit qu'elles substituent effectivement des livres sterling aux yens (...), mais pas d'euros aux dollars".