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Nouvelle
Note introductive Par Le�la Aslaoui [email protected]
Publié dans Le Soir d'Algérie le 14 - 06 - 2007

A ma m�re gr�ce � laquelle je suis aujourd�hui �non-coupable� d��tre n�e fille. Elle qui m�a appris la tol�rance et le respect de l�autre. Avec ma gratitude et mon affection aux femmes de mon pays dont j�ai connu les souffrances et les drames. C�est pour elles que j�ai �crit Coupables
Des lectrices et lecteurs du Soir d�Alg�rie m�ont fait part (mails) de leur souhait de lire mon dernier ouvrage Coupables paru en France en septembre 2006 aux Editions Buchet-Chastel, indisponible, me font-ils remarquer, en Alg�rie. Ils me sugg�rent par ailleurs de publier les nouvelles de Coupables dans Le Soir d�Alg�rie. �Seule fa�on pour moi de pouvoir le lire car je ne voyage jamais en raison du prix co�teux du billet d�avion que mon salaire d�enseignante ne me permet pas de prendre en charge� (Na�ma). Il est vrai que l�espace qui m�est offert par la sympathique �quipe r�dactionnelle me permet de publier des nouvelles (jeudi) et des chroniques (samedi). Mais il n��tait pas �vident pour moi, a priori, de r�pondre � l�attente des lecteurs et lectrices qui m�ont contact�e. Pour une raison simple : certains pourraient aussit�t penser � une op�ration promotionnelle de ma part ou pis encore : � une publicit� tapageuse. Ceux-l�, et d�autres � je les rassure. En d�cidant de faire �diter mon ouvrage en France apr�s avoir �t� poliment �conduite par certains �diteurs alg�riens emball�s par le livre, mais g�n�s par mes positions politiques publiquement affich�es (l�un d�eux ne craignait-il pas un redressement fiscal d�un telle ampleur, qu�il serait contraint m�a-t-il dit �de mettre les clefs sous le paillasson� ?) Je savais parfaitement qu�il serait indisponible en Alg�rie. Quand bien m�me, gr�ce � M. Abderahmane Ali Bey, g�rant de la librairie du Tiers-Monde, j�ai pu � l�occasion d�une s�ance vente-d�dicace, le 11 janvier 2007, rencontrer un public nombreux, unique, avec beaucoup de plaisir. Pourtant ce souci qui est mien, de ne rechercher aucune publicit� (l�ouvrage n�en a gu�re besoin d�ailleurs, puisqu�il s�est bien vendu en France), ne me para�t pas incompatible avec mon intention � apr�s accord pr�alable de Buchet-Chastel � de publier quelques nouvelles de Coupables (quelques-unes).
* Je le fais, par respect pour celles et ceux qui en ont exprim� le d�sir. Notamment pour celles et ceux comme Na�ma qui ne peuvent voyager.
* Je le fais, puisque ayant totalis� plus d�une trentaine de nouvelles (publi�es dans Le Soir d�Alg�rie) celles extraites de Coupables n�auront rien d�in�dit.
* Je le fais enfin, car il ne s�agit nullement d�une op�ration commerciale pour moi-m�me encore moins pour l��quipe du Soir d�Alg�rie !�l Je le fais pour dire merci aux nombreux lecteurs et nombreuses lectrices dont les mails sont autant d�encouragements pour continuer � �crire et � dire comme ce penseur : �Quand on dit vrai, on est la majorit� m�me si on est seul.� (Chmou�l Yossef Agnon).
N. B. : Certaines nouvelles �tant longues, elles seront divis�es en deux parties. L�avant-propos, quant � lui, permettra de mieux comprendre le choix du titre Coupables.

Avant-propos
Le 16 juin 2005 une Alg�rienne, Assia Djebbar (1), �crivain de renomm�e internationale et dont l��uvre est traduite en une vingtaine de langues, est �lue � l'Acad�mie fran�aise. L'information litt�raire parvient � ses concitoyens gr�ce � quelques commentaires de journalistes de la presse �crite ind�pendante. L'Alg�rie officielle accueille, quant � elle, ce �haut fait d'armes� comme un non-�v�nement. Rien de surprenant : ce n�est pas la premi�re fois � et ce ne sera pas la derni�re � qu'un �crivain d'expression fran�aise est boud� et ignor�. Mohammed Dib ou Rachid Mimouni, romanciers talentueux, n�ont �t� honor�s par les �autorit�s � � terme consacr� dans le jargon politique � de leur pays qu'apr�s leur disparition. Le cas d'Assia Djebbar est particulier. Elle a une tr�s belle plume, mais elle est une femme. L'Alg�rie n'a jamais honor� �ses femmes�. Pourquoi en irait-il diff�remment avec elle ? Synonyme de fiert� pour ceux qui en ont appr�ci� la valeur, cette haute distinction n�a pu �viter le regard d�daigneux de ceux � nombreux � qui au lendemain de l�ind�pendance de l�Alg�rie, se sont octroy� le monopole du nationalisme et du patriotisme sous l'�il attendri du pouvoir politique. Peu leur chaut de savoir que, dans tous ses ouvrages, Assia Djebbar parle sans rel�che de son pays et des Alg�riennes (2). Elle ma�trise brillamment la langue de Voltaire 3) elle est femme : cela suffit � faire d'elle une �coupable� id�ale. Rappeler cet �v�nement litt�raire pass� sous silence dans mon pays peut sembler sans lien aucun avec le contenu de ce livre. Si j�ai choisi d�introduire ce propos par un fait culturel in�dit en Alg�rie, c�est parce que celui-ci illustre fort bien la r�elle d�consid�ration dont sont l'objet artistes, intellectuels, �crivains alg�riens, pr�sents par ailleurs sur la sc�ne internationale. Et lorsque culture rime avec femme, cela fait d�sordre. La cr�ativit� rend suspecte et �la fait sortir des rangs�. Cette expression n'est pas la mienne, mais celle d'un ministre qui fut mon coll�gue en 1994. Apr�s ma d�mission du gouvernement o� j��tais en charge de la Solidarit� nationale, le 19 septembre 1994, en signe de protestation contre les n�gociations secr�tes que menait le pouvoir avec les repr�sentants du Front islamique du salut (FIS) � parti dissous (4) �, cet homme confia son d�sarroi � une journaliste : �Il faut �tre folle comme elle pour sortir ainsi des rangs, sans l�autorisation de personne !� Ainsi, dans un acc�s de totale d�mence, j'avais oubli� que j'�tais une mineure sans convictions. Ministre oui, majeure jamais ! Apr�s l'assassinat de mon �poux par des terroristes le 17 octobre 1994, ses proches parents me reproch�rent d'avoir provoqu� les �barbus� par mes positions anti-islamistes publiquement affich�es (articles de presse, d�clarations t�l�vis�es). Ils feignaient d'oublier que mon mari et moi avions partag� le m�me combat. Celles qui font entendre leurs voix et s'imposent autrement que par la maternit� et les t�ches m�nag�res sont des marginales �sorties des rangs�, d�raisonnables ou �gar�es. Contre ce doigt accusateur point� en permanence par la soci�t� sur les femmes, ce livre donne la parole � B�dira, Ch�rifa, Safia... Des personnages qui ne sont pas sans pr�senter des similitudes avec des personnes vivantes ou ayant exist�. Si ces r�cits sont romanc�s, ils partent tous de faits r�els et de confidences que j'ai re�ues, pour lesquels je me suis efforc�e de composer une histoire capable de faire entendre la douleur des femmes que j'avais rencontr�es. Ce serait un truisme que de rappeler � quel point les drames et les trag�dies laissent peu de place � la fiction. Aujourd'hui encore, engendrer des filles conf�re � leur m�re une place inconfortable au sein de sa belle-famille et de la soci�t�. L'image que lui renvoie son corps est celle d'une femme inutile ou, pis, st�rile. Tr�s t�t, elle prend conscience que les droits humains au f�minin ob�issent aux seules traditions patriarcales. Cette derni�re remarque permet d'�viter les pi�ges d'un discours r�ducteur et subjectif, qui consisterait � affirmer que notre statut de mineures � vie serait la cons�quence du seul islamisme alg�rien. Les Alg�riennes ont �t� la cible privil�gi�e du terrorisme islamiste. Elles furent contraintes de se voiler, kidnapp�es, viol�es, �gorg�es. Aucune horreur ne leur fut �pargn�e. Cependant, sans analyser les causes de la mont�e de l'islamisme int�griste en Alg�rie � tel n'est pas le but de cet ouvrage �, il est utile de rappeler que celui-ci est l'enfant du pouvoir politique et son monstre (5). C'est dans l'impossible synth�se du socialisme et de l'islam d�s 1962 qu'il a puis� ses bases id�ologiques et sociales. Celle-ci a offert I'occasion aux fondamentalistes d'afficher au grand jour leur haine visc�rale � l'�gard des femmes responsables selon eux de la d�cadence des m�urs, du ch�mage des hommes, voire des calamit�s naturelles (6) ! Certes, le taux de scolarisation des filles est en augmentation (7) et l'on parle de f�minisation de secteurs tels que la sant�, l�enseignement, la magistrature et le barreau. Cependant, � comp�tences �gales, les hommes disposent de meilleures places, et surtout le nombre de femmes analphab�tes demeure encore �lev�. Elles sont 4 492 000, selon l�Office alg�rien des statistiques. Dans ces conditions, le f�minisme serait-il obsol�te, exag�r�, ou pessimiste ? Comment �tre optimiste lorsque l'on sait que le code de la famille, promulgu� en 1984 par l�Assembl�e nationale alg�rienne, fait de la femme une mineure � vie (8) ? Dix ans plus t�t, le pr�sident alg�rien de l'�poque d�clarait � Constantine : �Nous ne devons pas oublier que nous sommes un peuple arabe et musulman et c'est l� un facteur que nous devons prendre en consid�ration lorsque nous traitons du code de la famille� (le 1er avril 1974 devant les militantes de l'Union nationale des femmes alg�riennes ). Et en 1981, celui qui lui succ�da � qui l�galisa le FIS � qualifia les Alg�riennes qui manifestaient devant l'Assembl�e nationale contre l'avant-projet alors en discussion de �femmes occidentalis�es ath�es qui veulent consommer un couscous au porc�. En 1998, les vingt-deux propositions d'amendements �labor�es par des associations f�ministes et des femmes ind�pendantes rest�rent enferm�es dans un tiroir de l'Assembl�e. En f�vrier 2005, des modifications ont �t� apport�es (9), mais la montagne a accouch� d'une souris. Le tutorat (une femme majeure ne peut conclure son contrat de mariage sans l'aval et la pr�sence de son p�re ou tout autre homme de sa famille) est maintenu. La polygamie n'est pas abrog�e. Le divorce est accord� � la femme seulement dans des cas pr�cis qui demeurent inchang�s (article 53 du code). Deux �volutions sont � noter : la tutelle accord�e au parent � qui est confi�e la garde des enfants, et, s'il s'agit de la m�re, I'octroi du logement. Cette avanc�e fort timide prouve une fois de plus la volont� de surench�re misogyne du pouvoir politique, apte pourtant � comprendre que l'Etat de droit et le statut de mineure r�serv� � la femme sont incompatibles. La culpabilisation, dont nous sommes injustement l'objet et qui fait de nous des boucs �missaires id�aux pour exorciser tous les maux, ne s'inscrit pas seulement dans les mentalit�s, les tabous, les croyances, les superstitions ou le pouvoir des hommes. La loi, cens�e faire avancer les mentalit�s, continue � escamoter les droits de la moiti� de la soci�t� : les femmes. Si bien qu'elle est la principale ennemie de l'Alg�rienne qu'elle place dans une situation de sous-citoyenne, de mineure � vie. Compar�e � la Tunisie et au Maroc, l'Alg�rie, qui a pourtant ratifi� les conventions internationales (10), est nettement � la tra�ne. Et ce n'est pas par hasard que le code marocain de la famille, la Moudawana (11), fut vilipend� par �un citoyen � part enti�re� dans la presse (12), en expliquant que les modifications qui �taient intervenues �taient l'�uvre d'un juif d'origine, conseiller du roi Mohammed VI, Andr� Azoulay ! Femmes et juifs au rebut ! Lorsque la femme musulmane progresse, ce sont les juifs qui complotent. Hitler n'est pas tr�s loin... Coupables n'est pas un essai sur la condition f�minine en Alg�rie ou sur l'islamisme. Mais ces quelques pr�cisions �taient n�cessaires afin de comprendre que si l'islamisme a suffisamment montr� aux Alg�riennes le sort qu'il leur aurait r�serv� s'il s'�tait empar� du code de la famille en vigueur en 2005 ressemble � celui de 1984. Il y a lieu de dire aussi que les militantes des droits des femmes ont beaucoup de difficult�s aujourd'hui � agir au sein de leurs associations en raison de l'�tat d'urgence. Leur r�sistance et d�termination ne sont pas entam�es pour autant (13), et elles sont plus nombreuses que celles qui ont fait de leur �f�minisme� d�hier un marchepied pour les ambitions politiciennes d�aujourd�hui. Si Coupables raconte le destin de femmes qui ont chacune une histoire singuli�re, toutes partagent un sort commun : leur statut d�otages. Otages de la loi d'abord, des traditions, des mentalit�s, des tabous ensuite. Certains objecteront qu�ils connaissent en Alg�rie des femmes heureuses de leur condition. Sans doute. Mais elles aussi peuvent un jour �tre confront�es au code de la famille. Ma modeste ambition est d�arracher � l�Alg�rienne le cri de douleur et de r�volte qu�elle tient enfoui en elle depuis trop longtemps, en lui restituant une parole confisqu�e. De lui permettre de devenir une femme qui dit �je�, elle qui, habituellement, dispara�t dans le �nous� autoritaire de la famille et de la soci�t�. Pour autant, ce livre n'est pas un constat de faillite, mais au contraire la certitude qu'un jour le combat des Alg�riennes aboutira parce que les deux �pith�tes qui leur conviennent le mieux sont : battantes et r�sistantes (14).
L. S.

Yasmina (15)
au docteur Sh�razade B.
Lundi 8 mars 2004
Je suis arriv�e t�t ce matin, pour d�nicher une place assise. Avant de franchir le seuil de ce tribunal, j'ignorais que l'on �tait convoqu� � huit heures trente pour ne passer qu'� midi et demi ou treize heures. La premi�re fois, comme d'autres justiciables, j'ai attendu trois heures debout avant que vienne mon tour. Les banquettes en bois, scell�es au sol de chaque c�t� de la salle d'audience, sont nettement insuffisantes pour contenir tous les d�sesp�r�s et autres tra�ne-mis�re qui doivent patienter ici. La premi�re rang�e est r�serv�e aux avocats. Les quatre autres sont destin�es au public. Hommes, femmes. vieux, jeunes, se serrent c�te � c�te, sans se regarder, sans se voir. Leur seule pr�occupation est de ne pas rater l'appel de leur affaire. Aujourd'hui, ces lieux me sont devenus familiers. Je me suis habitu�e aux murs gris�tres, l�zard�s, d�cr�pis et sales. Les couloirs �troits sont �clair�s par des lampes de quarante watts. Sombres et froids, ils ressemblent � l'indiff�rence et au d�dain de ceux qui n'ont pas le temps de retenir nos noms. Les juges ne connaissent que les num�ros. Et c'est ainsi que j'ai appris que m�moriser le mien �tait capital. Mon cas s'appelle 183, de l'ann�e 2003. Ce qui s��crit ainsi : 183/2003. Ne voulant pas camper dans mon r�le de spectatrice, j'entendis percer les secrets de Dame Justice. Quelle pr�tention ! Au d�but, je croyais avoir toutes les cartes en main. Peu � peu, la machine s�emballa au point de devenir insaisissable, incontr�lable, infernale. A l�instar des adh�rents d'un club priv�, les juges comprennent ceux qui parlent leur langage et portent le m�me uniforme qu�eux. Dans ce monde-l�, la justiciable que je suis apprit que l'on ne dit pas registre mais �plumitif d'audience �. �Enr�lement� et non pas enregistrement. �R�le� et non r�pertoire. Appel des �causes� et non pas des affaires. Une �citation � et pas une convocation. Pour ne pas perdre pied, je d�cidai de me familiariser avec ces concepts et quelques autres, d'en saisir le sens en fran�ais, mais �galement en arabe classique (16). Venant d'un univers professionnel d�j� tr�s �sot�rique � la m�decine �, je n'aurais pas pu imaginer qu'il en existait un autre plus ferm�. Pour le juge et le greffier, je suis un matricule, rien qu'un matricule. Qu'il est lointain le temps o� j'�tais persuad�e que mon litige serait r�gl� rapidement ! Tout a commenc� en janvier 2003. Omar � mon ex-�poux dans mon esprit, mais toujours mon conjoint selon la loi �, et moi-m�me devons nous pr�senter � l'audience des conciliations, fix�e � huit heures trente. Nous ne risquons pas de faire attendre le juge, �tant tous deux tr�s ponctuels. C'est certainement l'une des choses � rares � que nous avons le mieux partag�es. Pour la premi�re fois de ma vie, � quarante-quatre ans, je p�n�tre dans un palais de justice. Je d�couvre l'espace que les initi�s appellent �la salle des pas perdus�, pour dire les lenteurs judiciaires et la perte de temps. Des avocats en robe noire vont et viennent au milieu d'une foule grouillante et bruyante. Mon regard se pose sur les plafonds. Ils sont mouill�s : il pleut dedans comme dehors, cela ne semble g�ner personne. J'aper�ois Omar. il se tient debout avec les hommes. Face � eux, les femmes sont assises sur une unique banquette en bois, sur les marches de I'escalier, ou pour certaines, � m�me le sol. Voil�es ou d�voil�es, jeunes ou moins jeunes, nous paraissons soud�es les unes aux autres. Solidaires pour quelques instants, unies dans le malheur. Lorsque le greffier appelle un num�ro, c'est � peine si nous I'entendons dans le brouhaha g�n�ral. En attendant mon tour, j'�coute les propos qu'�changent les femmes entre elles. Presque toutes �prouvent le besoin de raconter leur drame. De dire le pourquoi de leur pr�sence en ces lieux tr�s particuliers. Pour ma part, je suis d�termin�e � garder le silence. A quoi bon me laisser aller � des confidences avec des inconnues ? Je n'ai pourtant jamais jug� inconvenante la mani�re directe, sans fioritures, avec laquelle des femmes confient leurs secrets les plus intimes � d'autres, au hammam ou chez la coiffeuse. L'inconnue rencontr�e par hasard ne demande ni nom ni adresse. Elle �coute et compatit. Elle est la parole lib�r�e, la justice r�tablie. Souvent, j'ai eu envie de parler moi aussi, pour me d�livrer de ce poids devenu trop lourd pour le porter seule. Mais je n'ai jamais pu le faire. Pudeur ? Timidit� ? Les deux, sans doute. �Apr�s vingt ans de mariage, mon �poux a estim� que je ne lui convenais plus. Il s'est remari� avec une femme plus jeune que moi. Il m'a chass�e du domicile conjugal. Le juge m'a confi� la garde de mes quatre enfants. Je vis actuellement chez mes parents et n'exerce aucune activit� professionnelle. Nous sommes douze personnes dans un deux-pi�ces � Belcourt (17). Mes fr�res sont m�contents, car je suis pour eux une charge suppl�mentaire dont ils se seraient volontiers pass�s. Ils me reprochent d'�tre revenue. Selon eux, j'aurais d� accepter la seconde �pouse. Est-ce ma faute si la loi est mal faite (18) ?� Celle qui raconte son drame �clate en sanglots. �Ne pleure donc pas, s'�crie une autre. Mon mari m'a �pous�e en secondes noces. C'�tait un mariage arrang� par mon p�re. Il disait avoir r�pudi� sa femme parce qu'elle �tait st�rile. Lorsque j'eus mis au monde mes jumeaux, il d�cida de les lui confier et de vivre de nouveau avec elle. Il n'avait pas divorc�. J'�tais une m�re porteuse. L'autre �tait sa v�ritable compagne. Lorsque j'ai refus� de me s�parer de mes enfants, il les a retenus de force apr�s m'avoir battue et renvoy�e chez mes parents. Reverrai-je mes enfants ? Le juge va-t-il m'en confier la garde ? - Moi, dit une autre, je l'ai connu et choisi. Au bout de six mois de mariage, il m'a avou� qu'il �tait d�j� mari� et qu'il avait une fille. Je ne veux plus vivre avec lui. Il me supplie de renoncer au divorce et dit m'aimer. Comment peut-on aimer deux femmes ?� Je la regarde. Elle est tr�s jeune et si fr�le. Comment l'imaginer affrontant la trahison ? �Mon histoire pourrait ressembler � un gag, si ce n'�tait pas une trag�die. Mon �poux est d�c�d� l'an dernier lors d'un accident de circulation. Il m'a laiss� huit enfants. Le plus �g� a vingt ans et la benjamine sept. Le jour de l'enterrement, une jeune femme tenant un b�b� dans ses bras s'est pr�sent�e � mon domicile. J'ai cru qu'il s'agissait d'une coll�gue de mon d�funt mari. Elle m'apprit qu'elle �tait ma co�pouse depuis trois ans ! Son mariage avait �t� c�l�br� par la Fatiha (19). �Elle m'a jur� avoir �t� tromp�e : elle pensait que j'avais �t� r�pudi�e. Je ne m'�tais jamais aper�ue que mon mari avait fond� une autre famille. Elle m'a dit pouvoir subvenir aux besoins de son enfant, �tant professeur de sciences naturelles dans un Iyc�e. Mais elle veut que sa fille porte le nom de son p�re. C'est pour m'opposer � cette proc�dure de r�gularisation du mariage et de l�gitimation de l'enfant que je suis l�. Comment l'enfant du p�ch� deviendrait-elle la s�ur de mes enfants ? - Mais c�est aussi son p�re et elle n'est nullement responsable de ce qu'ont fait les adultes. D'ailleurs, si sa m�re prouve qu'elle s'est mari�e par la Fatiha, le juge r�gularisera l'union et l'enfant sera l�gitim�. Je le sais, parce que ma s�ur a v�cu la m�me situation que vous. Le juge lui a dit qu'elle devait accepter sa co�pouse qui n'avait commis aucun p�ch�, puisqu'un imam avait b�ni son union.� Celle qui r�pond avec autant de sagesse est une dame entre deux �ges. On l'imaginerait au coin du feu racontant de d�licieux contes � ses petits-enfants. Je me demande pour quelles raisons elle est parmi nous. Elle ne ressemble pas aux autres. Elle est �l�gante et s'exprime avec aisance, sans hurler comme certaines. Une grande tristesse traverse ses yeux lorsqu'elle poursuit : �Moi aussi, mon mari divorce pour prendre une deuxi�me �pouse plus jeune que moi. Nous avons v�cu ensemble quarante-cinq ans. Aujourd'hui, je suis h�berg�e par l'un de mes enfants, car j'ai �t� chass�e du domicile conjugal. Je n'ai m�me pas pris ma carte d'identit� parce qu'il m'a interdit d'emporter quoi que ce soit. Il m'a d�pouill�e de tous mes souvenirs, de tous mes rep�res. Je ne sais m�me plus qui je suis. A coup s�r, le juge lui accordera la r�pudiation, mais Dieu fasse qu'il me permette au moins de prendre mes effets personnels et bien d'autres objets qui m'appartiennent.�
L. A.
Suite jeudi prochain
1. De son vrai nom Fatima-Zohra Imalayene, Assia Djebbar est n�e en 1936 � Cherchell (� cent kilom�tres � l'ouest d'Alger). En 1955, elle est la premi�re alg�rienne � �tre admise � l'�cole normale sup�rieure de Paris. Elle publie en 1956 La Soif (Julliard), qui re�oit alors le �prix de l'Alg�rienne�. Ce roman sera suivi de nombreux autres livres, parmi lesquels Les Impatients (Julliard, 1958), Les Enfants du Nouveau Monde (Julliard, 1962), Les Alouettes na�ves (Julliard, 1967), Femmes d'Alger dans leur appartement (�d. des femmes 1980), Loin de M�dine (Albin Michel, 1991), Vaste est la prison (Albin Michel, 1995), le Blanc de l'Alg�rie (Albin Michel, 1996) et Les Nuits de Strasbourg (Actes Sud, 1997). Son film La Nouba des femmes du mont Chenoua a �t� prim� en 1979 � la Mostra de Venise.
2. J'ai le bonheur d�avoir lu tous les romans d'Assia Djebbar.
3. Un terme p�joratif a �t� cr�� et largement v�hicul� par la presse arabophone pour d�signer les Alg�riens impr�gn�s de culture fran�aise : �Hizb Fran�a� (le parti de la France).
4. Le 4 mars 1992, le FIS avait �t� dissous par d�cision de la Chambre administrative de la cour d�appel d'Alger.
5. Le FIS a �t� l�galis� le 6 septembre 1989 en tant que parti politique, en violation de l'article 40 de la Constitution du 23 f�vrier 1989 qui interdisait la cr�ation de partis sur des bases �de r�gionalisme et de religion �.
6. Apr�s le s�isme du 21 mai 2003, de nombreux imams ont fustig� les tenues vestimentaires des femmes, responsables, selon eux, de la col�re divine.
7. Le taux de r�ussite des filles tant dans l'enseignement secondaire qu'� l'universit� est nettement sup�rieur � celui des gar�ons. Elles ont compris que la possibilit� de promotion sociale passe par le succ�s scolaire et l'activit� professionnelle.
8. Loi du 9 juin 1984 adopt�e par les d�put�s du parti unique, le FLN. Quelques ann�es plus tard, le farouche d�fenseur du code de la famille, Abdelaziz Belkhadem islamiste pur et dur, sera le chef de file du courant hostile � la venue en Alg�rie du chanteur Enrico Macias, pourtant invit� officiellement par le pr�sident Bouteflilka, en 2002.
9. Ordonnance du 27 f�vrier 2005 n� 05-02, compl�tant et modifiant la loi du 9 juin 1984.
10. La convention de Copenhague (1979) exige l��limination de toutes les formes de discrimination.
11. Le code marocain de la famille a supprim� le tutorat pour la femme au moment de la conclusion du mariage, et lui offre le droit au divorce sans r�serve.
12. Lettre parue le 2 janvier 2005 dans le quotidien El Watan.
13. Leurs voix se sont fait entendre en f�vrier 2005, pour r�affirmer leur opposition au code de la famille.
14. Au moment o� j'ach�ve la r�daction de cet avant-propos, la presse r�v�le une excellente nouvelle : le Conseil des ministres a annonc�, le 26 juin 2005, la suppression de la fili�re des sciences islamiques dans l'enseignement secondaire. Si le pouvoir politique a enfin compris que l'�cole r�publicaine ne doit plus �tre prise en otage par l'islamisme, pourquoi persiste-t-il � sacrifier les droits des femmes pour ne pas f�cher ce m�me islamisme ? Au cours du m�me Conseil des ministres, il a �t� d�cid� d'adapter le code de proc�dure p�nale aux conventions ratifi�es par l'Alg�rie, notamment la D�claration universelle des droits de I'homme... Le code de la famille �chapperait-il aux droits de l'homme?
15. Pr�nom f�minin signifiant jasmin ou fleur de jasmin.
16. Les jugements et arr�ts sont r�dig�s et prononc�s en arabe classique depuis 1970. Cette ann�e l�, I'institution judiciaire a �t� totalement arabis�e.
17. Quartier d'Alger.
18. La loi n� 84-11 du 9 juin 1984 promulguant le code de la famille n'octroie pas le domicile conjugal � l��pouse divorc�e quand bien m�me � et c'est toujours le cas � la garde des enfants lui est confi�e. L�article 52 de cette loi stipule : �Si le domicile conjugal est unique, il est exclu de la d�cision.� Que de femmes et d'enfants se sont ainsi retrouv�s � la rue en raison de cette disposition terriblement injuste ! L'ex-�poux garde le domicile conjugal et peut ainsi se remarier avec une seconde, voire une troisi�me ou une quatri�me femme !
19. C�r�monie religieuse c�l�br�e par un imam et deux t�moins hommes, au cours de laquelle est b�nie une union par la lecture de la premi�re sourate (Fatiha) du Coran. Ce mariage n'est pas reconnu par la loi puisqu'il n'est pas c�l�br� par un officier d'�tat civil, mais il permet cependant � l'�pouse de r�gulariser sa situation, m�me apr�s le d�c�s de son ��poux�. Elle se doit de prouver au juge, gr�ce aux t�moins et � l'imam, qu�il y a bien eu mariage par la Fatiha. Cela lui donne le droit � ainsi qu'aux enfants � de faire valoir ses droits successoraux et de porter le nom de l'�poux. Il s'agit, en termes juridiques, d'une �possession d'�tat d��pouse �, puisque la femme a la r�putation, aux yeux du public, d'avoir l'�tat apparent de femme mari�e. En outre, la Fatiha permet la cohabitation entre une femme et un homme : leur union est b�nie, il n�y a pas de p�ch� de chair (dans l�Islam, les relations sexuelles ne sont permises que dans le cadre du mariage, faute de quoi il s'agit de fornication). S'il y a eu fian�ailles et Fatiha, et que l'un ou l'autre des conjoints entend rompre, la Fatiha doit �tre annul�e par un imam et les deux t�moins. Sinon la fianc�e ne peut pas se marier avec un autre homme, �tant li�e au premier par un engagement religieux et sacr�. Pourtant, vis-�-vis de la loi, il n'y a pas eu de mariage !


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