Tipaza, tomb�e en ruine depuis l�Empire romain, est soudain toilett�e. Les journaux nous apprennent que les indig�nes du coin, habitu�s � voir leurs ruines � l��tat normal de ruines, ont �t� surpris mais pas �tonn�s. Surpris de voir des �quipes d�ouvriers affair�s � la �r�fection et l�assainissement �. Pas �tonn�s d�s lors qu�ils ont appris que ces travaux sont men�s � la va-vite, et comme d�habitude, parce que Nicolas Sarkozy souhaite faire �un d�tour touristique� par Tipaza lors de sa visite officielle prochaine en Alg�rie. On l�aura devin� tout seuls : le pr�sident fran�ais, lecteur de Camus, ne peut pas ne pas visiter la st�le dress�e � la m�moire de celui qui immortalisa, par ces mots, l��me des pierres et de l��ther en communion : �Au printemps, Tipaza est habit�e par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l�odeur des absinthes, la mer cuirass�e d�argent, le ciel bleu �cru, les ruines couvertes de fleurs et la lumi�re � gros bouillons dans les amas des pierres.� La beaut� de ces mots li�s, gr�ce au talent de Camus, d�sormais � l��vocation de Tipaza, se fracasse contre les mots abrupts du journaliste d�crivant les travaux d�clench�s pour rendre le site � la hauteur de la description ontologique. Plus prosa�que comme l�exige son m�tier, le journaliste parle d��espaces superbes, malheureusement en �tat d�abandon et pollu�s�. Des ouvriers �s�appliquent � �laguer des arbres, � d�placer les petites pierres, � nettoyer l�immense site arch�ologique de tous les d�tritus. L�op�ration de nettoiement, de toilette des fa�ades, de chaulage des arbres et des trottoirs a �t� entam�e depuis Bou Isma�l�. Il ne se trouvera pas un seul Tipazi, habitant de Tipaza, pour manifester un d�saccord avec une visite qui vaut � la ville des cr�dits d�am�nagement qu�il lui aurait fallu, en temps normal, des si�cles � obtenir. On ne sait s�il faut remercier, pour cette offrande des dieux qui parlent dans le soleil, el houkouma chacun par son nom, Nicolas Sarkozy ou tout simplement Albert Camus. Pour cela, il ne semble pas qu�il y ait un risque pour que le pr�sident fran�ais soit accueilli avec l�hostilit� qui lui a �t� manifest�e en mai 2006 � Bamako o� il s��tait rendu en qualit� de ministre de l�Int�rieur d�j� hautement qualifi� dans �l�immigration choisie�. On ne sait pas, s�agissant de Camus, si son d�part en France dans les ann�es 1930 a �t� conditionn� par un test ADN. �a ne se faisait pas � l��poque et puis l�Alg�rie qu�il quittait pour s��tablir en France �tait encore la France et, hormis les indig�nes, tous ses habitants avaient le droit de changer de d�partement. L�Alg�rie qu�il quittait �tait encore la France ? L�usage de l�imparfait suppose que l�Alg�rie n�est plus la France, ce qui est r�ellement le cas. Le cas ! Quarante-cinq ans apr�s l�ind�pendance de l�Alg�rie, il est temps de penser � une r�conciliation entre les deux pays. Tant qu�� faire, pourquoi ne se nouerait- elle pas autour de Camus et qu�elle ait pour capitale Tipaza qu�il a su si bien �lever au rang d�Olympe. La r�conciliation devrait n�cessairement exclure des bousseboussade tous ces petits ronchonneurs qui attisent encore le conflit en rappelant, plus d�un demi-si�cle apr�s, que le grand �crivain qu��tait Camus �tait peu dispos� � l�ind�pendance. Ce n�est bien s�r pas seulement cette formule sur le choix de sa m�re au d�triment de la justice qui le laisse penser. Ceux qui trouvent des excuses, et elle en a, � cette formule devraient m�diter cet extrait de ses Chroniques alg�riennes, Alger 1958 : �Si bien dispos� qu�on soit envers la revendication arabe, on doit cependant reconna�tre qu�en ce qui concerne l�Alg�rie, l�ind�pendance nationale est une formule purement passionnelle. Il n�y a jamais eu de nation alg�rienne. Les Juifs, les Turcs, les Grecs, les Italiens, les Berb�res auraient autant de droit � r�clamer la direction de cette nation virtuelle. Actuellement, les Arabes ne forment pas � eux seuls toute l�Alg�rie. L�importance et l�anciennet� du peuplement fran�ais, en particulier, suffisent � cr�er un probl�me qui ne peut se comparer � rien dans l�histoire. Les Fran�ais d�Alg�rie sont eux aussi, et au sens fort du terme, des indig�nes.� On nous invite � revenir aux textes. En voil�, du texte ! Dans cet extrait, il y a beaucoup de choses justes. Mais d�finir les colons comme indig�nes est une n�gation du processus de domination coloniale. Pour autant, Camus ne peut �tre r�cus� dans son alg�rianit�, telle que la proclame sur tous les tons Jean Daniel, tout simplement parce des alg�rianit�s, il y en a plusieurs. Mais, dans ce grand concert de la r�conciliation, pourquoi oublie-t-on des gens comme l�ami Jean Galland. Communiste, il est forc�ment, lui, dans l�id�ologie, ce qui n�est pas le cas de Camus. Instituteur dans les ann�es 1950, Jean Galland n�est pas un pied-noir. Il est n� dans le Berry, au c�ur de la France paysanne. Son inscription � l�Ecole normale de Bouzar�a, qui se trouvait alors dans un d�partement fran�ais, allait le conduire � d�couvrir le visage du colonialisme et � le combattre : �Nous venions de conna�tre la France honteuse des collabos et la France courageuse de la R�sistance. Depuis, nous voyions s�affronter la France de l�argent et celle du travail. En Alg�rie s�vissait la France coloniale que nous d�noncions de fait � tout moment dans la vie quotidienne. (�) Nous nous sommes engag�s par esprit de coh�rence, par amour-propre, par dignit�, par solidarit�.� Jean Galland finit par �tre expuls� d�Alg�rie. Il y reviendra apr�s l�ind�pendance pour parachever son engagement. Il a racont� tout ce parcours dans trois livres et une petite brochure. Le temps de la paix est certes venu. Il n�est dans l�int�r�t d�aucun des deux peuples de continuer � attiser les contentieux historiques. Mais comme ces intellectuels des deux rives qui viennent de signer une p�tition appelant la France et l�Alg�rie � d�passer ce contentieux en se lib�rant �de la concurrence des victimes, avec leurs souffrances et leurs m�moires�, il ne faut pas donner dans ce r�visionnisme qui consiste � oublier que �le syst�me colonial a entra�n� des massacres des centaines de milliers d�Alg�riens�, �d�poss�d�s �, �clochardis�s� �� une grande �chelle, exclus de la citoyennet�, soumis au code de l�indig�nat, et sous-�duqu�s au d�ni des lois en vigueur�. P. S. de l�-bas 1 : Les ouvrages de Jean Galland, parus aux Editions T�risias, ont pour titre : En Alg�rie du temps de la France, La t�te ici, le c�ur l�-bas, L�ind�pendance, un combat qui continue. La brochure s�intitule, elle, Un parcours inachev�, d�o� est tir� l�extrait ci-devant. P. S. de l�-bas : Des citoyens des deux rives font circuler une p�tition pour inviter � ce que le contentieux historique soit d�pass� entre la France et l�Alg�rie, sans pour autant occulter le pass�. Cette p�tition, bient�t rendue publique, est une excellente initiative pour lib�rer au profit des soci�t�s civiles les relations entre deux pays et deux peuples tenus en otages par les Etats et, pour cela, soumettant aux fluctuations du pr�sent m�me le pass�.