Riche � millions, le parrain des parrains vivait planqu� dans une bergerie, dormait sur un simple lit de camp et se nourrissait de ricotta et de chicor�e. Il donnait ses ordres au travers de petits messages manuscrits qui se concluaient toujours par une petite phrase sur la gr�ce de Dieu. Arr�t� le 11 avril 2006 apr�s quarante ans de �cavale�, Bernardo Provenzano, le chef du tout-puissant clan des Corl�onais, affichait cette pauvret� comme un exemple d'��thique mafieuse�, selon l'expression du procureur de Palerme Piero Grasso, afin de renforcer encore son pouvoir absolu sur Cosa Nostra. �En vivant aussi simplement, il donnait l'exemple du sacrifice, un geste embl�matique pour un dirigeant si l'on pense au nombre de parrains d�tenus dans des conditions plus spartiates encore�, souligne John Dickie, historien et journaliste britannique, � la fin de sa riche histoire de la mafia sicilienne (*). En Italie, de nombreux ouvrages ont �t� consacr�s ces derni�res ann�es aux diverses organisations criminelles, et en premier lieu � Cosa Nostra, qui demeure la plus redoutable. Une telle synth�se r�cente n'existait pas en France. Celui que l'on appelait �U trattoru�, (le tracteur) �tait probablement le dernier repr�sentant d'un certain type de �padrino�. Mais les Corl�onais, originaires d'un petit village de l'arri�re-pays de Palerme, qui avaient pris le contr�le de l'organisation � la fin des ann�es 1970, apr�s une f�roce guerre de clans, repr�sentaient d�j� une totale rupture avec la mani�re d'�tre des �uomini d'onore� des d�cennies pr�c�dentes, qui aimaient � afficher une certaine respectabilit�. �Au cours de son premier si�cle d'existence, la mafia sicilienne ne tua que deux figures de l'ordre �tabli, de ces hommes occupant dans le monde des affaires, de la politique, du journalisme, de la justice ou de la police une position qui les faisait qualifier de �cadavres illustres�, mais avec l'ascension des Corl�onais il y a eu des dizaines de ces fameux cadavres�, note John Dickie. Cette fuite en avant dans la terreur voulue par Toto Riina, arr�t� en 1994, rendit Cosa Nostra �politiquement orpheline�. Elle entra�na, en effet, une mobilisation du pays et de la classe politique qui la priva des protections dont elle b�n�ficia longtemps au sein de l'Etat. Avec Bernardo Provenzano, Cosa Nostra est revenue aux vieilles m�thodes, gardant profil bas, mais �tendant son enracinement dans tous les rouages de la soci�t� sicilienne. Elle ne tue plus ou presque plus, mais cette �pax mafiosa�, que pourrait mettre � mal l'arrestation d'�U trattoru�, est plut�t un signe de puissance retrouv�e. John Dickie montre bien comment le pouvoir de Cosa Nostra et de chacune des familles est indissolublement li� au contr�le d'un territoire �o� le racket repr�sente ce que sont les imp�ts pour l'Etat avec la diff�rence qu'il s'applique aussi bien aux activit�s l�gales qu'ill�gales�. Malgr� les arrestations des derni�res ann�es, les proc�s et les centaines de �repentis� qui collaborent avec la justice, Cosa Nostra reste toujours aussi redoutable. (*) Cosa Nostra ; L'histoire de la mafia sicilienne de 1860 � nos joursde John Dickie, Editions Buchet-Chastel, Paris, 2007