L' �conomiste am�ricain, Milton Friedman, est mort une premi�re fois, de crise cardiaque, le jeudi 16 novembre 2006, � San Francisco, � l'�ge de 94 ans. Consid�r� comme le pape du d�sengagement de l'Etat dans la vie �conomique, il est titulaire du prix Nobel d'�conomie en 1976 pour son travail dans le domaine de �l'analyse de la consommation, la th�orie et l'histoire mon�taire et pour sa d�monstration de la complexit� des politiques de stabilisation � � pour reprendre l�expos� des motifs du Comit� Nobel. Fossoyeur de l'interventionnisme de l'Etat, Milton Friedman �tait �galement connu comme chef de file de l'�cole mon�tariste. �S'il faut privatiser ou �laguer une activit� publique, faites-le compl�tement. Ne recherchez pas un compromis gr�ce � une privatisation ou � une r�duction partielle du contr�le �tatique�, d�clarait-il avec une conviction jamais d�mentie. Cette pens�e ultralib�rale avait notamment exerc� une �norme influence sur le gouvernement de Ronald Reagan, dont il �tait le conseiller, et celui de Margaret Thatcher au d�but des ann�es 1980, de m�me que celle du dictateur Augusto Pinochet du Chili qu�il rencontra en 1975. C�est de l��poque Reagan- Tatcher que date l�expression �Chicago Boys�, aujourd�hui usit�e pour les experts du FMI : nagu�re enseignant � l'universit� de Chicago, Friedman �tait, en effet, consid�r� comme le chef de file de l'�cole de Chicago fond�e en 1948 par une �quipe de purs et durs du lib�ralisme, qui inspira notamment la doctrine �conomique des dictateurs en Am�rique latine et, plus tard, celle des n�oconservateurs. Reagan faisant ce que Milton d�fendait depuis longtemps, nous avons eu droit � une autre formule en vogue : la �reaganomics �. A ce titre, Milton Friedman aura �t� sans doute l�inspirateur incontest� de la r�volution n�olib�rale. Dans cette optique, �le pape du mon�tarisme�, comme il fut surnomm�, professait un r�le limit� de l�Etat en mati�re de politique mon�taire et il jugeait inefficaces, voire nuisibles � long terme, les politiques de relance. Sa pens�e s'articulait autour de quelques grands principes, au premier rang desquels l'inflation s�explique toujours par une augmentation de la quantit� de monnaie en circulation. Pour faire simple, selon lui, il existe un lien �troit et stable entre la quantit� de monnaie en circulation et l'inflation. La hausse des prix peut ainsi �tre contr�l�e en r�glant cette quantit� de monnaie, t�che qui revient aux banques centrales au moyen de la fixation des taux d'int�r�t directeurs. Aujourd'hui, les principales d'entre elles ont pour priorit� d'�viter l'inflation, une mission h�rit�e de cette th�orie. Les nombreux combats de Friedman concernent, en particulier, l�ouverture des march�s, la limitation des d�penses publiques de l�Etat-providence et des imp�ts, la privatisation des entreprises publiques, la flexibilit� de l�emploi et des salaires, l'introduction de la libert� de choix dans le domaine de l'�ducation, la r�forme mon�taire et m�me la lib�ralisation de la drogue et de la prostitution. Une position qu'il aimait r�sumer par cette simple phrase : �Personne ne d�pense l'argent de quelqu'un d'autre aussi consciencieusement que le sien.� L'essence de la �contrer�volution � men�e par Milton Friedman est l� : l'Etat est nocif et antinomique avec l�id�e de libert�. La politique budg�taire est inop�rante et la d�pense publique impliquerait n�cessairement gaspillage et inefficacit�. C'est tout l'objet de Capitalisme et Libert� (1962) et du Libre Choix (1980), qu'il �crivit avec sa femme Rose. Dans le premier, il explique notamment : �L'existence d'un march� libre n'�limine �videmment pas le besoin d'un gouvernement. Au contraire, ce dernier est essentiel, et comme forum o� sont fix�es les �r�gles du jeu�, et comme arbitre qui interpr�te et fait appliquer ces r�gles. Le march�, cependant, r�duit grandement le champ des questions auxquelles doivent �tre donn�es des r�ponses politiques, et par l� minimise la mesure dans laquelle il est n�cessaire que les pouvoirs publics participent directement au jeu.� Pour Milton Friedman, les priorit�s �conomiques �taient la lutte contre l�inflation et celle contre les d�ficits publics. Combattre la hausse des prix imposait, selon lui, de ramener le rythme de cr�ation mon�taire � un niveau si bas qu�il rendrait l�argent plus cher (taux d�int�r�t), interdisant ainsi � l�Etat de financer trop commod�ment ses d�ficits. Sur ce plan, Friedman aura r�ussi � infl�chir l�action de toutes les grandes banques centrales, d�sormais ind�pendantes et exclusivement d�vou�es � stabiliser les prix et � juguler l�inflation. �Comment pourra-t-on jamais ramener l�Etat � de justes proportions ?� interrogeait Milton Friedman. Je pense qu�il n�y a qu�une fa�on de le faire : celle dont les parents contr�lent les d�penses excessives de leurs enfants, en diminuant leur argent de poche. Pour un gouvernement, cela signifie r�duire les imp�ts.� La sacro-sainte croyance dans les d�cisions du march� et les valeurs du profit, hors de tout interventionnisme, avait pour effet pratique de d�gager la voie pour les grosses entreprises, de mettre entre parenth�ses les in�galit�s de pouvoir, de savoir et de revenu, les r�alit�s des trusts et des cartels, du monopole, du quasi-monopole et de la concurrence impure et imparfaite. L�Etat �tait r�duit � ses attributs du XVIIIe si�cle : justice, police et arm�e. Les d�g�ts politiques collat�raux d�une telle th�rapie ont partout concouru � substituer au peuple souverain et citoyen le peuple souffrant dans une sorte de d�mocratie compassionnelle. Et les r�bellions ne font que commencer sous d�autres formes et avec d�autres mots d�ordre. La seconde mort de Friedman vient de l��tonnante sant� de l�euro. Friedman s'�tait, en effet, montr� sceptique au moment de la cr�ation de l'euro, aux allures de monopole mon�taire contraire � un libre march� des changes entre les devises. Or, � 1,56 dollar l�euro, la monnaie europ�enne affiche une insolente parit� qui donne raison au commissaire europ�en aux Affaires �conomiques et mon�taires, Joaquin Almunia, qui � au plus fort de l�euro scepticisme � rattachait le succ�s de la monnaie europ�enne � �une inflation et des taux d'int�r�t qui, pour de nombreux pays, n'ont jamais �t� aussi bas aussi longtemps�. Pour M. Almunia, les autres avantages sont : la protection contre les crises de changes qui frappaient r�guli�rement les anciennes monnaies (notamment la lire italienne), une r�duction du prix des produits import�s, y compris le p�trole (parce que factur� en dollars � un cours historiquement in�gal�), une progression des �changes et des investissements au sein de la zone euro r�duisant sa d�pendance ext�rieure, des voyages plus faciles et moins chers (avantage psychologique consid�rable) et, enfin, une plus grande transparence des prix favorisant la concurrence. M�me si l'inflation est aujourd�hui � son plus haut niveau depuis l'introduction de l'euro, l'Europe estime que ses fondamentaux restent �solides� et ses premiers responsables rassureraient cette fin de semaine quant � l'impact de la crise des �subprimes� sur la croissance - le ministre allemand des Finances, Peer Steinbr�ck, refusant de �sombrer dans l'hyst�rie� qui gagne le monde outre-Atlantique. L'euro �volue depuis 2006 vers une supr�matie sur les march�s obligataires et nombre de banques centrales, notamment asiatiques, lui accordent une place de plus en plus grande dans leurs r�serves. Bien mieux, la monnaie unique confirme sa place de leader sur les march�s obligataires. En 2006, l'encours de titres internationaux libell�s en euros a repr�sent� 45% du total mondial, contre 37% pour le dollar, selon les donn�es recueillies par Capital Market Association et publi�es dans le Financial Times. Par rapport � 2002, la progression de la devise europ�enne est spectaculaire. A l'�poque, l'euro repr�sentait � peine 27% de l'encours mondial, contre 51% pour le billet vert. Selon les statistiques publi�es dans le rapport annuel du Fonds mon�taire international de 2006, la part de l'euro dans les avoirs officiels en devises des pays en d�veloppement est pass�e de 19,9 % fin 1999 � 28,8 % fin 2005. Simultan�ment, la part du dollar a r�gress� de 68,2 % � 60,5 %. La clef � l�arrogance de l�hyperpuissance am�ricaine ne viendrait- elle pas d�une plus grande perc�e de l�euro ?