L'euro a perdu près de 10% de sa valeur face au dinar sur le marché parallèle, 5% en deux mois. Cet ajustement à la baisse a des raisons et des conséquences. Surtout s'il devait se poursuivre encore. Enquête sous les arcades du « square » et des banques. Le marché parallèle des devises est en émoi. La parité de l'euro, principale monnaie échangée, s'est « dangereusement » rapprochée du taux bancaire « légal ». L'euro était acheté pendant quelques heures, mercredi dernier au square port Saïd, à moins de 100 dinars l'unité avant de repasser légèrement au dessus de cette frontière psychologique des 100 dinars. La baisse de la valeur de l'euro face au dinar, entamée lentement au mois de mai dernier après le non des français à la constitution européenne, ne s'est jamais démentie durant l'été : « l'arrivée en grand nombre des émigrés cette année a continué à faire descendre l'euro, devenu très disponible sur le marché » affirme Salah un cambiste, jeune papa qui se pose des questions sur l'avenir d'un métier devenu encore plus précaire. La courbe à la baisse de l'euro face au dinar s'est encore infléchit à la rentrée de septembre dernier. Les premiers effets de la fin de l'importation des véhicules d'occasion de moins de trois ans -entrée en vigueur à la fin du mois de septembre - ont rapproché l'euro des 110 dinars. Il se négociait encore à 110,60 centimes au début de l'année 2005. Le début du mois de décembre a déclenché un nouveau dévissage, le plus spectaculaire depuis que l'euro est entré sur le marché en Algérie au premier trimestre 2002. La devise européenne a cédé 10,50 dinars face à la monnaie nationale sur le marché parallèle, perdant ainsi 9,5 % de sa valeur en 11 mois, près de 6% les trois derniers mois. De l'avis de banquiers « Cette tendance baissière est indépendante du mouvement de l'euro face au dollar . L'euro est passé de 1,29 dollars à 1,17 ces derniers mois, cela n'est pas suffisant pour engendrer une baisse de confiance dans la monnaie européenne ». Il est vrai que le dollar se tient bien mieux que l'euro sur le marché parallèle. A cette saison de pèlerinage, c'est même lui qui a profité de la demande additionnelle en devises passant -à la vente - à environ un dollar pour 93 dinars alors qu'il se négociait , il y'a quelques semaines encore, à moins de 90 dinars. L'explication de la baisse de l'euro est liée à la baisse des activités des importateurs hors circuit bancaires. La plus connue est bien sûr celle des véhicules d'occasion , elle a concerné 75 000 véhicules pour les seuls trois premiers trimestres de l'année 2005 , en fait les trois derniers avant l'interdiction de cette importation. Pour Mourad, cadre financier, le calcul est simple : « si l'on devait estimer à seulement 3000 euros par véhicule, la demande en devises exprimées sur le marché noir des devises pour financer ces achats, cela équivaut à 225 millions d'euros absorbés par des porteurs de dinars durant les 9 premiers mois de 2005. On peut donc dire, comparativement, que tous les mois depuis octobre dernier, 25 millions d'euros ne trouvent plus preneur sur le marché parallèle des devises en Algérie ». Les importateurs occasionnels chassés par 20 millions de dinars De l'avis de tous les opérateurs cependant, la fin de l'importation des véhicules d'occasion n'est que la partie flottante de l'iceberg qui vient de heurter brutalement la valeur de l'euro sur le marché parallèle, et menace de couler ce dernier. « Mes plus gros clients sont des importateurs de matériaux de construction, de pièces détachées, ou de produits agro-alimentaires. Ils ont souvent besoin rapidement d'euros pour faire une opération sans attendre leur banque, des fois c'est pour payer des arrhes ou pour acheter quelques chose que la banque ne finance pas, explique Salah, avec eux ce sont de grandes sommes et ils passent commande trois quart jours à l'avance ». La mesure qui a asséché la demande d'euros sur le marché parallèle est elle aussi entrée en vigueur avec le décret législatif portant loi de finance complémentaire. Il s'agit du verrouillage de la filière « importateurs », ouverte à « tout le monde » jusque là et qui nécessite désormais d'avoir une Société commerciale (Eurl, Sarl, ou SPA) au capital social de 20 millions de dinars. Une barrière d'entrée financière qui a mis sur la touche des milliers de petits importateurs dits sur « registre de commerce », principaux clients du marché parallèle de la devise. L'entrée en vigueur de cette mesure en même temps ou presque que le début de l'application de l'accord d'association avec l'union européenne a même eu comme conséquence paradoxale de faire baisser les importations en provenance de l'union européenne alors même que certaines d'entre elles - et pas des moindres - devenaient plus profitables car débarrassées des frais de douanes . « Tous ceux qui fréquente le marché noir des devises savent combien sont importants les importateurs occasionnels de container . Ils changent tout le temps de produits en fonction de la demande du marché ou en fonction de l'opportunité qu'il ont trouvé à l'étranger. Cela ne les dérange pas beaucoup d'acheter l'euro sur le marché noir , c'est même eux qui soutiennent le cours par leur demande car ils se rattrapent largement après avec leur marchandise sous-déclarée à la douane et écoulée très vite sur le marché ». La question qui se pose donc est de savoir si ces importateurs vont pouvoir s'adapter aux nouvelles contraintes ou réellement disparaître. La tentative de contourner l'obstacle des 20 millions de dinars a déjà commencé, ont constaté certains notaires, comme l'explique un des collaborateurs au supplément économique d'El Watan, par la libération en plusieurs tranches successives d'une fraction seulement du capital social exigé, la même qui sera immobilisé à chaque fois chez le notaire. Cela ne devrait cependant pas permettre le retour en force du réseau des importateurs « occasionnels » dans le court terme. Les importateurs privés « institutionnels » plus lourds, ont aussi parfois recours, marginalement, au marché noir des devises. Cela est vrai également pour les multinationales qui payent des expatriés en devises. Toute cette demande , qui ne concerne d'ailleurs pas que l'euro, n'est pas en mesure par son expansion ordinaire, de compenser la dépression que provoque la disparition de milliers d'importateurs « occasionnels ». La décote de l'euro va-t-elle se poursuivre ? Il se dégage de ces pronostics que l'ajustement actuel de la parité de l'euro-dinar en faveur de la monnaie nationale est un mouvement durable. Après tout l'euro s'achète à moins de 90 dinars à la banque (87 dinars cette semaine) et l'écart entre le taux officiel et le taux parallèle a toujours été estimé trop important par les spécialistes compte tenu du niveau d'ouverture du marché. L'écart de près de 25% ne pouvait pas durer sans provoquer par le jeu du marché soit une hausse de l'euro officiel soit une baisse de l'euro au noir. Les réserves de changes record de la banque centrale excluaient depuis trois ans une baisse de la parité officiel du dinar. Il fallait que l'euro continue de justifier sa cherté durable sur le marché parallèle. De nombreux spécialistes estiment que même sans la double mesure de l'interdiction de l'importation des véhicules d'occasion et celle de la barrière d'entrée financière au métier d'importateur, l'euro aurait poursuivi « plus tranquillement » son ajustement à la baisse. Il ne fait, d'ailleurs de ce point de vue, que reprendre « le chemin inverse » après avoir flambé sur le marché parallèle au deuxième semestre 2002, l'année de sa mise en circulation. Le franc français s'achetait à 12,5 dinars fin 2001, une année plus tard la parité de l'euro sur le marché parallèle équivalait à près de 17 dinars pour un franc. L'euro était incontestablement surcoté. Il le reste dans une bonne mesure encore aujourd'hui puisque à 100 dinars l'euro, il vaudra tout de même 15,2 dinars pour un franc français. La décote de l'euro va-t-elle donc se poursuivre ? Les avis sont partagés. Un euro mal rémunéré sur le marché parallèle ira ailleurs : exemple, avec un euro qui baisse trop, nos émigrés préféreront dépenser un peu plus leurs euros en France et vendre en Algérie des marchandises achetés là-bas. Dans le même temps une baisse de l'offre de l'euro sur le marché noir des devises devrait contribuer à freiner la baisse de sa valeur. De même un euro moins cher suscitera plus de plans de voyage des Algériens à l'étranger, ce qui peut aussi ralentir également son ajustement vers la baisse. Plein de paramètres jouent dans un sens ou dans un autre. Une seule chose hante le square port Saïd : ne pas tomber trop près du taux de change bancaire. Dans ce cas- là, la bourse de la devise au noir aura vécu.