Chez les Indiens d�Am�rique du Nord, lorsque le sachem (le chef de la tribu) sent son heure venir, il se retire dans un lieu isol�, en haute montagne en g�n�ral, pour s�en aller mourir loin de tous. C�est un peu ce qui est arriv� � notre ami et grand fr�re plus que confr�re, Bela�d Ahmed, qui est parti dans la discr�tion int�grale, tout doucement sans faire de bruit. J�ai eu l�incommensurable privil�ge de le c�toyer au jour le jour et celui d��tre un de ses collaborateurs directs des ann�es durant et cela m�avait permis d�appr�cier l�homme et le professionnel qui a aid� beaucoup d�entre nous � assimiler les rudiments de la pratique journalistique, la vraie, celle qui met en relief les valeurs morales et intellectuelles. Car Bela�d � c�est ainsi qu�il exigeait de se faire appeler, refusant que l�on utilise son pr�nom �, aurait pu �tre un de ces innombrables courtisans et l�che-bottes qui se bousculent dans les m�andres de notre profession, d�autant qu�� l�aube de sa carri�re, il avait connu les honneurs et les arcanes de la hi�rarchie. Il n�en fut rien, tout simplement parce que Bela�d �tait un esprit libre qui cultivait les grands principes d�honn�tet� et de probit�. Apr�s avoir dirig� le quotidien An-Nasret les d�boires qu�il y connut et qui ont �t� remarquablement �voqu�s par Boukhalfa Amazit dans l�hommage qu�il lui a rendu, Bela�d se retrouve au quotidien national El-Moudjahid, dont il prit la r�daction en chef au d�but des ann�es soixante-dix. C�est � cette �poque que nous nous sommes connus. Je me souviens de ces moments de plaisir extr�me quasi-quotidiens qu�il avait chaque soir apr�s le bouclage : �Eh bien, nous disait-il � Ma�mar Farah et � moi, nous en avons fait un de plus !�, en parlant de son �b�b� du jour, le journal qu�il avait fait fabriquer. Plus tard et au gr� des vicissitudes de la politique politicienne, Bela�d fut mis au placard. Par trop �lectron libre, il ne pouvait pas convenir � un syst�me bas� sur la flagornerie et les �loges des carri�ristes et des faux culs en tous genres. Je me rem�more encore (c�est d�actualit�), le jour o� nous avions re�u une information sur �1 200 tonnes de pommes de terre jet�es dans une d�charge publique�, � un moment o� nous vivions une terrible p�nurie de pommes de terre. Un journaliste et un photographe furent envoy�s sur place et l�enqu�te corrobora l�information. A la r�union du menu, Bela�d demanda l�avis des responsables de la r�daction sur l�opportunit� de publier ce qui �tait consid�r� alors comme un br�lot. Il ne faut pas oublier que nous �tions en plein r�gime dictatorial o� tous les �crits, tous les mots �taient minutieusement soupes�s. Devant certains atermoiements, Bela�d avait tranch�. Non seulement, on donnera l�information, mais elle fera l�ouverture de la une. Ce qui fut fait. Naturellement, le ciel nous tomba sur la t�te le lendemain. Mais Bela�d tint bon, jusqu�au jour o� on le vira. Remerci�, Il reprit courageusement son porte-plume et se lan�a dans le bain de l�information �conomique et la bataille du p�trole avec un enthousiasme et un allant de jeune d�butant. Maintenant qu�il est parti, nous appr�cions � leur juste valeur, des hommes de cette trempe. Les derni�res ann�es de sa vie furent les plus d�cevantes pour lui. Il lui fut difficile de s�adapter � la nouvelle donne instaur�e par la circulaire Hamrouche. Le bulletin �conomique qu�il cr�a alors ne connut pas le succ�s qu�il aurait d� avoir car la conjoncture n��tait pas � l��conomie mais � la violence. Apr�s avoir tent� de transformer son bulletin en hebdomadaire sp�cialis�, il dut se rendre � l��vidence et fermer boutique. Les derni�res ann�es de sa vie furent marqu�es par la maladie, un vilain cancer de la gorge, auquel il fit front avec un immense courage. Apr�s avoir fait un pied de nez � la mort pendant plusieurs ann�es, celle-ci a fini par avoir le dernier mot et l�a emport�. Il s��tait volontairement retir� du circuit comme pour ne pas g�ner les nombreux amis qu�il compte dans le m�tier. Fier jusqu�au bout des ongles, il n�aurait jamais accept� d��tre un boulet encombrant pour ceux qu�il aimait. Il est mort de la m�me fa�on, loin du bruit et de la fureur de ces salles de r�daction qu�il aimait par-dessus tout. Beaucoup de ses amis, dont nous-m�mes regretteront am�rement de ne pas s��tre inqui�t� de son long, trop long silence. Repose en paix Bela�d. Ta comp�tence, ta g�n�rosit� et ton humour caustique et d�capant vont nous manquer terriblement.