Le Conseil national �conomique et social se pr�pare activement � tenir une m�gaconf�rence internationale sur l��conomie immat�rielle � la rentr�e prochaine. Bel effet d�annonce pour un organisme plong� dans la l�thargie depuis le d�part de son ancien pr�sident. Les nouvelles pr�occupations du Cnes sont pour le moins surr�alistes dans le contexte de descente aux enfers que nous subissons. L�honorable institution nous propulse, tel un tir de missile, du moujik au spoutnik � comme on disait � la belle �poque sovi�tique. L�emploi, la formation, le pouvoir d�achat, le logement, la sant�, la justice, les libert�s, les droits de l�homme, ne se sont jamais aussi bien port�s que de nos jours pour que � cerise sur le g�teau - on se paie le luxe de cogiter sur �le sexe des anges� ! Nous voil� donc propuls�s au rang de �prosommateurs �, cette nouvelle race humaine de l��re d�Internet invent�e par les futurologues parce que les sujets en question produisent en consommant. Il n�est certes pas interdit de r�ver. Mais ailleurs. L��volution du savoir et des id�es a r�par� une injustice, d�abord intellectuelle, en r�habilitant largement, et � juste titre d�ailleurs, Joseph Schumpeter, longtemps n�glig� par la pr��minence de Marx sur les sciences humaines. Schumpeter a fini par avoir raison puisque toutes les �coles adh�rent aujourd�hui � sa conviction que l�avance technologique et la course � l�innovation sont des facteurs cl�s de diff�renciation et de comp�tition. La r�volution num�rique est venue confirmer et mettre � jour ses pr�monitions : la nouvelle �guerre �conomique� accorde � la ma�trise de l�information pertinente, � la rapidit� de r�action et au d�cryptage des menaces adverses une importance redoutable. Ce qui impose de maintenir un processus d�innovation perp�tuel permettant de proposer des produits toujours nouveaux en gardant une longueur d�avance. Cr�ativit� et r�activit� sont donc essentielles. Il faut �tre capable de d�tecter et de comprendre les tendances des march�s, reflets de ce qui se passe dans le monde, de l�air du temps� Peter Sloterdijk, philosophe allemand contemporain anticonformiste (il intervenait sur Arte, samedi dernier dans l��mission Metropolis), donne une lecture pertinente au nouveau monde qui se construit. Il compare le monde d'aujourd'hui � �un univers o� r�gne la loi de l'action � distance - t�l�communication, t�l�conflit, t�l�violence, t�l�obsc�nit�, t�l�aide, t�l�g�n�rosit� - que seule une pens�e t�l�r�aliste peut interpr�ter, former et reformer. Peter Sloterdijk ram�ne la globalisation � trois �tapes : une premi�re globalisation date de l'Antiquit�, �effectu�e par la cosmologie philosophique de Platon, Aristote & Co. o� la d�couverte du logos incarne un mod�le primitif du t�l�r�alisme� ; une deuxi�me globalisation nous projette dans les Temps modernes (inaugur�e par les voyages de Christophe Colomb, cette p�riode arrive � un terme relatif avec les accords de Bretton Woods, c'est-�-dire �la mise en fonction op�rationnelle d'une monnaie mondiale�) et, enfin, une troisi�me globalisation qui assume les r�sultats de la deuxi�me, pour se lancer dans la construction d'un �univers transnational densifi�, hypercommunicatif, ultraacc�l�r�, o� r�gne la loi du feed-back rapide�. Il est certainement surr�aliste d��voquer ces questions, si pertinentes et si actuelles, dans un contexte g�n�ral de d�labrement mat�riel et moral. Il faut justement le faire pour ne pas se laisser enfermer dans des d�bats internes st�riles aliment�s par des r�glements de comptes d�un autre �ge qui continuent d��largir le foss� qui nous s�pare des espaces de civilisations. On mesurera l��tendue des d�g�ts qui restent � r�parer en posant tout simplement, autour de soi, cette premi�re question, de savoir combien de livres lit annuellement un lyc�en, un �tudiant, un fonctionnaire ou un enseignant ou, plus pertinentes encore, l��valuation de la culture juridique d�un agent de l�ordre, ou le degr� de civisme en vigueur dans la soci�t�. Par quelque bout qu�on prenne les choses, c�est le d�sert absolu, voire pire : on se retrouve souvent dans des comportements sociaux dominants exaltant la fiert� d��tre inculte et riche, coupl�e � une suffisance et un abus d�autorit�s d�sarmants. Que dire alors des nouveaux domaines de la connaissance ? Bruxelles a �valu� les comp�tences en informatique des Europ�ens. 37% n�en ont aucune, 15% savent au moins utiliser la souris, 26% ont un niveau moyen et seulement 22% sont des experts. Les r�sultats diff�rent selon le pays, l��ge ou le niveau d��tudes. Comme pour toutes autres choses, c�est le Sud qui affiche les plus mauvais r�sultats. La plus forte proportion de personnes sans connaissances informatiques - 65% - se trouve en Gr�ce. On trouve ensuite l'Italie (59%), la Hongrie (57%), le Portugal (54% chacun) ou la Lituanie (53%). Jug�e � l�aune de ces param�tres, notre situation est catastrophique. Les r�sultats d�une enqu�te r�alis�e par le Centre de recherche CENEAP, durant les trois derniers mois de l�ann�e 2005, pour le compte de l�association Iqraa, indiquent que pas moins de 500 000 �l�ves sont exclus annuellement du syst�me scolaire. Le m�me chiffre annonc� pr�c�demment par le Conseil national �conomique et social (Cnes). Consultant au CENEAP, M. Mohammed Sa�d Merad, rapport� par la presse, pr�cise que 30% des �l�ves du primaire fuient l��cole � cause des programmes, 50% de ceux �g�s entre 11 et 14 ans pour difficult�s de concentration et plus de 60% des �l�ves �g�s de plus de 14 ans ont des probl�mes avec les enseignants. Ainsi donc, tout autant que le contenu des manuels ou les questions p�dagogiques, la situation sociale propre � l��l�ve tend � devenir un obstacle majeur � une scolarit� normale. Pour s�en tenir au niveau d�encadrement, selon une �tude men�e en 2000, conjointement par l'Institut national de la recherche en �ducation et l'Unicef, pr�s de 50 % du corps enseignant tous cycles confondus ne sont pas titulaires du baccalaur�at. La m�me �tude rel�ve ce paradoxe grave : �Le syst�me �ducatif s'est constitu� comme principal d�bouch� de ses propres d�perditions�. En somme, le syst�me a r�ussi l�exploit de faire d�un jeune, vivant, inventif et cr�ateur, une masse amorphe et r�sign�e. R�sign�e parce que, � moins de prendre la proie pour l�ombre, tout combat, toute lutte, toute r�action, paraissent vaines. Eva Joly, c�l�bre juge anti-corruption depuis son instruction du dossier Elf, avait pris l�exemple de notre pays lors d�une intervention � l'occasion de la remise du prix Nobel de la paix. �Ce jour-l�, �crit-elle, pour illustrer les d�g�ts de la corruption dans les pays en voie de d�veloppement, j'ai pris un exemple, l'Alg�rie. "La corruption de son �lite se lit dans son paysage". Un paysage de chaos et de d�sespoir social, �conomique, politique et culturel, habit� par la peur. Une peur animale. Si, par ailleurs, dans l��conomie immat�rielle que se propose d�aborder le Cnes, la croissance r�sulte essentiellement de la cr�ativit�, de quelles conditions dispose-t-elle chez nous ? Nombre d��tudes convergent pour attester que les trois facteurs de la stimulation de la cr�ativit� des scientifiques sont : des �quipes restreintes, un financement � long terme et des t�ches administratives r�duites. Tel est l'environnement de travail dans lequel �voluent les chercheurs les plus cr�atifs. C�est la r�ponse apport�e par l��tude CREA (Capacit�s cr�atives et promotion de la recherche hautement innovante), men�e aupr�s d�une vingtaine de groupes de recherche europ�ens et am�ricains. Ce rapport, publi� dans le cadre du programme-cadre de l�Union europ�enne, souligne l�importance de l�interaction entre chercheurs, du financement et des contraintes administratives dans le processus cr�atif menant � l�innovation. Dans notre v�cu quotidien, ces questions rel�vent de la science fiction.