Pourquoi les Arabes sont aujoud'hui le maillon faible dans le concert des pays ? Pourquoi ce retard historique alors que les Arabes étaient une référence civilisationnelle ? Qu'est-ce que c'est qu'un Arabe et pourquoi depuis 1492 nous ne trouvons pas le sens de l'histoire ? Le présent des Etat-Unis est-il l'avenir des Arabes ? Ces questions, qui probablement effleurent l'esprit de chacun de nous, ont été au centre des débats lors du forum d'El Watan organisé ce jeudi à l'hôtel Mercure. Des débats dont l'ouverture a été marquée par l'observation d'une minute de silence à la mémoire du grand penseur algérien Mostefa Lacheraf, décédé au début de la semaine dernière. Le thème qui a suscité ces interrogations et tant d'autres est d'une extrême importance et porte sur « les Arabes et le sens de l'histoire ». Des universitaires, des retraités, des représentants d'institutions étrangères, des étudiants, des médecins, des enseignants ont tenu à assister à ce forum qui a permis à de simples citoyens assoiffés de débat et cherchant juste un petit espace de discussion, d'exprimer le fond de leur pensée et de dire très haut ce qu'ils pensent des Arabes et de leur histoire. A l'unanimité, les intervenants ont déploré le fait que les Arabes se retrouvent aujourd'hui dans une position de faiblesse et ont beaucoup régressé par rapport aux autres nations. Abdesselam Cheddadi, historien et professeur à l'université de Rabat, et Houari Touati, historien, ont présenté deux communications ayant trait à ce sujet. Le premier, qui est également traducteur d'Ibn Khaldoun, place ce dernier à la pointe des penseurs modernes. Il a dans son exposé relatif à « l'implication du monde arabo-islamique dans la modernité » essayé d'analyser le contexte de la formation de l'empire qui a généré cette culture, ainsi que la communauté savante qui a permis à l'Islam d'asseoir son universalité. De l'avis de M. Cheddadi, les Arabes ont peu de chances aujourd'hui de s'intégrer dans la stratégie mondiale parce qu'ils ont des difficultés à concevoir leurs rapports avec le passé. Le conférencier a tenté de décortiquer à travers plusieurs interrogations le rapport avec le passé et la manière de vivre le présent. Il s'agit de savoir comment les Arabes ont pu construire à l'âge classique une vision du passé ? Comment pouvaient-ils se projeter dans le futur ? Qu'en est-il de cette notion de retard historique ?... Sur justement ce dernier point, M. Cheddadi a schématisé cet état de fait par le train de l'histoire. Un train qui renferme tous les pays du globe. Aucun pays, de son avis ne se trouve à l'extérieur, sinon ce sera une contradiction. « Les Arabes sont à l'intérieur du train et tous les pays, sans aucune exception, peuvent avoir accès aux outils et aux mécanismes de développement disponibles dans le véhicule. Pourquoi alors certaines nations ont pris de l'avance sur les autres ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Le problème réside tout simplement dans la maîtrise des mécanismes en question et aussi dans le rythme de travail », explique l'historien qui est persuadé que certains pays ont su maîtriser les mécanismes disponibles et ont travaillé à une vitesse supérieure. « Il est clair que si l'on ne maîtrise pas les outils, on risque non seulement d'être les derniers mais aussi nous risquons l'isolement », avertira M. Cheddadi qui trouve qu'il est primordial que le monde arabe aille vers la maîtrise des outils scientifiques et qu'il ait le sens de la planification. « Personnellement, je pense que l'histoire ne veut pas dire aller tête baisser vers l'inconnu. Le futur, c'est le retour à l'origine », a souligné le conférencier. Pour sa part, M. Touati a souligné dans son exposé que la véritable renaissance des Arabes se trouve dans l'expérimentation de l'histoire. Dans ce contexte, l'orateur a plaidé pour une validation de la culture européenne par une vision critique, en prenant pour modèle ce qu'a fait l'Europe des acquis du savoir dont les Arabes étaient à l'origine dans le Moyen-Age. M. Touati a tenu d'emblée à préciser à l'égard de l'assistance qu'il était dans l'incapacité de répondre à toutes les interrogations des intervenants. « Pourquoi les Arabes ont régressé et les autres ont progressé ? Pour avoir une réponse à cette question, il faut remonter plus loin dans le temps et cela demande un travail immense et de la recherche. En somme, ce sont ces genres de questions qui poussent n'importe quel chercheur dans les différents domaines à fouiner dans le passé afin de trouver des réponses approximatives », a lancé M. Touati. Celui-ci a tenté, en outre, de satisfaire la curiosité d'un participant qui l'interrogeait sur le mot arabe et les raisons de la décadence des Arabes. Il expliquera que du point de vue de l'ethnicité, les Berbères, les Mozabites ou bien les Chaouis ne sont pas des Arabes, mais par contre si l'on parle du point de vue culturel, ces derniers le sont. En se référant à Ibn Khaldoun, M. Cheddadi rapporte la version de celui-ci par rapport à cette question. « Pour Ibn Khaldoun, un concept historique que l'on utilise est un concept que l'on construit. Le mot arabe doit être à cet effet placé dans un contexte précis et il faut prendre en considération non seulement le critère linguistique mais aussi l'aspect civilisationnel, l'économie, la construction urbaine... », a-t-il souligné. Revenant sur les raisons de la décadence des Arabes, M. Touati relèvera qu'il y a une rupture dans la chaîne de transmission. « Les Arabes souffrent d'une discontinuité qui leur fait perdre les repères. Nous avons perdu le pouvoir de déchiffrer le monde », lancera-t-il amèrement.