Il est toujours terrible, pour les esprits �clair�s, ce moment soudain et impitoyable o� ils d�couvrent ce que le bon peuple savait d�j� : le pouvoir alg�rien est corrompu, le pouvoir alg�rien est incomp�tent, le pouvoir alg�rien est amoral. On le devinait d�j� devant ce regain du terrorisme et l'irr�sistible d�clin national, signes d'une insoutenable inaptitude des dirigeants � g�rer un pays trop grand pour eux. Le d�luge Khalifa, incroyable proc�s o� l'on assiste aux aveux crapuleux des gouvernants sur leurs inimaginables concussions avec l'argent sale, ach�ve d'emporter les derni�res illusions sur leur rectitude. L'Alg�rie est entre les mains d'un syst�me lubrique et d�cadent qui gouverne par le mensonge et la pr�varication. Il ne suffit pourtant plus de le dire. D'abord parce que la basse v�nalit� du r�gime n'est un secret que pour une esp�ce de braves ch�rubins, elle-m�me en voie de disparition : il y a bien longtemps que la soci�t� alg�rienne s'est rang�e � la fatalit� d'�tre gouvern�e par le stupre, l'imposture et l'escobarderie. Ensuite parce que tout cela, le cynisme, l'amoralit�, la fourberie des puissants, bref tout ce qui fait le syst�me alg�rien, mettra du temps � dispara�tre et, en tout cas, ne s'�liminera pas sous l'�nonc� indign� des vices et la d�nonciation enrag�e des fausses vertus. Non, la vraie question est en nous. De quel c�t� sommes-nous, aujourd'hui que se d�compose le syst�me ? Du c�t� d'une certaine lucidit� populaire, c'est-�-dire du c�t�, ingrat, anonyme, incertain mais sacr� d'une soci�t� qui attend son heure ? Ou du c�t� des ors d'un Palais en qu�te constante de suppl�tifs pour ses guerres infanticides et de courtisans pour ses propagandes mensong�res ? Supporterons-nous le regard condescendant que poserait une soci�t� �touff�e sur ses intellectuels et ses opposants mangeant la soupe froide des parrains ? Sans doute n'est-il jamais facile de regarder la r�alit� en face tant il est vrai que la lucidit� est la blessure la plus rapproch�e du soleil, pour reprendre Ren� Char. On peut aussi r�pliquer que la question ne se pose avec une telle gravit� ou, du moins, pas pour tous. Pourtant si, � voir au moins trois conjurations hypocrites avec le pouvoir qui s'�laborent sous nos yeux : celle de clercs z�l�s, exub�rants � l'id�e de voir extrader Khalifa et silencieux sur l'impunit� de requins ; celle des porte-voix du mensonge sur le p�ril terroriste ; celle de ces partis d'opposition qui fr�tillent � l'id�e de participer � des l�gislatives dont ils savent qu'elles donneront un vernis d�mocratique au r�gime, dont ils savent qu'elles seront truqu�es et dont ils n'ignorent pas qu'elles seront boud�es. Nous les avons trahis Commen�ons par le proc�s de Blida. Dans quelques jours, la juge Brahimi va condamner des p�res de famille � de lourdes peines de prison pour avoir empoch� la petite monnaie de Moumen Khalifa. J'en connais la plupart, pour les avoir rencontr�s en prison et je ne peux m'emp�cher d'avoir une pens�e �mue et solidaire pour leurs familles dont l'infortune est de n'avoir pas �t� du bon c�t� du manche. Car, et on l'a bien entendu de la bouche d'avocats �m�rites comme Bourayou, Brahimi ou Mokrane A�t- Larbi, les vrais escogriffes, ceux qui sont accus�s d'avoir profit� de leurs positions au sein de l'Etat pour puiser dans les coffres, ceux-l� vont �chapper � cette justice rendue au nom du peuple mais qui, dans les faits, ne fait que se rendre � la p�gre en col blanc. Je ne voudrais pas refaire, ici le proc�s de Khalifa. Il est assez accablant pour ceux qui ont cru s'en servir et dont les noms s'affichent pitoyablement dans les pr�toires. Je note seulement que certains d'entre eux, Tayeb Bela�z, Khalida Toumi ou Ahmed Ouyahia, se plaisaient � justifier mon incarc�ration en juin 2004 par le �devoir d'une justice au-dessus de tous� au moment m�me o� ils avaient une main sur le c�ur et l'autre sur le portefeuille de Khalifa. Non, il ne s'agit pas de refaire le proc�s de Khalifa, mais juste de rappeler que, en d�pit de pr�cautions infinies, nous venons de vivre le premier proc�s public du syst�me politique alg�rien depuis 1962 et que cela exigeait de nos �lites intellectuelles et politiques qu'elles en fassent le sujet de ripostes et d'analyses salvatrices et f�condes. Dame, il n'est quand m�me pas fr�quent qu'un r�gime corrompu soit � la barre ! Et la soci�t� attendait de nous que nous soyons les accusateurs d'un n�potisme pris, enfin, la main dans le sac. Et un sac-poubelle noir de surcro�t ! L� �tait notre r�le, accabler un r�gime de truands, le forcer � son propre d�saveu, en arracher les premiers signes de vuln�rabilit�. A la place de cela, qu'avons-nous eu ? Des silences incompr�hensibles, comme pour signifier que cette affaire roturi�re n'�tait pas digne de l'int�r�t des �lites. On sait pourtant, depuis Jean-Paul Sartre, que l'intellectuel est avant tout quelqu'un qui se m�le de ce qui ne le regarde pas. Mais on a eu pire que le silence : ces tirades r�jouies de nos �ditorialistes sur l'arrestation de Moumen Khalifa, ces sarabandes autour du totem, ces fausses �informations de premi�re main�, distill�es par les m�mes honorables correspondants, sur une �imminente extradition� du milliardaire. Et puis, pour finir, et pour ceux qui auront su patienter, ces explications savantes sur le �r�le obscur� de Londres dans sa non-extradition. Dans une sordide connivence entre un corrompu, le pouvoir politique et un corrupteur, Moumen Khalifa, des �mes �clair�es ont cru plus subtil de se ranger du c�t� du corrompu. Par patriotisme, par surench�re j�suitique ou, allez savoir, par science du racolage. On s'�vite ainsi d'accabler un r�gime dont c'�tait le premier proc�s public. Mais on passe surtout � c�t� d'un �pisode extraordinaire de cette mafia politico-financi�re si d�cri�e et dont un des visages apparaissait enfin, une affaire d'Etat sur laquelle il �tait de notre devoir de nous arr�ter. Inonder de quolibets le corrupteur, c'est sans doute soulageant. Faire preuve de la m�me rage nationaliste pour enqu�ter sur les vrais receleurs, c'e�t �t� encore mieux. Ne serait-ce que pour donner raison � Noam Chmsky pour qui les intellectuels ont besoin de justifier leur existence. Et puis, ce qui ne g�che rien, � faire notre m�tier, on passerait de pr�dicateur � journaliste. On d�couvrirait par exemple des noms illustres parmi les pensionnaires du Hollyday Inn de la place de la R�publique � Paris (m�tro R�publique) h�berg�s avec l'argent de Khalifa. Ou que, escroc rimant avec crocs, nos dirigeants en ont de bien grands. On ne se grandit pas � d�fendre le corrompu en oubliant qu'il n'est victime que de sa propre corruption ! Tout dire ou se taire. �Pourquoi la Grande-Bretagne n�a-t-elle pas proc�d� � l�arrestation provisoire de Khalifa comme le pr�voit pourtant l�article 8 du trait� sign� avec l'Alg�rie ?� s�est demand�, avec force indignation, le porte-parole de l'Association alg�rienne de lutte contre la corruption, qui est pourtant un esprit avis�. Mais alors comment pouvait-il, en militant anticorruption, s'abandonner � un r�quisitoire s�lectif et se dispenser de la seconde moiti� de la question : pourquoi l'Alg�rie n�a-t-elle pas proc�d� � l�arrestation provisoire des personnalit�s cit�es en audience comme le pr�voit sa propre loi, comme le dicte sa propre justice, comme l'y oblige la morale ? Je sais que chacun a ses raisons de dissimuler une partie de la v�rit� ou m�me de prendre partie pour les hommes du r�gime. Mais ceci n'est pas une bataille de pol�mistes, c'est une injustice majeure : ces p�res de famille que la juge Brahimi va condamner � de lourdes peines de prison � la place des notables dont vous taisez les noms, ces hommes que vous r�duisez � de la chair � canon dans une bataille mafieuse, ces hommes je les ai c�toy�s. Leurs enfants ressemblent aux n�tres, et les larmes de leurs m�res sont aussi am�res que celles de nos m�res. Et dans cette affaire, nous aurons �t� nombreux � les avoir trahis. Les complices du silence officiel Ah, si le p�ril terroriste �tait aussi amusant qu'il ne l'est dans la bouche de Yazid Zerhouni. Nous serions sans doute aussi nombreux � mourir, mais de rire. H�las pour nous, et m�me en reconnaissant au ministre de l'Int�rieur les louables efforts qu'il d�ploie pour �tre digne de sa r�putation de gaffeur, �GSPC, Al-Qa�da ou Kaddour ben Ali�, ce n�est pas pareil. Il y a une mutation terroriste ind�niable en Alg�rie depuis la cr�ation d'Al-Qa�da Maghreb. La puissance de feu n'est plus la m�me, les cibles sont diff�rentes, l'audace plus incontestable, la strat�gie plus d�termin�e. Cette r�alit� que le ministre Yazid Zerhouni est charg� de cacher aux Alg�riens est aujourd'hui l'un des soucis majeurs des d�cideurs militaires. La preuve qu'Alger est en danger est que le dispositif policier dans la capitale va �tre renforc�e en 2007 par 5 000 hommes suppl�mentaires et peut-�tre m�me plus. L'autre indice alarmant est la reprise, apr�s l'attentat de Takhoukht contre une patrouille de la brigade de gendarmerie, des bombardements par l'ANP des massifs forestiers pouvant abriter des terroristes, une riposte abandonn�e depuis bien longtemps par nos militaires. Le r�le de tout r�gime politique est de minimiser l'ampleur d'une trag�die qui pourrait menacer son pouvoir et mesurer son incomp�tence. C'est ce qu'entreprend de faire, avec un bonheur al�atoire, le ministre Zerhouni. Pour lui, les derniers attentats spectaculaires sont le fait de �groupes terroristes qui cherchent � faire un acte de port�e publicitaire�. N'�piloguons pas sur la l�g�ret� des propos dans un contexte aussi dramatique o� il est quand m�me question de morts parmi les forces de s�curit�. Le ministre a beaucoup � gagner � cacher sur la gravit� de la situation, � commencer par la responsabilit� de la politique de �r�conciliation nationale� dans le regain du terrorisme : elle l'a aliment� en hommes et en argent. Mais alors si le r�le du pouvoir est de dissimuler, de nuancer, de tromper, quel doit �tre le n�tre, journalistes ou, pour les plus �rudits d'entre nous, intellectuels ? Je n'en vois qu'un seul : se d�marquer du pouvoir et dire la v�rit� aux Alg�riens, non pour les inqui�ter mais pour les aider � affronter la situation. Se d�marquer du pouvoir ou, tout au moins, se refuser � en �tre le porte-voix, comme ce fut le cas pour certains d'entre nous dans l'affaire Khalifa. C'est la posture assez risqu�e que choisissent ceux qui, parmi les observateurs et parmi nos confr�res, s'en prennent � Al Jazeera pour ses reportages fr�quents sur les attentats terroristes en Alg�rie. La cha�ne quatarie est accus�e rien moins, par un commentateur, que de vouloir r�gler des comptes �avec l�Alg�rie, son peuple et ses dirigeants� ! J'ignore si ces accusations reposent sur autre chose que des r�criminations classiques, mais je crains fort que tout ce qu'on reproche � Al Jazeera c'est de ne pas se faire complice du silence officiel sur l'activit� d'Al-Qa�da en Alg�rie. C'est � dire de faire son travail d'information. Car enfin, s'il y a des reportages r�p�t�s sur Al- Qa�da Maghreb c'est parce que l'�v�nement le dicte et que nos confr�res quataris ont fait le choix de s'y coller. Abdou B. a raison de signaler que �cette cha�ne est une des plus performantes en mati�re d�information, avec beaucoup de talent et de professionnalisme�. Ce qui prouve bien qu'on n'est pas tous oblig�s de rire des boutades de Yazid Zerhouni. Et que ce n'est pas Al Jazeera qu'il faut �radiquer, mais le terrorisme d'Al-Qa�da. Je voulais terminer sur la prochaine supercherie �lectorale du 17 mai prochain, mais le compteur m'indique que j'ai d�bord� sur l'espace qui m'est imparti. Ce sera pour la semaine prochaine.