Ligue 1 Mobilis: le MCO rate le coche face à l'USMK (0-0)    CPI : les mandats d'arrêt à l'encontre des responsables sionistes sont "contraignants"    Réunion OPEP-Russie : l'importance de la stabilité des marchés pétroliers et énergétiques soulignée    CAN-2025 U20 (Zone UNAF) 4e journée (Tunisie-Algérie) : victoire impérative pour les "Verts"    Sansal, le pantin du révisionnisme anti-algérien    Organisation du 20e Salon international des Travaux publics du 24 au 27 novembre    Startups : Les mécanismes de financement devraient être diversifiés    Jeux Africains militaires–2024 : l'équipe nationale algérienne en finale    Ghaza : 25 Palestiniens tombés en martyrs dans des frappes de l'armée sioniste    La Révolution du 1er novembre, un long processus de luttes et de sacrifices    70e anniversaire du déclenchement de la Révolution : la générale du spectacle "Tahaggart ... l'Epopée des sables" présentée à Alger    Nécessité de renforcer la coopération entre les Etats membres et d'intensifier le soutien pour atteindre les objectifs    Accidents de la circulation en zones urbaines: 11 morts et 418 blessés en une semaine    Le ministre de la Santé met en avant les progrès accomplis par l'Algérie dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens    Le Conseil de la nation prend part à Montréal à la 70e session de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN    Khenchela: 175 foyers de la commune d'El Mahmal raccordés au réseau du gaz naturel    Le Général d'Armée Chanegriha préside la cérémonie d'installation officielle du Commandant de la 3ème Région militaire    Palestine: des dizaines de colons sionistes prennent d'assaut l'esplanade de la mosquée Al-Aqsa    Regroupement à Sidi-Moussa    JSK – PAC en amical le 21 novembre    La liste des présents se complète    Poutine a approuvé la doctrine nucléaire actualisée de la Russie    L'entité sioniste «commet un génocide» à Ghaza    Liban : L'Italie dénonce une nouvelle attaque «intolérable» de l'entité sioniste contre la Finul    Un nourrisson fait une chute mortelle à Oued Rhiou    Sonatrach s'engage à planter 45 millions d'arbres fruitiers rustiques    Campagne de sensibilisation au profit des élèves de la direction de l'environnement de Sidi Ali    Pour une économie de marché concurrentielle à finalité sociale    Sonatrach examine les opportunités de coopération algéro-allemande    Semaine internationale de l'entrepreneuriat    Il y a 70 ans, Badji Mokhtar tombait au champ d'honneur    L'irrésistible tentation de la «carotte-hameçon» fixée au bout de la langue perche de la Francophonie (III)    La femme algérienne est libre et épanouie    Les ministres nommés ont pris leurs fonctions    «Dynamiser les investissements pour un développement global»    Le point de départ d'une nouvelle étape    L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



RENE GALLISSOT
�D�passer la fronti�re coloniale�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 14 - 06 - 2007

Pourquoi faites-vous partir votre probl�matique de l�ann�e 1870 ?
Cette date justifie le titre de l�ouvrage. Il y a bien eu le moment r�publicain de la IIe R�publique, en 1848, qui a eu en Alg�rie un effet assimilateur, administratif en cr�ant les d�partements alg�riens, suivi de manifestations r�publicaines chez les petits blancs. Mais l�essentiel du livre porte sur la r�publique et les indig�nes, c'est-�-dire principalement sur la IIIe R�publique dans son action coloniale.
Or, la IIIe R�publique a �t� r�publicaine � gauche de m�me qu�elle a �t� l�Etat colonisateur fran�ais. C�est elle qui a �t� responsable de la politique alg�rienne � la fois par le gouverneur g�n�ral qu�elle d�signait et par toute l�administration en place, tr�s souvent des hommes choisis par des r�publicains fran�ais li�s par des r�seaux de solidarit�, y compris des r�seaux de franc-ma�onnerie, et par des liens de partis qu�ils soient radicaux ou socialistes. Il y a donc une pesanteur particuli�re, r�publicaine dans la politique coloniale de l�Alg�rie. Ce qui redouble cet exemple alg�rien, c�est que cette IIIe R�publique s�affiche comme repr�sentant la mission de la France dans le monde, une mission au nom des droits de l�homme. Or, elle n�applique ni en Alg�rie ni ailleurs l��galit� dans la citoyennet�. Elle ne respecte pas les droits de l�homme. La IIIe R�publique a �tabli le Code de l�indig�nat qui dispose de mesures polici�res, punitives permettant aux colons d�ex�cuter l�arbitraire en Alg�rie. Jamais la IIIe R�publique n�a supprim� ce code, pas m�me sous la p�riode du Front populaire. Il fut supprim� en 1944 parce que l�on ne pouvait pas faire autrement. Telle est donc cette forte particularit� que l�on retrouve notamment chez les instituteurs r�publicains : la coexistence d�un discours des droits de l�homme et l�in�galit� des indig�nes.
Quelle est la gen�se du terme indig�ne appliqu� aux Alg�riens ?
Le terme indig�ne est employ� dans les colonies, non en France, ni dans les m�tropoles mais pratiquement dans toutes les colonies de langue anglaise et plus encore n�erlandaise qui ont constitu� les mod�les de la politique indig�ne. Le gouvernement g�n�ral de l�Indon�sie, que l�on appelait les Indes n�erlandaises, a invent� le gouvernement g�n�ral, l�arm�e indig�ne, les villages et les chefs indig�nes. Ce n�est donc pas sp�cifique � l�Alg�rie. Ce qui est propre � la France, c�est qu�en 1834, les anciens sujets ottomans sont devenus sujets fran�ais indig�nes. On a employ� cette formule pour indiquer qu�ils �taient fran�ais, dans la souverainet� fran�aise, mais qu�ils �taient sans voix comme des sujets colonis�s. Indig�ne signifie appartenant au pays et, parce que vous appartenez au pays, vous n�avez pas de droits, vous appartenez � la population inf�rieure qui a �t� conquise. Donc les anciens sujets ottomans sont devenus des sujets fran�ais indig�nes. Cette distinction entre indig�nes et ceux qui, eux-m�mes, se nommaient europ�ens, est rest�e jusqu�� la fin de l�histoire coloniale, m�me si les Europ�ens �taient pratiquement tous devenus fran�ais tandis que les indig�nes �taient rest�s des indig�nes hormis les quelques milliers qui avaient renonc� au statut personnel. L�histoire coloniale consistait donc bien � maintenir les colonies sous l�inf�riorit� de la condition indig�ne.
La fronti�re coloniale est une fronti�re infranchissable, � la fois en tant qu�institution et en tant que fronti�re mentale s�parant les indig�nes musulmans des Europ�ens fran�ais en Alg�rie, et les Fran�ais des Nord-Africains en France. Cette fronti�re a-t-elle �t� franchie par la gauche ? Quelle gauche et quand ?
La fronti�re est celle de l�in�galit� entre les citoyens fran�ais qui ont l�exercice du vote et la pr�sence au sein des institutions, et ceux qui sont assign�s � la condition d�indig�ne et qui, � la suite de la naturalisation � on devrait dire de la nationalisation fran�aise des juifs d�Alg�rie en 1870 � sont uniquement de statut musulman. Donc, apr�s 1870, il y a conjonction indig�nes- musulmans. Les indig�nes musulmans sont pr�cis�ment la d�finition de l�inf�riorit� en situation coloniale de l�Alg�rie. On ne peut pas dire, la gauche a franchi cette fronti�re, mais parmi les courants de gauche, plus on s�approche de la gauche la plus militante, y compris � l�int�rieur du Parti socialiste, plus on s�approche de l�extr�me gauche, libertaire, anarchiste, ou celle qui deviendra communiste, plus on trouve des gens qui ont franchi la fronti�re coloniale. Ce qui signifie qu�ils ont milit� en toute camaraderie, ou qu�ils ont particip� � toutes les luttes aux c�t�s des Alg�riens. Il s�agit donc d�un ph�nom�ne d�extr�me gauche militante, d�ailleurs plus fr�quent dans le mouvement syndical � � la CGTU dans les ann�es 1920 puis � la CGT � que dans les partis politiques. Seuls les militants les plus conscients politiquement se sont d�barrass�s de la fronti�re coloniale. Par contre, la fronti�re coloniale est assez bien surmont�e � l�int�rieur des luttes conduites par le mouvement syndical.
Un chapitre important de votre ouvrage est celui qui nous m�ne aux origines du socialisme colonial. On observe une �volution du socialisme colonial depuis l�extr�misme du populisme colonial r�publicain (1848) jusqu�� une sorte de socialisme anti-juif, en passant par la trompeuse �Commune d�Alger�. Qu�est-ce que le socialisme colonial ?
Les id�es socialistes ont eu prise en Alg�rie par les petits colons, ceux que l�on appelle les petits blancs et qui sont souvent des colons manqu�s, soit qu�ils ont abandonn� leur ferme, soit des ouvriers ou des ouvri�res employ�s en ville. Ils sont les porteurs de ce socialisme que j�appelle colonial. Pourquoi colonial ? Parce que, sauf exception, ils ne remettent pas en cause la colonisation et ne r�clament pas l�ind�pendance de l�Alg�rie, si ce n�est l�ind�pendance pour eux-m�mes qui s�appellent alg�riens. C�est un socialisme colonial car ils se croient anticolonialistes alors qu�ils sont anti-colons, oppos�s avec force et virulence aux gros colons, ces f�odaux, ces ma�tres des terres, ceux qui font suer le burnous. Ce socialisme colonial est essentiellement du populisme, les petits contre les gros. Ce sont eux qui ont diffus�, en Alg�rie, le mot paria. D�ailleurs, pendant la guerre d�Alg�rie, on a pu lire sur les murs : OAS, c�est nous les parias. Ce socialisme colonial est, ce que l�on nomme en sociologie, le socialisme des petits blancs, un terme venu des soci�t�s coloniales d�Am�rique. La question qui s�est pos�e � la fin du XIXe si�cle est celle de la lutte entre les citoyens fran�ais, qui n��taient pas les plus nombreux dans le peuplement, et les citoyens juifs devenus fran�ais, une trentaine de milliers, � peine un quart d��lecteurs, un maire � cette �poque pouvant �tre �lu avec quelques dizaines, voire quelques centaines de voix. Il y a donc eu un probl�me de vote, de concurrence et de lutte politique tr�s fort, si bien que ce populisme �anti-gros� s�est mu� en populisme anti-juif. A la fin du XIXe si�cle, la commune de Mustapha, situ�e au-dessus d�Alger, a �t� dirig�e par un maire qui se disait socialiste anti-juif. Il y a eu un d�ferlement d�anti-s�mitisme � on disait � l��poque anti-juif � auquel le socialisme des petits blancs a contribu�. La rupture s�est op�r�e apr�s 1900. Les coloniaux re�oivent alors ce que l�on appelle les D�l�gations financi�res, une raison pour ne jamais aller jusqu�� l�ind�pendance coloniale. Ces coloniaux vont continuer � �tre racistes et anti-juifs, un anti-s�mitisme europ�en qui s�exprimera tr�s fortement sous la p�riode de Vichy. Les socialistes, � l�exemple de Jaur�s qui s��tait montr� tr�s sensible aux id�es anti-juives de son ami Viviani, ont rompu avec tout anti-s�mitisme apr�s l�affaire Dreyfus. Donc, au XXe si�cle, on ne peut accuser ni les socialistes, ni les communistes, ni les militants de gauche de continuer le socialisme anti-juif. Il y a rupture tr�s nette au lendemain de l�affaire Dreyfus. D�s ce moment, les socialistes, qui vont fonder le parti qui s�appellera la SFIO, d�noncent le racisme et d�veloppent une th�orie que l�on nomme, � mon avis un peu abusivement, assimilationniste. C�est l�id�e de la fraternit� des races. Ce qui est ambivalent car si l�id�e est int�ressante, encore qu�il y ait le mot race, cette fraternit� des races ne va pas modifier la condition d�indig�ne. Telle est la contradiction de la fronti�re coloniale.
Apr�s la Premi�re Guerre mondiale, on assiste � la naissance du communisme fran�ais, puis des premi�res organisations nationalistes alg�riennes. Cette naissance, en faisant �merger des cadres indig�nes, a-t-elle fait bouger les lignes � l�int�rieur du socialisme colonial ?
Apr�s la Premi�re Guerre mondiale qui comporte la r�volution bolchevique et la naissance du mouvement communiste, l�id�e qui se r�pand dans le monde, y compris, � travers les discours du pr�sident des Etats- Unis Wilson, c�est que les peuples ont le droit de disposer d�eux-m�mes. C�est le d�but de la mont�e des mouvements que l�on appellera ensuite de lib�ration nationale � � cette �poque on disait mouvement d�ind�pendance ou mouvement du droit des peuples �. Ce mouvement oblige la gauche socialiste � prendre position. Apr�s la cr�ation du Parti communiste en France comme ailleurs, en 1920, la gauche va se s�parer, de m�me que les syndicats en Alg�rie et en France, entre la CGT et la CGTU (Conf�d�ration g�n�rale du travail unitaire) par rapport � la r�volution bolchevique et � l�ind�pendance des colonies. L�ind�pendance des colonies �tait l�une des r�solutions obligatoires dans l�adh�sion � l�Internationale communiste. Maxime Guillon, le fondateur du syndicalisme en Alg�rie, instituteur et conseiller municipal de Sidi-Bel-Abb�s a �lev� une protestation � la motion de Sidi-Bel-Abb�s � contre l�obligation de lutter pour l�ind�pendance des colonies, pr�textant que c��tait aux coloniaux de savoir ce qu�ils avaient � faire vis-�-vis des colonis�s qui �taient, disait-il, dans une condition tellement inf�rieure, tellement arri�r�e qu�ils ne pouvaient absolument pas penser � l�ind�pendance. L�Internationale communiste a d�nonc� la motion de Sidi-Bel- Abb�s comme une motion raciste. Le partage va s�op�rer entre les socialistes r�publicains qui ne pensent qu�� des r�formes mais � l�int�rieur du r�gime colonial, se lamentant sur les occasions perdues, et les syndicalistes communistes qui d�fendent l�id�e d�ind�pendance en collaboration avec l�Etoile nordafricaine qui a �t� cr��e dans l�immigration en France en 1926 et qui soutient l�id�e d�ind�pendance. Sous le Front populaire, les mots d�ordre deviennent ambivalents car on est � la fois membre des comit�s de Front populaire qui ne pr�conisent que des r�formes restreintes comme le projet Blum-Violette qui aurait fait une vingtaine de milliers de citoyens fran�ais en plus, et le courant qui comprend � la fois les communistes, les oul�mas et les r�publicains ou les r�formistes alg�riens qui conduisent au Congr�s musulman qui s�est tenu � Alger en 1936 et 1937. A partir de 1937- 1938, la r�pression des colons et du gouvernement fran�ais est telle que l�on comprend que la r�forme coloniale est impossible, que le syst�me colonial est le plus fort et que la solution est l�ind�pendance. Cette terrible r�pression pr�c�de la p�riode de Vichy, elle-m�me p�riode de r�pression.
En quoi la participation des soldats alg�riens � la Premi�re puis � la Seconde Guerres mondiales aboutit-elle � la fracture de mai 1945 ?
Je voudrais faire une distinction entre la longue histoire de l�arm�e indig�ne et Mai 1945. Toutes les m�tropoles coloniales ont constitu� des arm�es indig�nes. La plus c�l�bre, c�est l�arm�e arabe constitu�e par l�Empire britannique, � l�origine de la Ligue arabe. Toutes les puissances coloniales ont donc mobilis� des indig�nes en plus grand nombre que les conscrits coloniaux. Ces arm�es indig�nes �taient employ�es dans d�autres colonies : les troupes d�Afrique noire pour la r�pression en Alg�rie, les r�giments alg�riens indig�nes contre les Marocains pendant la Guerre du Rif. Durant la Premi�re guerre mondiale, l�arm�e fran�aise a mobilis� �norm�ment de soldats indig�nes. 120 000 sont venus en France et 80 000 travailleurs coloniaux ont �t� r�quisitionn�s. Il y a donc environ 200 000 jeunes Alg�riens, parfois tr�s jeunes, qui sont venus en France. A cette �poque, la France ne connaissait pas le racisme colonial tel qu�il existait en Alg�rie. Ceux que l�on appelait les soldats nord-africains �taient re�us dans des familles fran�aises. C�est le d�but de l�immigration alg�rienne en France qui peu � peu va subir le racisme, la fronti�re coloniale � l�int�rieur de la France. Certains sont devenus responsables syndicaux et m�me conseillers municipaux dans des municipalit�s communistes, ce qui n�a pas emp�ch� le racisme de se d�velopper, d�signant les Nord- Africains comme des indig�nes mena�ant la race fran�aise. On ne disait pas l�identit� nationale mais l��crivain Jean Giraudoux avait demand� en 1939 un �minist�re de la race�, sous-entendu fran�aise. Il faut donc �tre mod�r� dans la c�l�bration de la participation des troupes indig�nes y compris � la Seconde Guerre mondiale qui est celle de la lib�ration de l�occupation italienne et allemande par la campagne d�Italie et la campagne de France. Cette lib�ration s�est faite au nom de la lib�ration nationale de la France. L� est le quiproquo car pour des Fran�ais, lib�ration nationale signifie lib�rer la France, et en Alg�rie, pour les Alg�riens, pourquoi pas lib�ration de l�Alg�rie ? On ne peut expliquer la vivacit� de la rupture de 1945 avec l�id�e d�ind�pendance de l�Alg�rie, si l�on ne restitue pas l�impact de ce mot de lib�ration nationale. Pour les soldats de l�arm�e fran�aise, cela voulait dire lib�ration nationale de la France. Pour le mouvement politique comme le PPA, qui deviendra PPA-MTLD, lib�ration nationale signifie lib�ration nationale de l�Alg�rie. C�est la grande coupure.
La p�riode d�incubation nationaliste de neuf ans (entre 1945 et 1954) est une p�riode de ruptures d�une part, entre le mouvement communiste et le mouvement national, d�autre part, � l�int�rieur m�me du mouvement national, tout cela ayant des cons�quences sur le plan syndical. Au PCA, � la CGT y avait-il encore la notion d�indig�ne ?
C�est une question difficile car il faut distinguer trois choses. Tout d�abord, il y a un grand contentieux entre le mouvement nationaliste dirig� par Messali, de l�Etoile nord-africaine au PPA ou MTLD, et le Parti communiste devenu Parti communiste alg�rien. Ce contentieux est tr�s fort. Il se manifeste d�s l��poque du Front populaire qui ne d�fend pas le projet Blum-Violette, qui n�abolit pas le Code de l�indig�nat. Il se manifeste encore plus ouvertement en 1945 et il ne cessera pas quelle que soit l�importance de la crise du MTLD d�une part, que l�on appelle crise berb�riste en 1949, et de la crise du MTLD apr�s 1951, 1952 qui fait que des militants intellectuels abandonnent le MTLD. Il y a eu des transferts dans le PCA qui a donn� naissance � l�action du PCA pour une �Alg�rie alg�rienne� faite d�Alg�riens qui se reconnaissent comme citoyens alg�riens quelle que soit leur origine ou leur religion. Ensuite, la fronti�re coloniale est davantage franchie sur les lieux de travail qu�elle ne l�est dans l�habitat par exemple. La CGT, jusqu�en 1956 � l�UGTA n�est cr��e qu�en 1956 � fonctionne comme une maison commune accueillant � la fois les communistes, les nationalistes, les sans partis. Ceux qui abandonnent alors la CGT, ce sont les Fran�ais. Ils refusent que la CGT revendique les ind�pendances. Il y a l� un exemple de d�passement de la fronti�re coloniale et une sorte d�Alg�rie alg�rienne r�alis�e, pour une part, � l�int�rieur de la CGT, et un certain noyau notamment intellectuel, qui a opt� pour la nationalit� alg�rienne. Enfin, �tant donn� la violence de la r�pression, les massacres, la torture, la dur�e de la guerre, rares sont ceux qui sont demeur�s des partisans et des militants de l�Alg�rie alg�rienne en dehors des origines et des religions.
La guerre d�ind�pendance a boulevers� les rep�res coloniaux en Alg�rie, en faisant �merger comme acteur principal de l�ind�pendance un parti nationaliste dirig� par des indig�nes. Cette configuration du conflit politique a-t-elle laiss� des s�quelles sur la perception de l�Alg�rie ind�pendante en France ?
Cela laisse bien plus que des s�quelles. Les cons�quences sont encore structurantes en Alg�rie et en France. En Alg�rie parce que la force de cette fronti�re coloniale, la force dans la discrimination dans l�in�galit� des indig�nes ont fait qu�ils se sont revendiqu�s comme ils �taient d�finis par la colonisation, c'est-�-dire comme des musulmans. La r�sistance a int�rioris� l�id�e selon laquelle �nous sommes des musulmans �. On voit le r�sultat, aujourd�hui, au Maghreb o� il n�y a plus que des nationaux musulmans. En ce sens-l�, la colonisation a gagn�. Il faut maintenant d�coloniser le statut musulman. Le chaos dans le monde entier, de l�Indon�sie au Proche- Orient en passant par l�Afghanistan, est un chaos qui vient de la colonisation, c'est-�-dire que des fronti�res religieuses, des fronti�res ethniques cr��es par la colonisation font les guerres d�aujourd�hui. Ce sont des guerres port�es par les fronti�res et les conflits que la colonisation a fabriqu�s pour que les colonis�s ne deviennent pas des citoyens, n�acc�dent pas aux droits civiques, aux droits politiques. Y compris les fronti�res mentales. Toutes ces identifications sont int�rioris�es. Sauf que certains franchissent cette fronti�re par des courants ou des expressions intellectuelles, culturelles, en Alg�rie, au Maghreb et dans l��migration qui donne naissance aujourd�hui � une diaspora culturelle post-coloniale. En Angleterre, elle s�exprime en langue anglaise, celle de l�ancien empire fran�ais, en langue fran�aise. Elle donne une litt�rature qui n�est plus une litt�rature fran�aise et qui n�est pas une litt�rature alg�rienne au sens nationaliste du mot. Un manifeste qui vient d��tre publi�, parle d�une �litt�rature-monde� en langue fran�aise, ce qui n�est pas la francophonie. Il y a, dans la dur�e, � la fois enfermement dans l�ancien statut colonial, fut-ce pour des raisons de r�sistance, et d�passement de cette condition assign�e par la colonisation, d�passement de la fronti�re coloniale pour aller vers une sorte de mixit� intellectuelle et culturelle qui appartient au pluralisme d�aujourd�hui.
Propos recueillis par Meriem Nour et Bachir Agou
Bio de Ren� Gallissot
Ren� Gallissot est un historien de terrain. Arriv� au Maroc en 1955 pour les besoins de sa th�se sur le patronat europ�en durant le protectorat, on le retrouve � l�universit� d�Alger en 1962 o� il enseignera jusqu�en 1967. Cette m�me ann�e, il rentre � Paris pour int�grer la Sorbonne. Intellectuel tr�s �cout�, il participe au mouvement contestataire de Mai 68, puis passe par l�Universit� de Vincennes bient�t reconvertie en Universit� de Paris VIII Saint- Denis o� il implantera l�Institut Maghreb-Europe. Il est aujourd�hui professeur �m�rite � l�Universit� de Paris VIII. Il a dirig� l�ouvrage, Mouvement ouvrier, communisme et nationalisme dans le monde arabe, paru aux Editions de l�Atelier en 1978. Il est directeur de la s�rie Maghreb du dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (Le Maitron) et vient de publier Alg�rie : engagements sociaux et question nationale. De la colonisation � l�ind�pendance (1830-1962) aux Editions de l�Atelier, une biographie de pr�s de 500 militants qui ont marqu� l�Alg�rie durant cette p�riode.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.