La M�diterran�e, aujourd'hui constitu�e d'un ensemble de pays plus ou moins atomis�s, est le lieu de nombreuses fractures �conomiques, sociales, politiques et environnementales entre les pays de sa rive nord et ceux des rives sud et est. Pis, ces fractures r�gionales sont parmi les plus graves au monde. Elles sont, par exemple, bien plus fortes que celles existant entre l'Am�rique du Nord et le Mexique, ou entre le Japon et ses voisins asiatiques. Malgr� tous les processus de coop�ration engag�s dans la r�gion depuis des d�cennies, la M�diterran�e reste plus que jamais une v�ritable poudri�re, travers�e en permanence par de multiples conflits et tensions, en particulier : le conflit isra�lo-palestinien, la guerre en Irak, les agressions au Liban, le conflit du Sahara occidental, les tensions dans les Balkans... La question, � combien strat�gique, de l'�nergie, de sa production et de son transport, n'est pas �trang�re � cette situation qui place la M�diterran�e au c�ur de la g�ostrat�gie mondiale. Construire, pas � pas, une v�ritable Union m�diterran�enne D�s lors, l�avenir de la M�diterran�e, sur fond de mondialisation, ne peut se fonder sur un statu quo qui �largirait toutes ces fractures et p�renniserait tous ces conflits au d�triment des populations m�diterran�ennes. C'est dire que l�avenir de la M�diterran�e est d'abord l'affaire des pays m�diterran�ens. C'est dire que cet avenir sera collectif ou ne sera pas. C'est dire enfin qu'il se fera dans l�unit� et la diversit� des pays m�diterran�ens ou ne se fera pas. Cela signifie qu�il faut que ces pays prennent conscience de cela et construisent, patiemment, un ensemble m�diterran�en coh�rent, fond� sur des valeurs communes et visant un progr�s partag�, dans la paix et le respect mutuel entre tous les peuples de la r�gion. Parmi ces valeurs : les libert�s fondamentales (individuelles et collectives) ; les droits nationaux, humains, sociaux et environnementaux ; la gestion d�mocratique et pacifique des conflits d�int�r�ts internes et externes. Un tel ensemble, qu�il s�appelle �Union m�diterran�enne� ou �Communaut� m�diterran�enne�, devrait donc �tre constitu�, de fa�on progressive et volontaire, par tous les pays riverains, en associant, d�s le d�part et de fa�on active, leurs soci�t�s civiles. Un tel ensemble devrait se fixer comme objectif fondamental la mise en place progressive d�un v�ritable espace de libert�s et d��changes entre tous ces pays riverains de la M�diterran�e, au lieu de la sempiternelle �zone de libre-�change �. Libert�s �conomiques, mais aussi politiques, culturelles et cultuelles pour tous. Echanges �conomiques, mais aussi scientifiques, technologiques, culturels et humains au b�n�fice de tous. Pour mieux combattre l'oppression, la pauvret� et les in�galit�s de toutes sortes dans chacun des pays et entre les pays. Pour mieux respecter leur environnement, symbolis� par cette Mare Nostrum qui relie, depuis toujours, tous ces pays. Choisir entre deux mod�les de partenariat Bien entendu, pour r�aliser un tel projet historique, qui s'inscrit dans le �temps long� cher � Braudel, les pays m�diterran�ens ont besoin de soutiens externes d'o� l'imp�ratif de renforcer leurs partenariats avec ceux des grands ensembles politiques et �conomiques r�gionaux qui partagent, m�me partiellement, cette vision collective d�avenir. Dans cette perspective, et pour l�heure, au-del� du projet d'UPM, deux �mod�les� de partenariat sont propos�s aux peuples m�diterran�ens. Le premier �mod�le�, sous-jacent � l�id�e de �Grand-Moyen-Orient�, propos�e par les Etats-Unis, est partiellement � l��uvre en Irak depuis 2003. Il consiste � tenter d'�implanter� la d�mocratie, la libert� et le progr�s de l�ext�rieur par l�occupation militaire et la guerre, avec ce que cela co�te en vies humaines, pour les Irakiens mais aussi pour les forces am�ricaines (plus de 4 000 hommes morts au combat en cinq ans), et en destructions mat�rielles et infrastructurelles. Le second �mod�le� est mis en �uvre par l�Union europ�enne, en Turquie notamment. Men� de fa�on pacifique et progressive par la n�gociation, il soumet le partenariat euro-turc (dans ce cas dans la perspective d�adh�sion de la Turquie � l�Union) � des conditionnalit�s essentielles en termes �conomiques, mais aussi et surtout en termes d��volution de la d�mocratie en Turquie, du respect de la la�cit� et des libert�s fondamentales, de la reconnaissance du g�nocide arm�nien� A l��vidence, ce second �mod�le� de partenariat, m�me s'il n'est pas la panac�e, est davantage porteur de progr�s, bien qu'il ne s�agisse pas, dans le cadre du projet d'Union m�diterran�enne d�velopp� ici, de viser l�adh�sion des autres pays m�diterran�ens de l'est et du sud � l�Europe, mais de construire, entre deux Unions (l'Union europ�enne et l'Union m�diterran�enne) qui agiraient d'�gal � �gal, un �simple� partenariat privil�gi� allant bien au-del� du processus de Barcelone et de sa politique de bon voisinage. Deux Unions et un partenariat strat�gique Ainsi con�ue, l�Union m�diterran�enne appara�trait alors comme un processus compl�mentaire � celui initi� par l�Europe depuis 1995 en termes de partenariat, auquel elle offrirait un espace de coop�ration plus large et plus coh�rent, au sein duquel les pays membres �volueraient, comme en Europe, et chacun � son rythme, sur la base d�objectifs de convergences multiples : �conomiques, politiques, sociaux, environnementaux... In fine, l'Union m�diterran�enne appara�trait comme un projet diff�rent et plus ambitieux que le projet d��Union pour la M�diterran�e�, port� par l�Europe. Pour int�ressant qu�il soit, ce dernier comporte en effet deux limites �cong�nitales� : primo, il a �t� con�u en Europe, c'est-�-dire � l�ext�rieur de la M�diterran�e, m�me s�il a �t� initi� par un pays m�diterran�en : la France. D'autant que le projet initial fran�ais a �t� largement vid� de sa substance par les autres membres de l'Union europ�enne, notamment l'Allemagne. C'est pourquoi, selon cette approche, �l�Union pour la M�diterran�e�, compos�e des 27 pays europ�ens et des 22 pays m�diterran�ens, serait codirig�e par un pays de l�Union europ�enne, m�me non riverain de la M�diterran�e. Qu'auraient pens� les Europ�ens, dans les ann�es 1950, si les Etats-Unis avaient con�u � leur place une �Union pour l'Europe� qu'ils auraient codirig�e ? Qu'auraient-ils pens� si ces m�mes Etats-Unis leur avaient soumis une liste de projets prioritaires pour l'Europe ? Soyons clairs, le projet m�diterran�en actuel est un projet europ�en pour la M�diterran�e, alors que l�Union m�diterran�enne devrait �tre un projet m�diterran�en pour les M�diterran�ens ouvert, pour les raisons �voqu�es ci-dessus, � des partenariats privil�gi�s, notamment avec l'Europe, en vue de r�duire les �carts de niveau et de qualit� de vie entre les populations m�diterran�ennes du Sud et de l'Est et celles de l�Union europ�enne. Dans un tel projet d�Union m�diterran�enne, ce partenariat s'appuierait sur les pays de la rive nord (y compris la Turquie) qui auraient l'avantage d'�tre � la fois membres de l�Union europ�enne et de l�Union m�diterran�enne, ce qui serait un gage suppl�mentaire du caract�re privil�gi� du partenariat qui existerait entre l�Union europ�enne et l'Union m�diterran�enne. Secundo, le projet d'UPM, r�duit au seul aspect de partenariat, est fond� (tout comme celui de Barcelone, dont il a d'ailleurs du mal � se d�partir malgr� son �chec av�r�) sur une simple logique de coop�ration bas�e sur des consid�rations principalement commerciales et s�curitaires, contrairement � ce qui s�est fait pour la construction de l�Union europ�enne. L�Union m�diterran�enne, quant � elle, pourrait, bien entendu (et ce serait r�aliste), d�marrer de fa�on pragmatique, par une �approche projets�, sous r�serve qu'ils soient identifi�s et choisis par les pays m�diterran�ens eux-m�mes. Cependant �l'Union m�diterran�enne � devrait viser, comme son a�n�e l'Union europ�enne, � un terme plus ou moins lointain, une v�ritable communaut� m�diterran�enne, r�gie, comme au sein de l'Union europ�enne, par des normes d�mocratiques, sociales et environnementales, sans que soient ignor�es ou d�natur�es les sp�cificit�s culturelles et cultuelles des diff�rents peuples de la M�diterran�e. Dans ce cadre, le projet d'Union m�diterran�enne cr�erait les conditions les plus favorables � un r��quilibrage de la politique europ�enne (� l��vidence de plus en plus orient�e � l�est depuis la chute du mur de Berlin et l��largissement de l�Union � 27 membres) en direction de la M�diterran�e. En tout �tat de cause, seul un projet de ce type, marchant sur ses deux pieds, c'est-�-dire � la fois sur la construction d'une Union m�diterran�enne et sur la mise en place d'un partenariat privil�gi� avec l'Union europ�enne, serait en mesure d��tancher la soif de paix, de libert� et de progr�s qu�expriment chaque jour davantage les soci�t�s civiles m�diterran�ennes. Bien entendu, la mise en �uvre d�un tel projet suscitera m�fiance et scepticisme, d�rangera bien des int�r�ts �tablis et sera sem�e d�emb�ches. Mais, la paix, la libert� et le progr�s pour tous les peuples de la r�gion sont � ce prix. Raison de plus pour rassembler toutes les bonnes volont�s pour, � la fois, construire cette Union m�diterran�enne pacifique, d�mocratique et libre que les peuples appellent de leurs v�ux et ce partenariat privil�gi� avec l'Europe. Sinon, prenons garde, � vouloir r�duire la question � la seule construction d'un �ni�me partenariat entre l'Europe et les pays de la M�diterran�e, � forte odeur de p�trole et relents s�curitaires, certains prennent le risque d'un �chec renouvel�. S. G. *Communication pr�sent�e par le professeur Sma�l Goumeziane � l�Institut d��tudes politiques de Paris, le 12 juin 2008.