Le roi m�content de son peuple, d�cide de le dissoudre. �Ubu Roi� de B.Brecht Il est clair que lorsque le grand cond� de l�Etat d�cide de prendre la plume ce n�est jamais pour faire de la prose innocente. Chaque acte �pistolaire de sa part est imp�rativement une lettre de cachet adress�e � un coupable potentiel. Ils seraient donc 4 millions � r�pondre, dans les semaines � venir, du d�lit �d�abstentionnisme� sous peine de se voir retirer le statut de citoyens ! Apr�s la loi sc�l�rate sur les partis, cette nouvelle bizarrerie, consistant � demander des comptes aux �lecteurs, rel�ve assur�ment de la tyrannie politique. D�sormais, il en sera de la �m�thode� Zerhouni comme il en fut de la �m�thode Cou� du nom de ce c�l�bre potard qui pr�tendait gu�rir par le recours � l�autosuggestion. Celle de notre inamovible flic vise � son tour � conditionner le r�flexe de l��lecteur afin qu�il n�ait d�autres libert�s de s�exprimer que de voter imp�rativement. Curieux d�tournement d�un sens fondateur de la d�mocratie. Bient�t le boycott sera assimil� � un d�lit et sanctionn� en tant que tel. Derri�re le pr�texte fallacieux d�une campagne de civisme se dessine une monstrueuse op�ration de laminage des libert�s publiques. Car, d�s l�instant o� l��lecteur r�fractaire est somm� de justifier son indiff�rence, il est aux yeux de la censure de l�Etat un dangereux sujet en marge des normes admises. Le ministre de l�Int�rieur, dont l�habilit� p�dagogique est depuis longtemps l�gendaire n�est-ce pas, veut nous faire croire que son courrier, dupliqu� � 4 millions d�exemplaires, servira sagement � cerner les causes exactes de la d�fection des urnes. En somme, cette co�teuse op�ration postale ne serait rien d�autre qu�un sondage grandeur nature afin d�am�liorer pour l�avenir les instruments de nos libert�s politiques ! Appr�cions donc ce louable scrupule de l�appareil d�Etat qui d�couvre, bien tardivement, que dans ce pays il y a une opinion publique qui n�est pas forc�ment en phase avec ses dirigeants. Quand deux �lecteurs sur trois boudent la cuisine politique c�est qu�il y a bien plus qu�un probl�me. Il y a dans l�air une forte odeur de soufre de celle que l�on nomme la d�sob�issance civique. Ce m�contentement qui s�exprime passivement n�a pas besoin de 4 millions de correspondances pour �tre �tay� car le proc�s du r�gime a commenc� bien avant le scrutin d�avril, lequel ne fut que le dernier r�quisitoire. A bout de patience, les Alg�riens ne veulent plus demeurer les otages d�une guidance dont ils soup�onnent qu�elle les m�prise. Les spectaculaires consultations �lectorales n�ayant jusque-l� servi qu�� conforter certaines l�gitimit�s, l��lecteur, profond�ment d��u par toutes les promesses non tenues, ne voit plus de raison � sa participation alibi. L�incivisme, dont parle le ministre en question, n�est-il pas finalement un acte civique de grande port�e que seuls les gouvernants refusent d�expliciter ! Globalement, l��lecteur interpell� par courrier pourra sans peine dresser le proc�s-verbal de l��chec de son pays. Il sera m�me � l�aise en se r�f�rant aux diagnostics r�cents du chef de l�Etat lui-m�me. En effet, par une sorte d�ironie de l�histoire, le premier � avoir affich� publiquement sa d�ception sur la mani�re dont les affaires publiques sont conduites est bel bien Bouteflika ! Chaque fois qu�il est sorti de son mutisme il a eu des mots durs pour ses ministres qu�il qualifia sans �gard �d�amateurs�. Comme en musique, le �la� �tait donn� d�en haut et il suffisait aux �lecteurs de rester chez eux pour contresigner les d�saveux de son �minence. Changeant de registre au fil des ann�es, les propos du chef de l�Etat sont pass�s de l�autoglorification � la r�crimination. Lui qui ne souhaitait pas �tre jug� sur son bilan se surprit � imputer � ses ex�cutants le g�chis national. Or, de cette posture de procureur politique dont il pensait pouvoir tirer un avantage personnel, l�opinion publique tira � son tour cette inattendue le�on qui s�appelle : le boycott. �Puisque c�est vous qui le dites, pense l��lecteur basique, je ne vois pas � mon tour pourquoi je continuerai � donner ma voix si elle ne sert � rien� ! Autant dire que le pouvoir s��tait tir� une balle dans le pied � force de vouloir r�cup�rer � son profit le d�senchantement national. Face � cette situation pr�judiciable pour son cr�dit, le r�gime a une fois encore choisi la voie de la diversion en pointant d�abord l�index vers les partis et ensuite en r�actualisant le d�testable proc�d� du chantage administratif pour exorciser d�autres menaces de boycott. A ce sujet, le ministre de l�Int�rieur ne peut pas ignorer que ce qu�il sugg�re par l�allusion � la radiation des listes �lectorales est une initiative anticonstitutionnelle. Car, pour pouvoir le faire en toute l�galit�, il faudra � la puissance publique qu�elle le motive autrement que par l�argument de l�abstention. Le droit de vote �tant indissociable du droit de ne pas l�exercer, nul, pas m�me le chef de l�Etat, n�a le pouvoir de d�pouiller un citoyen de ses droits civiques tant que p�nalement il demeure au-dessus de tout soup�on. M�me s�il est vrai que dans toute bonne d�mocratie, l�abstention massive fait probl�me pour de sinc�res raisons de l�gitimit� des mandataires, chez nous elle se pose d�abord comme une inqui�tude pour les r�gimes qui ne voient � travers elle que les pr�mices de leur cr�puscule avec ce que cela implique comme violents divorces. A force de vouloir r�genter un pays en ignorant ses v�ritables pulsations, n�importe quel r�gime finit par creuser sa propre tombe. Aussi, le coup de semonce du dernier scrutin aurait d� m�riter un autre traitement que celui de vouloir mettre, avec autant de morgue, hors-la-loi, l��lecteur qui refuse de jouer � la dupe. L�on ne dope pas les urnes futures avec 4 millions d�injonctions, mais seulement � travers le changement de nos m�urs politiques.