Le p�lerinage et le recueillement effectu�s � Oulkhou, en souvenir de la mort de Tahar Djaout, est un passage d�une rive � l�autre de la m�moire. Il y a, d'abord, le souvenir d�un pass� tout proche qui ravive l�image du po�te assassin� et accompagn� en cette funeste journ�e du mois de juin de l�ann�e 1993 � sa derni�re demeure par une foule immense. Il y a, ensuite, l�autre versant de la m�moire o� se retrouvent les r�sonances v�g�tales, bucoliques et min�rales et tous les souvenirs inh�rents � l�espace qui a vu na�tre le po�te et qui constituent l�espace g�n�tique de son �uvre, sa �madeleine de Proust�. Reportage r�alis� par Sa�d A�t-Mebarek Oulkhou, 26 mai, onze heures. Sur l�une des nombreuses collines du village o� repose T. Djaout, depuis 1993, face � la grande bleue, il plane toujours le m�me air de vide et d�abandon. Atmosph�re de triste solitude qui tranche avec l��clatante blancheur de cette journ�e ensoleill�e du mois de mai. Baign�s par les volutes de silence hach� par le bruissement des arbres que doucement remue le sifflement du vent qui arrive de la M�diterran�e qui ondule au loin, nous vient cette aphorisme : Oulkhou, ici repose le po�te, entre la m�moire et le terroir, une formule inspir�e par la gravit� de l�instant et du rendez-vous qui a vu une poign�e d�hommes et de femmes converger vers le petit cimeti�re d�Oulkhou. Partout une impression d�oubli Une �pitaphe qui prendrait bien sa place sur le marbre fun�raire qui recouvre la tombe du po�te dont le nom a fini de se confondre avec celui de son village natal. Heureux paradoxe, s�il en est, puisqu�il profite bien � ce lieu dit qui a surgi, gr�ce ou � cause de la mort de Djaout, de l�anonymat et de nulle part pour finir, dans l�esprit de bien des gens et des visiteurs du jour, par s�associer au nom de l�auteur de l�Expropri�. Mais Oulkhou, en ce 26 mai 2008, semble toujours triste. Partout o� se dirigent nos pas subsiste une impression d�oubli et de grisaille m�me si le soleil de cette journ�e pritanni�re inonde de son �clatante lumi�re les collines qui ondulent sous une verdure exub�rante, sugg�re le contraire et invite le regard � l�all�gresse, � la communion avec la terre. Dans la voiture qui chemine sur l��troite route du village au bitume d�cr�pi et parsem� de nids-de-poule, Da Akli n�arr�te pas, comme il l�a fait depuis notre d�part matinal de Tizi-Ouzou, d�effeuiller la chronique de son village. L�, il nous montre la maison des Djaout. En bas, le lieu o� se sont d�roul�es des sc�nes racont�es dans les Vigiles ; plus loin, il prom�ne notre regard sur les collines balafr�es par des torrents et des petits ruisseaux et sur lesquelles s��gr�nent les villages qui entourent Oulkhou. En compagnie de Omar, �tudiant � Paris, dont le sujet de th�se de doctorat porte sur les Vigiles, DaAkli nous montre les diff�rents endroits o� se tenaient les soldats fran�ais quand les villageois �taient rassembl�s pour les fameuses s�ances de �sensibilisation� et de mise en garde. �L�-bas, dit-il encore, le lieu o� � �t� ex�cut� un villageois�, (encore une sc�ne racont�e dans les Vigiles). Intarissable, notre guide du jour se pla�t � nous faire partager des souvenirs d�enfance se rapportant, tant�t aux dures ann�es de la guerre, tant�t aux quelques moments de jeunesse partag�s au village avec, se pla�t-il � dire, Tahar. �Tu vois, nous dit-il, en arrivant devant la mosqu�e, c�est � partir d�ici que Tahar et moi-m�me transportions du sable sur une brouette. On �tait affect� lui et moi � cette t�che, une fois, c�est lui qui remplit la brouette et moi je la d�place, une autre fois c�est � mon tour de prendre la pelle et lui s�occupe � d�placer la brouette remplie de sable. C��tait l��t� et Tahar, qui revenait de Paris o� il �tait �tudiant � la Sorbonne, n�h�sitait pas � se m�ler aux villageois et � participer au volontariat pour la construction de cette mosqu�e que tu vois l�, devant toi�, nous raconte DaAkli qui tient ici � t�moigner de l�esprit de tol�rance qui animait Djaout. �M�me s�il ne cachait pas son agnosticisme et son attachement � la la�cit�, Tahar ne nourrissait aucune haine ni hostilit� vis-�-vis de la religion ; �a serait lui faire un mauvais proc�s de ce c�t�-l�, une attitude que certains ont cru devoir n�cessaire de lui pr�ter. A tort.� R�miniscences douloureuses Retour vers la r�alit�. La voiture s�immobilise dans une sorte d�enclos, afrag, espace ouvert, entour� et commun � plusieurs demeures, celles des Gacemi, sans doute, puisque notre accompagnateur effectue une visite �clair dans sa propre maison qui est inoccup�e. �Je viens quelquefois ici avec mes enfants et mes petits-enfants,. J�y avais m�me re�u des amis fran�ais il y a quelques ann�es�, nous dit-il. Sur notre chemin vers le cimeti�re, il �changera quelques mots avec des jeunes du village affair�s � la construction d�une maison. Ils ne donnent pas l�impression d��tre concern�s par ce qui va se passer en bas, au cimeti�re. M�me constat lorsque, de retour de la c�r�monie, on rencontrera quelques septuag�naires du village assis � une terrasse mitoyenne � l�unique �picerie du village. Une discussion banale qui se limite � l��change de quelques familiarit�s s�engagera avec Da Akli. Un vieux puis un autre viennent nous saluer. �Des journalistes ?�, demande le vieux Abderahmane, le cousin de Da Akli, qui nous parle de son village et des hameaux qui l�entourent, Icha�lal�ene, Igoudjdal� On �carquille les yeux. �Ils sont m�chants !�, se hasarde-t-il � dire en fran�ais, pour parler de leurs voisins d�Igoudjdal. En fait, il voulait dire qu�ils sont courageux et intraitables, faisant r�f�rence � cette journ�e m�morable de l�hiver 1993 o� un groupe de citoyens d�Igoudjdal a oppos� une farouche r�sistance, armes � la main, � des terroristes qui voulaient investir le village. �Maintenant, les terroristes n�osent plus s�approchear des villages. Mais ils rodent dans les montagnes�, plaisante le vieux Abderahmane, dont la bonhomie et le caract�re visiblement taquin constituent une note de fra�cheur dans cette ambiance de monotonie qui semble coller au village, du moins, pour nous qui venions de quitter le cimeti�re. Comme lors des pr�c�dentes visites, des r�miniscences douloureuses n�ont pas manqu�, en cette journ�e de mai 2008, de rejaillir et d�impr�gner les lieux et l�esprit des participants au recueillement dans le petit cimeti�re d�Oulkhou. Une atmosph�re si bien rendue par la complainte aux accents lancinants et tristes ex�cut�e magistralement au violon par la jeune Sarah, �l�ve d�un conservatoire parisien et invit�e de l�association Etoile du jour d�Ifigha. Les doigts agiles de l�adolescente font vibrer les cordes du violon pour entonner un air d�chirant qui sonne encore comme une oraison fun�bre qui rappelle le pass� avec son cort�ge de deuils, de morts et de va-et-vient vers les cimeti�res. On ne peut revisiter Oulkhou sans avoir en playback cette journ�e funeste du d�but de l��t� de l�ann�e 1993 et l�image de cette mar�e humaine semblable � un linceul noir qui se r�pand dans un mouvement de flux et de reflux, arpentant ou descendant les pentes abruptes du village. Image paradoxale et en clair obscur d�un village qui reste, depuis, li�e � l�id�e de mort. Ce fut aussi un tragique coup de pouce de l�histoire : Oulkhou qui venait d�enterrer le plus connu d�entre ses enfants, s�est arrach� � la morne r�alit� du temps qui coule pour s�ajouter � la multitude de noms et de lieux qui parcourent le pays devenus par la fatalit� de la m�diatisation d�une actualit� tourment�e, le r�ceptacle d�une m�moire tatou�e par la douleur et les ravages du d�cha�nement de la haine des fous de Dieu. Oulkhou, Tala Amara, Tala Bounane� des lieux semblables � beaucoup d�autres en Alg�rie o� r�sonnent encore les staccatos des armes, les cris d�chirants des trucid�s et les plaintes �plor�es de leurs parents. Souvenirs, souvenirs... Sur le marbre fun�raire qui couvre la tombe du po�te, des dates et des mots, �ph�m�rides et t�moignage de l�innommable horreur : �Ici, repose le po�te et journaliste T. Djaout assassin� le 26.05.1993 � 8h30, victime d�un attentat int�griste. Il succombe � ses blessures le 12.06.1993 � 17 h.� Et puis, cette pens�e pos�e en �pitaphe par un groupe de citoyens d�un village de B�ja�a : �Les immortels sont ceux qui vivent aussi longtemps que notre m�moire collective o� ils sont � jamais enterr�s. Nous te pleurons, nous te suivons.� Il y a, ensuite, cette remont�e dans le souvenir, ces instants vol�s � l�intimit� d�une rencontre � laquelle nous invite A. Gasmi � d�couvrir les chemins de randonn�es champ�tres et les noms de lieus de m�moire si ch�re au po�te natif d�Oulkhou. Notre guide du jour est intarissable de r�f�rences bucoliques, de l�gendes, de petites comme de grandes histoires qui, selon lui, ont �t� � l�origine de l�inspiration de Djaout. �Tahar �tait hant� par une qu�te identitaire. Son village est le d�but de son interrogation et le d�part de son �uvre. L�Expropri�, c�est le livre de l�interrogation ; dans les Rets de l�oiseleur, il raconte des histoires succulentes inspir�es des randonn�es � travers les champs et les vall�es qui entourent le village. Bref, nous dit encore notre accompagnateur, ses r�cit et ses romans sont un pr�texte pour dire la m�moire et le terroir, dans leurs versants historique, v�g�tal et min�ral.� Des �l�ments qui ont �t� f�condants de l��uvre du po�te habit� par la qu�te des origines et la restitution du temps perdu.