Portrait de groupe sur une photo prise � la veille de la Premi�re Guerre mondiale. Deux g�n�rations de fran�ais, �pas tout � fait comme les autres�, disent par leur tenue vestimentaire le passage de l'Histoire. Les uns sont v�tus � l'indig�ne, comme on disait alors, les autres � l'europ�enne. Il s'agit de la famille maternelle de l'auteur et entre les deux g�n�rations le d�cret Cr�mieux du 24 octobre 1870 a accord� aux Juifs d'Alg�rie la nationalit� fran�aise. Autre photo de famille, vingt-cinq ans plus tard, � la veille cette fois de la Seconde Guerre mondiale, plus aucune trace de v�tement traditionnel. Ces photos et un voyage � Khenchela en 2004, le berceau de la famille Stora, sont pr�textes � une qu�te identitaire collective structur�e autour de trois temps forts de l'histoire de la communaut� juive d'Alg�rie, Les trois exils. La d�marche est originale. Elle pourrait donner lieu � une saga, l'histoire individuelle de la famille de l'auteur. Mais en qualit� d'historien, Benjamin Stora �l�ve l'histoire des siens au rang d'une �pop�e, sans pathos, ni lyrisme. Il s'agit de l'�tude rigoureuse d'une assimilation et de ses cons�quences, �clairant par l� m�me des �v�nements historiques qui font encore d�bat aujourd'hui. Les sources m�lent aux r�cits de la m�re de l'auteur, des documents d'archives priv�s et publics, peu ou pas exploit�s. Trois exils, trois d�chirures. Si le dernier exil correspond en 1962 � ce que l'auteur nomme �la sortie d'Alg�rie�, exil physique, g�ographique, les deux premiers sont int�rieurs. Ils correspondent, l'un � la s�paration de la communaut� musulmane par la naturalisation octroy�e aux seuls Juifs par le d�cret Cr�mieux, l'autre au rejet de la communaut� fran�aise en 1940 et au retour � l'indig�nat lors de l'abolition du m�me d�cret. Loin des st�r�otypes, l'auteur montre, � la veille de la conqu�te fran�aise en 1830, une communaut� juive dans sa diversit� dont l'immense majorit� d�p�rit dans la mis�re. Si les Juifs d'Alger ou d'Oran accueillent l'arm�e fran�aise � qui n'aura pour eux que m�pris et s'opposera plus tard � leur �mancipation � comme des lib�rateurs, les Juifs de Constantine et de Laghouat s'opposent � l'agresseur aux c�t�s des musulmans. La colonisation fran�aise fracture les relations intercommunautaires d�j� entam�es par le d�clin turc. Coupure accentu�e par le d�cret Cr�mieux qui, quarante ans plus tard, s�pare irr�m�diablement les communaut�s juive et musulmane. L'assimilation des Juifs symbolise non seulement pour les musulmans, une solidarit� avec les envahisseurs, mais aussi pour les Juifs eux-m�mes une d�sertion du juda�sme. Les antis�mites, � la veille de la Seconde Guerre mondiale pr�texteront de cette fracture entre les communaut�s pour accentuer leur opposition au d�cret et demander son abolition, tandis que les �lites musulmanes r�clameront son maintien et leur volont� de le voir s'appliquer � leur propre communaut�. Plus tard, ce seront les �lites juives qui d�nonceront les massacres de S�tif et de Guelma et qui r�clameront la lib�ration des musulmans intern�s. Mais lorsqu'au Congr�s de la Soummam les nationalistes alg�riens demandent � la communaut� juive de se d�terminer pour ou contre leur appartenance � la nation alg�rienne, la r�ponse est l'attentisme car pour la majorit� d'entre eux, la s�paration de la France n'est pas concevable. Hormis quelques rares individualit�s, notamment membres du PC, engag�es aux c�t�s du FLN, la communaut� dans son ensemble va verser dans des positions Alg�rie fran�aise : �Ils (les Juifs d'Alg�rie) vivent la citoyennet� fran�aise comme une �mancipation. Les Alg�riens musulmans en guerre pour leur ind�pendance, en appelant ces autres indig�nes � les rejoindre, ne l'ont pas compris.� Cette histoire singuli�re est aussi la n�tre. Accepter de la regarder sans pr�jug�s, c'est comprendre les ressorts de notre pr�sent et apprendre � les d�crypter. Meriem Nour * Les trois exils, juifs d'Alg�rie, Benjamin Stora, Hachette