Le hasard, et surtout l��volution des esprits � la lumi�re de l�exp�rience m�ont donn� l�occasion d�une heureuse co�ncidence. J�ai pris connaissance de l��pilogue de l�ouvrage de Chafiq Mesbah (publi� par le Soir d�Alg�rie du 24 juillet 2008) pendant que, en r�ponse � des questions au long cours de Arezki Metref, je poursuivais une r�flexion sur les courants politiques au sein de la direction ex�cutive du PAGS durant la d�cennie 1980, puis apr�s Octobre 1988. Dans les deux th�matiques, avec des intensit�s et des formes diff�rentes, j�ai constat� des �volutions parall�les ou m�me imbriqu�es qui ont d�bouch� non pas sur une seule �occasion historique manqu�e� (pour l�ANP), mais sur deux ou m�me plusieurs, se confondant en un seul revers pour toute la nation. En reprenant l�image de Chafiq Mesbah � propos du �ratage� concernant l�ANP (en tant qu�institution militaire �tatique), j�ai pens� � un autre de ces ratages, li� � celui de l�ANP et que je ne suis pas seul � consid�rer comme un d�sastre d�envergure. Il concerne le PAGS en tant qu�une des organisations qui �uvraient de fa�on significative au sein de la soci�t�. En fait, dans les deux cas, le d�ficit politique s�est manifest� � des degr�s diff�rents et � partir de socles id�ologiques distincts ou m�me oppos�s par certains c�t�s. En mettant de fa�on disproportionn�e l�accent sur les seuls volets s�curitaire et identitaire, en sous-estimant inconsciemment ou en niant d�lib�r�ment les racines sociales et d�mocratiques de la crise, le d�ficit a fait le lit de la d�gradation du tissu social et �tatique lors du tournant g�opolitique, national et international, des ann�es cruciales 1989- 1990. Au lieu de contribuer � d�nouer et d�samorcer politiquement une crise majeure, la d�faillance politique a d�bouch� sur une trag�die alg�rienne sans pr�c�dent. Ce d�ficit est caract�ris� par les approches unilat�rales et de court terme qui privil�gient les seuls int�r�ts et enjeux de pouvoir au d�triment des int�r�ts g�n�raux de la soci�t� � court et long terme. Ce trait, propre au pouvoir d�Etat comme instrument de survie, a �t� accentu� jusqu�� de n�fastes caricatures dans la mont�e de mouvements d�opposition gagn�s � des conceptions h�g�monistes et d�exclusion des valeurs culturelles et religieuses notamment islamiques, int�rioris�es par notre peuple dans sa diversit� et son long parcours historique. Avec des racines qui remontent � plus loin encore dans l�histoire du mouvement national, l�h�g�monisme des sph�res dirigeantes de l�Etat et celui des oppositions, � caract�re communautariste, a refl�t� et aiguis� les penchants pr�sents dans diff�rentes couches de la soci�t� au lieu de les �duquer pour les transcender, les aiguiller vers l�unit� d�action au b�n�fice de l��dification nationale. Cette pratique est embl�matique du mal qui depuis l�ind�pendance a rong� progressivement l�ensemble Nation-Etat-Soci�t�, La coh�rence et l�harmonie de cet ensemble �taient n�cessaires et possibles pour l��panouissement d�une l�Alg�rie lib�r�e de la domination coloniale. Le d�ficit, la sous-estimation, voire la d�naturation et la criminalisation du politique, dans ses dimensions antiimp�rialiste, d�mocratique et sociale, a conduit au r�sultat contraire. Il a paralys� les possibilit�s d�interactions et de solidarit�s r�ciproques b�n�fiques, fond�es non pas sur des bons sentiments discutables et volatiles, mais sur l�inventaire et la prise de conscience des int�r�ts objectifs communs. Ce fut au contraire le d�voiement de la vie sociale et politique vers un cercle vicieux fatal de rivalit�s, de divisions, de d�pendances client�listes et autres. Le syst�me global ainsi instaur� a pris un chemin pi�g�, devenu incontr�lable aussi bien par les tireurs de ficelles que par les acteurs les mieux intentionn�s. L�ancien colonisateur aussi bien que le n�o-imp�rialisme mondial et la r�action r�gionale ont pu se frotter les mains et engranger les dividendes, sans prendre la peine de recourir � des interventions directes. Comme le montre pour l�essentiel la conclusion de Chafiq Mesbah, ce d�ficit a entrav�, sinon emp�ch�, le r�le possible de r�gulateur et m�diateur politique et national d�mocratique de l�ANP. L�institution militaire avait les moyens de jouer ce r�le d�s le lendemain de l�ind�pendance, �tant donn� les leviers de pouvoir que lui avait donn�s la lutte arm�e lib�ratrice. Cette position privil�gi�e �tait un des r�sultats de l�action men�e par une ALN issue de la soci�t� opprim�e et assur�e d�un soutien patriotique et populaire massif, malgr� des contradictions internes et des emb�ches parmi les plus s�rieuses. L�erreur, sinon la faute de la hi�rarchie militaire et du syst�me mis alors en place � l�ind�pendance sous son �gide, a �t� pour des raisons multiples restant � �tablir, de renoncer et m�me tourner le dos � ce r�le d�cisif et fondamentalement d�mocratique. Elle l�a troqu� contre celui contestable et risqu� de d�tenteur h�g�monique de la totalit� des leviers, � la fois ceux d�orientation, de d�cision, d�ex�cution et de contr�le Une fois conquises la paix et la libert�, la r�partition et l�exercice de ces pouvoirs, compl�mentaires mais distincts, auraient d� revenir � des instances issues de la souverainet� populaire et soumises � elle, dans l�esprit du projet national insurrectionnel de Novembre 1954. Les difficult�s, habituelles dans la r�alisation de ce principe fondamental, avaient �t� certes compliqu�es partiellement par une maturit� politique insuffisante � la base, mais celle-ci �tait surmontable par un travail commun et concert� d��ducation politique. L�obstacle le plus grand fut bien davantage celui cr�� par les d�chirements et les dissensions non surmont�es dans le cours de la guerre, dont les raisons principales furent beaucoup plus des querelles de chefs, de pr�rogatives et de m�fiances r�gionalistes ou claniques que des probl�mes fondamentaux d�orientation. Ces dissensions se rattachaient elles-m�mes au fait que l�agenda de l�insurrection courageuse de Novembre 54 avait �t� davantage con�u par ses initiateurs comme un moyen de d�passer la crise politique et la division du plus grand parti nationaliste. Il ne fut pas suffisamment le r�sultat du m�rissement consensuel d�un vrai projet politique, donnant au slogan central d�ind�pendance un contenu fortement int�rioris� � tous les niveaux militants et populaires. La force �motive et rassembleuse de ce mot d�ordre aurait d� inciter les acteurs d�un front patriotique, socialement et id�ologiquement non homog�ne, � le consolider par l�adh�sion � un programme concret fond� sur l��quilibre des int�r�ts de classe et culturels l�gitimes. La proclamation du 1er Novembre 1954, la Charte de la Soummam de 1956, le Programme de Tripoli de 1962 ont �t� des d�clarations d�intentions g�n�reuses mais sans prolongements suffisants dans les actes, parce que le travail politique unitaire et mobilisateur n�a pas �t� pris s�rieusement en charge pour d�blayer les incompr�hensions et les obstacles d�int�r�ts in�vitables � leur application. A un de nos camarades qui lui faisait remarquer le peu d�attention accord� � la mise en �uvre des proclamations de principe officielles, le pr�sident Boumediene avait r�pondu dans un sourire : �Le plus important, c�est le pouvoir !� La m�me illusion avait fait croire qu�il suffisait de l�aisance financi�re pour acheter le d�veloppement industriel et pour s�assurer la docilit� politique des uns et des autres ! R�sultat des courses : bien des pays lib�r�s � travers des processus historiques vari�s ont connu ce genre de difficult�s ; mais pour l�Alg�rie dont la r�volution se proclamait exemplaire, les probl�mes �pineux de la construction d�une nouvelle coh�sion n�ont pas aiguis� l�attention et la volont� des chefs dans le sens de leur solution d�mocratique. Les divergences et dissensions ont servi au contraire de pr�textes aux solutions autoritaires, � l�accaparement acharn� des pouvoirs, au nom des urgences vraies ou invoqu�es, et d�une mythologie nationaliste appropri�e aux ambitions des clans rivaux. Dans ce contexte, les probl�mes nationaux, sociaux et culturels ont �t� trop peu envisag�s sous l�angle de leur solution exigeant le rassemblement large et librement consenti des forces vives. Ils ont �norm�ment souffert d��tre les jouets et les victimes des ambitions et des rivalit�s de pouvoirs. Il ne pouvait en r�sulter qu�une coupure grandissante entre les directions de l�institution militaire et la soci�t�. L��volution positive inverse �tait pourtant inscrite en filigrane dans les courants de sympathie r�ciproque entre des segments importants de la soci�t� et l�institution militaire, qui s��taient dessin�s malgr� tout � certains moments des quinze premi�res ann�es apr�s l�ind�pendance. C��tait l��poque des mesures �conomiques d�ind�pendance nationale et de justice sociale amorc�es avec le soutien officiel de l�ANP contre les r�ticences et les oppositions des multiples fa�ades du parti unique. Ce fut aussi le cas lors de graves �v�nements r�gionaux comme la �Guerre des six jours� de 1967, le soutien aux causes des peuples africains, vietnamien et palestinien et la revendication d�un nouvel ordre �conomique mondial. Les mesures �conomiques et sociales d�importance historique sont devenues elles-m�mes vuln�rables et n�ont pas emp�ch� le discr�dit du pouvoir mis en place par la hi�rarchie de l�ANP et jouissant de sa caution, discr�dit qui est all� en grandissant apr�s le reflux des ann�es 1980 et l��pisode sanglant d�Octobre 1988. J�ai entendu souvent � propos de l�ANP et des �militaires� deux arguments qui me paraissent approximatifs et fallacieux. Le premier, se pr�sentant comme favorable � l�ANP, est souvent utilis� pour justifier des r�les que l�ANP n�aurait jou�s qu�� contre c�ur et � son corps d�fendant. C�est en Alg�rie, disent certains, la seule structure organis�e en mesure de faire face aux p�rils d�envergure d�j� affront�s ou � venir. Ne se rend-on pas compte en pensant ainsi, qu�au-del� de la fiert� pour l�Alg�rie d�avoir un tel appareil, cette affirmation masque une tr�s grave faiblesse ? Celle pr�cis�ment pour l�ANP d��tre, apr�s 40 ans d�ind�pendance, la SEULE structure aussi organis�e et influente au service de la nation. A quoi ont servi les arm�es parmi les plus puissantes du monde dans le syst�me socialiste, � partir du moment o�, pour diff�rentes raisons, les liens se sont rel�ch�s entre la soci�t� et les organismes politiques dirigeants qui contr�laient �troitement ces arm�es ? Une arm�e ne peut-elle �tre forte et accomplir sa mission que si elle produit un d�sert politique autour d�elle ou si elle se paye une sc�ne politique � ses bottes, d�bilis�e par les gestions autoritaires ? Grave contre-v�rit�, que la nation et l�arm�e elle-m�me finissent toujours par payer cher. Civils et militaires ont un int�r�t commun � un paysage politique, � des institutions et organisations autonomes, fortes, solidaires autour d�objectifs b�n�fiques mutuellement reconnus. Un second argument se veut quant � lui hostile aux �militaires�. Ils sont rendus responsables des d�boires de l�Alg�rie, du fait du pouvoir qu�ils exercent par instances interpos�es sur une soci�t� civile r�duite � l�impuissance. Cette dichotomie entre les cat�gories de �civils� et �militaires� me para�t superficielle et plut�t st�rile, en ce sens qu�au-del� d�aspects formels r�els mais trompeurs, elle masque les m�canismes et les racines du d�ficit d�mocratique flagrant dont souffre l�Alg�rie. D�abord elle tend � d�responsabiliser les civils et les �loigner de la n�cessaire mobilisation d�mocratique, en consid�rant l�oppression et les injustices subies comme une fatalit� qui aurait pu �tre �vit�e si l�arm�e n�existait pas. Comme si toute arm�e �tait g�n�tiquement porteuse d�oppression, ferm�e a priori au soutien des missions d�mocratiques, de justice sociale et d�int�r�t national. Cela est d�menti par maints exemples sur tous les continents. Plus s�rieux encore, cette approche ne laisse souvent comme seule issue et seul espoir de salut que des entreprises aventureuses de renversement et de remplacement des hi�rarchies en n�gligeant les luttes autrement plus profondes pour transformer le soubassement national sur lequel s�appuient les syst�mes autocratiques. Ensuite, la distinction formelle �civils-militaires� masque la responsabilit� des courants et forces �civiles� aussi bien dans l�instauration que dans l�entretien des m�faits imput�s � tort ou � raison aux militaires et � leurs instances. A propos de cette faille pr�judiciable aux int�r�ts communs des Alg�riens et attribu�e unilat�ralement aux militaires, il m�est arriv� de souligner dans mes �crits, comme ceux consacr�s aux racines et cons�quences de la crise du PPA-MTLD de 1949, crise de d�ficit d�mocratique : �Messieurs les civils, vous avez tir� les premiers (contre la d�mocratie) !� Je faisais allusion � la fa�on dont des secteurs et personnalit�s politiques (devenus plus tard centralistes ou messalistes) ont l�gitim� la violence contre leurs fr�res de lutte en d�saccord avec eux, ont d�lib�r�ment remplac� le d�bat constructif par le d�nigrement, l�exclusion, la r�pression brutale et la cr�ation d�un climat qui a pouss� � des tentatives d�assassinats qui se sont malheureusement concr�tis�es lors de la guerre de Lib�ration. Loin de contribuer � l�effort de saine politisation et d��ducation des cadres, nombre d�entre eux ont abond� dans la surench�re et la l�activisme antipolitique des plus violents, avec l�espoir de se frayer une place dans le cort�ge des intrigues, putsch et coups d�Etat. Apr�s ces consid�rations d�ensemble, je voudrais revenir sur mon propos initial. Il concerne, � propos de la transition manqu�e de 1990-1991, qualifi�e de �grand d�rapage� par un ouvrage de Abed Charef, la corr�lation qui s�est �tablie entre l�activit� de certains services li�s formellement � l�ANP et des �l�ments de l�ex�cutif du PAGS, quand ce parti se trouvait encore au milieu du gu� entre la clandestinit� et une l�galisation � peine amorc�e, sans qu�ait pu �tre fait encore le bilan r�el des enseignements des 25 ann�es de lutte pr�c�dentes. Le bilan des enseignements politiques et organiques avait m�me �t� d�lib�r�ment sacrifi� au soi-disant profit d�une situation d�urgence, alors que ces enseignements auraient au contraire mieux �clair� l�analyse des dangers nationaux et internationaux apparus. L��pisode est doublement instructif. D�une part, quant aux m�canismes pervers qu�a permis la confusion entre services de renseignement et l�ensemble de l�institution militaire, et surtout les pratiques, abusives dans un Etat de droit, de services qui au-del� du renseignement n�cessaire � toute instance �tatique, s�arrogent des pr�rogatives incontr�l�es d�intervention politique ainsi que de r�pression polici�re directe et indirecte. D�autre part, l��pisode est terriblement r�v�lateur des d�g�ts qui surviennent quand les faiblesses politico- id�ologiques, latentes puis exacerb�es par la conjoncture, font jonction avec les manipulations qui les exploitent au nom de situations d�urgence, donnant pr�texte � la perte d�autonomie de jugement et d�initiative des organisations et mouvements. Le PAGS en a pay� le premier les frais, parce que, comme le PCA, interdit d�s novembre 1962, il fut jug� � bon escient comme un obstacle potentiel de taille aux orientations pr�datrices et de liquidation de l�ensemble des acquis alg�riens pr�c�dents. Dans les deux cas, la politique avou�e de maintien du mouvement social �dans un cocon de chrysalide� n�avait pas frapp� qu�un segment de ce mouvement mais tout ce qui �tait prometteur, progressiste et unitaire dans la nation. Les ann�es suivantes l�ont confirm�, y compris � ceux qui avaient cru que la �neutralisation � du PAGS allait leur ouvrir un meilleur espace partisan. L�enseignement valait et continue � valoir pour toute la �classe politique� alg�rienne, pour tout notre peuple, ses organisations et ses instances �tatiques en qu�te d'avenir. S. H.