Comment et par quels m�canismes se sont form�s et maintenus les autoritarismes des pouvoirs dans le monde arabe ? Eminent anthropologue, professeur � l�universit� Princeton, aux Etats- Unis, Abdellah Hammoudi explore le ph�nom�ne depuis pr�s de trente ans et lui d�couvre des fondements culturels. Invit� des �D�bats d�El Watan�, il a, excellemment didactique, partag� jeudi les fruits de sa curiosit� scientifique. Sofiane A�t Iflis - Alger (Le Soir)- Le conf�rencier, qui fut jadis militant partisan au Maroc, son pays, sait, donc, d�coder les pulsions sociales, y compris celles indicibles que des soci�t�s chloroform�es laissent �chapper. Abdellah Hammoudi a, il est vrai, beaucoup travaill� sur la soci�t� marocaine, celle qu�il conna�t le mieux mais il a aussi scrut� les r�alit�s voisines, entre autres alg�riennes, tunisiennes et �gyptiennes. Ces r�alit�s l�ont int�ress� en ce qu�elles consignent comme similitudes mais aussi dissemblances. Ce butinage, qui s�est voulu par moments des travers�es documentaires de l�histoire, a fourni des �l�ments essentiels � la compr�hension et l�explication de l�autoritarisme dans le monde arabe. L�anthropologue pose, comme esquisse premi�re du d�cor, cette caract�ristique visible de l�autoritarisme : l�importance du discours- monologue. Abdellah Hammoudi avertit de prime abord qu�il disserte sur le ph�nom�ne avec le d�sespoir d�un adulte et non avec l�espoir d�un enfant. Pour lui, les soci�t�s arabes, du moins celles maghr�bines, �taient dans les ann�es 1960 des soci�t�s mobilis�es. Les aspirations � cr�er des communaut�s radicalement distinctes des communaut�s coloniales configuraient la prospective et, donc, entretenaient l�espoir. Le tournant, le scientifique le situe dans l�alentour des ann�es 1980, lorsque les soci�t�s arabes connurent des phases acc�l�r�es de crises. C�est � cette p�riode qu�a �t� pris le tournant autoritaire, dans, bien entendu, sa version moderne. Cet autoritarisme, note Abdellah Hammoudi, s�est structur� par la destruction des liens sociaux, la propagation de la rumeur et la g�n�ralisation de la suspicion. Le r�gime autoritaire, que le conf�rencier s�interdit de confondre avec le r�gime totalitaire, use de la force, recourt � la corruption et �rige la cooptation pour d�molir la soci�t�. Exemples qui se v�rifient valablement dans l�ensemble des pays du Maghreb, les r�gimes autoritaires refusent des syst�mes de n�gociation et / ou d�arbitrages publics. Ils leur substituent des syst�mes de n�gociation occultes, entre autres � travers l�intrusion d�appareils. Ces autoritarismes ont immanquablement sonn� l��chec des Etats nationaux. Mais encore, les Etats arabes n�ont pas pu impulser les �l�ments de lib�ration collective. Leur impuissance � solutionner des conflits les interpellant en premier chef atteste de cela. Plus visiblement encore, le d�litement de l�Etat national se lit dans l�opacit� qui entoure la d�cision. L�anthropologue distingue entre le centre du pouvoir, souvent occulte, et l�Etat dans ses d�membrements institutionnels. Selon lui, les r�gimes autoritaires ont tendance, il est vrai, � s�ouvrir � la base. Mais cette ouverture s�accompagne d�une fermeture du cercle des d�cideurs r�els. Le cercle des d�cideurs est d�fini comme un groupe restreint o� s��labore et se prend la d�cision. Et, � ce niveau, l�admission se fait sur la base de la loyaut� au chef et ne s�acquiert aucunement par la connaissance et l�expertise. La soci�t� civile ne dispose pas de moyens institutionnels pour exercer un contr�le, domin�e qu�elle est par des appareils r�pressifs. Il est arriv� aussi que les r�gimes autoritaires r�gentent m�me les coutumes du peuple en postulant � les lui d�finir. Les r�gimes autoritaires s��rigent en producteurs exclusifs de l�id�ologie et en manipulateurs exclusifs des diversit�s linguistiques, culturelles, voire ethniques. Les traditions, qui forc�ment agissent dans la structuration des identit�s nationales, se trouvent, au besoin, r��labor�es. Les r�gimes autoritaires exploitent � profit les cha�nes d�alignement autres que celles rationnelles. Le tribalisme, fort puissant dans le Nord africain, subit la m�me manipulation, notamment en ce qu�il permet en tant que ph�nom�ne d�encadrement. �videmment, les r�gimes autoritaires travaillent � la socialisation de la crainte.