La plupart n�arriveront pas, n�acc�deront pas au statut de sans-papiers en Europe. Ceux qui sont arriv�s �peuvent-ils �tre heureux ?�. A Charleroi, en Wallonie, sud de la Belgique, beaucoup d�entre eux ont accept� de raconter leur calvaire. De dire leur drame, leurs souffrances et leur d�sespoir. Nous les avons �cout�s. D�ores et d�j�, une synth�se s�impose : les harragas sont la honte du syst�me alg�rien. Ils sont le miroir � travers duquel les gouvernants de ce pays peuvent, si l�envie les en prend, constater et valider leur inhumanit�. Leur incomp�tence. Leur laideur. Au si�ge de la F�d�ration alg�rienne de la communaut� alg�rienne de Belgique (FCAB), ils sont toujours une cinquantaine ou une soixantaine tourment�s � �tre pr�sents au f�tour. Ce repas ramadanesque quotidien est offert gratuitement, c�est � acter, par la FCAB. Louable et g�n�reuse initiative de Amine Benchicou, homme d�affaires alg�rien install� � quelques rondes de l�, � Nivelles. Combien sont-ils au total � avoir pu fouler le sol belge en quittant, dans des conditions infra-humaines, l�Alg�rie ? Selon l�un d�eux �il y a ici, � Charleroi, au moins 800 sans-papiers�. Un autre, accostant � bord de son embarcation de fortune � Lampedouza (Italie), en compagnie de quatre autres compagnons d�infortune avant de rejoindre Charleroi par le train, est encore plus pr�cis : �Nous sommes plus. Il y a parmi nous des femmes qui sont m�me avec leurs enfants.� �Si tu veux, ajoutera- t-il, je peux leur demander de te rencontrer et tu pourras discuter avec eux�. Un troisi�me, tout juste arriv� en Wallonie, plus calme et d��vidence, mod�rateur du groupe, intervient : �Nous sommes ici parce que nous l�avons voulu. Nous n�attendons rien de l�Alg�rie si ce n�est qu�elle nous reconnaisse, qu�elle nous identifie en tant qu�Alg�riens...� Plus loin, il dira, presque g�n� : �Pour le moment, nous n�existons ni ici, ni l�-bas.� Apr�s plusieurs tentatives de cadrer la discussion, de lui donner quelque coh�rence, l��vidence s�impose � nous d�elle-m�me : pas question pour eux de laisser passer cette aubaine de dire leur trag�die � la presse alg�rienne. Il est vrai que notre rencontre avec les ex-harragas devenus, ici, des sans-papiers, a co�ncid� avec deux drames majeurs qui les secouent jusqu�� maintenant. Le premier : en mai dernier, un harrag �wahrani�, qu�ils disent, trouve la mort dans des circonstances particuli�rement horribles. Comme ce pauvre �Wahrani� portait, pour �chapper � la traque polici�re euro-belge, plusieurs identit�s falsifi�es, il a �t� enterr�, ici, � Charleroi. En incognito. Le procureur du roi ne d�mordant pas de sa position � laquelle, d�ailleurs, la loi f�d�rale belge l�oblige, pas question de permettre l�exhumation puis le transfert du corps en Alg�rie, sans l�identification pr�cise de sa v�ritable identit�. Le d�put� de la Zone 3 Europe, Mustapha Taibi, les a inform�s que le consulat d�Alg�rie en Belgique a entam� toutes les d�marches n�cessaires et que ne reste, seulement, que l�accord d�Alger pour que le corps du d�funt soit rapatri� � Oran. La v�ritable identit� de ce pauvre Wahrani ayant pu, en fin de compte, �tre �tablie. A la fin septembre 2007, le malheur frappera encore une fois la �communaut� alg�rienne� des sans-papiers. L�un, d�entre eux est d�c�d� des suites de coups de poignard re�us en plein c�ur. Cette affaire se corsera davantage lorsque les auteurs de cette mortelle altercation seront connus : il s�agit de commer�ants alg�riens install�s depuis longtemps � Charleroi. Et que rien ne destinait, � l��vidence, � tuer un malheureux harrag. Aujourd�hui, les autorit�s belges maintiennent cet ex-harrag, d�c�d� dans cette rixe de la derni�re d�sesp�rance, dans la morgue jusqu�� ce que les autorit�s alg�riennes d�terminent son identit� et actent son alg�rianit�. Boulevers�s et compl�tement d�boussol�s par cette �ni�me trag�die, les sans-papiers alg�riens de Charleroi ne savent plus � quel saint se vouer. Leur existence d�j� pr�caire et fragile risque, h�las, de se d�grader davantage. La Belgique, comme l�ensemble des pays europ�ens, a d�cid� de resserrer l��tau autour de l�immigration clandestine. Rares seront parmi les harragas de Charleroi � pouvoir r�gulariser leur situation. Et pourtant, la Belgique n�est pas le pays qui les pourchasse le plus. �Si nous sommes aussi nombreux, ici � nous relateront des jeunes de Chlef � c�est que par rapport � la France ou � l�Espagne, ici, nous avons des chances de nous en sortir.� J�ose une question : �Quelles sont vos chances de rester et de r�gulariser votre situation en Belgique ?� Omar : �Moi, je n�ai pas de souci � me faire. Ma femme du Luxembourg va pouvoir m�obtenir la r�gularisation parce que nous sommes d�j� enregistr�s comme mari�s � la commune...� La pr�sence de Omar � Charleroi est mue, selon lui, par un seul objectif : �Que le consulat d�Alg�rie me d�livre un passeport et des pi�ces d�identit� qui prouvent mon alg�rianit�.� Quadrature du cercle : le consulat ne peut pas d�livrer des papiers en r�gle � des sans-papiers. Ni les lois alg�rienne ou belge ne le permettent. Mounir de Mascara est une autre histoire : �Je suis � Charleroi, parce que je m�en fous des papiers, j�ai une fausse carte d�identit� et tous mes faux papiers sont en r�gle. Dans quelques mois, le temps de ramasser un peu d�argent et je suis parti au Canada.� Bien �videmment, Mounir de Mascara n�existe pas. J�ai chang� son pr�nom et sa ville alg�rienne de r�sidence pour ne pas, comme je le lui ai promis, lui mettre aux trousses la police f�d�rale belge. D�autres sont dans le cas de �Mounir�. Certains, comme Abdelkader de Bouira, jurent, mordicus, qu�ils pourront, �d�ici peu rejoindre Londres�. �Parce que, estiment-ils, en Angleterre, si tu travailles, tu peux tout r�gler�. Les plus optimistes ou ceux qui croient �tre n�s sous la bonne �toile ne d�sesp�rent pas de sauver leur existence, ici- m�me, � Charleroi. En tout cas, en Belgique. Cette cat�gorie de harragas compte sur le mariage mixte pour asseoir leur belgitude. D�autres ont d�j� connu les affres et la traque de la plupart des polices europ�ennes. La fran�aise (la plus impitoyable, selon leurs dires) l�espagnole (�a d�pend des r�gions), l�allemande (correcte mais rigoureuse), l�italienne (pas tr�s emmerdante, mais l�-bas il est difficile de trouver du travail). �Etre sans-papiers est une mal�diction�, constate, amer et pertinent, Youssef : �Rentrer au pays serait une catastrophe alors que rester devient invivable.� Youssef, relevons-le, a termin� un cycle d��tudes universitaires (bac + 5). Et ils sont nombreux parmi les harragas � avoir soit des dipl�mes universitaires (ing�nieurs, ing�nieurs d�application, professeurs de lyc�e, juristes, licenci�s en socio ou en psychologie..), soit avoir suivi, pour les interrompre, des ann�es d��tudes du cycle sup�rieur. Youssef me promet de me faire rencontrer quelques-uns, �apr�s le Ramadan�, pr�cisera-t-il. Alors, combien sont-ils les harragas alg�riens � survivre en Belgique en tant que sans-papiers ? Selon les informations et les recoupements les plus s�rieux et les plus cr�dibles, ils se r�partissent, � peu pr�s, ainsi : de 500 � 900 � Charleroi ; 700 � 1 000 � Bruxelles ; 100 � 200 � Li�ge (Wallonie sud du pays) et 500 en prison. C�est effarant ! Rendez-vous est pris pour une rencontre plus large juste apr�s Ramadan.