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5 OCTOBRE 1988, 5 OCTOBRE 2008
La col�re d�tourn�e
Publié dans Le Soir d'Algérie le 05 - 10 - 2008

Que peut �voquer le 5 Octobre pour un jeune qui, � l��poque, avait 16 ans ? Lorsqu�on pose la question � Sofiane, il r�pond que, de cette journ�e, il ne garde pas beaucoup de souvenirs. Lyc�en sans probl�mes au Lyc�e El-Mokrani d�El-Biar, il s�est r�veill� le 6 octobre � une r�alit� qu�il appr�hendait difficilement � l��poque.
Nawal Im�s - Alger (Le Soir) - Ses parents parlaient de r�volte, de saccage, de sc�nes de violence et il �tait curieux de comprendre ce qui se passait. A El-Biar, le quartier o� il r�sidait, il a d�couvert pour la premi�re fois des chars et des militaires. Post�s dehors, ces militaires ont frapp� l�imaginaire de l�adolescent. Il semblait enfin mesurer l�ampleur de ce qui �tait en train de se passer. Passant outre l�interdiction de sortir, il a sillonn� son quartier et s�est m�me �aventur� � Ben Aknoun. Devant son lyc�e, il a rencontr� des amis qui ne comprenaient pas qu�il puisse ne pas se sentir concern� par ce qui se passait. Non, r�pond-il, je me sentais concern� mais d�pass�. Tant de violence de part et d�autre l�a d�stabilis�. Les r�cits que lui font ses amis le laissent sans voix. Des jeunes ont pill�, br�l�. Des policiers leur ont tir� dessus. Sofiane est r�volt�. Il comprend la haine que peuvent ressentir des jeunes envers les symboles de l�Etat. Sous son air BCBG, il a, lui aussi, beaucoup de griefs contre �le pouvoir�. Ayant appris que ses camarades ont d�cid� de descendre � Bab-el-Oued, fief de la contestation, il d�cide de ne pas rester en marge d�un �v�nement qui, visiblement, allait faire basculer l�Alg�rie. Dans ce quartier mythique, il constate l�ampleur des d�g�ts. La vision est apocalyptique : des magasins sont br�l�s, des d�bris de verre jonchent le sol. Un vrai d�cor de guerre. Sofiane qui comprend que �les choses ne seront plus jamais pareilles� rentre chez lui sans avoir particip� � aucune manifestation. Se consid�re-t-il pour autant comme quelqu�un qui a v�cu ces �v�nements ? Sans h�sitation, il r�pond par l�affirmative. �Le 5 Octobre, ce n�est pas juste le fait d�avoir cass� un Monoprix ou un Souk-el-Fellah. C�est plus que �a. C�est un �tat d�esprit. C�est l�espoir que les choses changent. C�est la certitude que plus rien ne sera pareil. Lorsqu�on a 16 ans, on croit au changement. On croit aux r�volutions. Moi, j�ai vraiment cru que cette r�volte allait changer l�Alg�rie�, dit-il. Vingt ann�es plus tard, que reste-t-il de toutes ses croyances ? �Evapor�es !� r�pond-il d�sabus�. Sofiane, qui a suivi des �tudes en commerce, est aujourd�hui cadre dans une multinationale. Mari� et financi�rement � l�aise, il garde un arri�re-go�t d�amertume lorsqu�il parle des �v�nements du 5 Octobre 1988. Il pense que, finalement, les choses n�ont pas tellement chang� et que la col�re des jeunes a finalement �t� d�tourn�e. La d�mocratie ? Avec un rictus, il r�pond �mais de quelle d�mocratie parlez-vous ? Avec des �lections truqu�es, des �lecteurs qui boudent les urnes et pour couronner le tout un pr�sident qui veut modifier la Constitution pour briguer un troisi�me mandat, nous nageons en plein d�lire. C�est une mascarade dans laquelle chacun est tenu de jouer un r�le�. Le 5 Octobre, une �r�volution� pour rien ? C�est visiblement ce que pense Sofiane, un adolescent qui a bien m�ri mais qui, surtout avec du recul, jette un regard pas du tout optimiste sur l�avenir.
N. I.

FUSILLADE AU NIVEAU DE LA DGSN
La responsabilit� des islamistes ?
10 Octobre 88. La capitale est en pleine �bullition. Les �meutes durent depuis cinq jours. Les islamistes, jusque-l� totalement en marge de la �r�volte�, tentent de r�cup�rer le mouvement. Ils appellent � une marche sur Babel- Oued. Place Ouanouri- Mohamed, � quelques m�tres de la DGSN, tirs de feu. Panique g�n�rale. Parmi les victimes, un r�dacteur de presse. Sid Ali Benmechiche, journaliste � l�APS (Alg�rie presse service), tu� par une balle perdue. Il est 14h30min. La marche � laquelle ont appel� les activistes islamistes, � leur t�te Ali Benhadj, a d�marr� depuis la mosqu�e de Ruisseau (les Annassers). Objectif : r�cup�rer le mouvement de r�volte des jeunes et se placer en alternative. Selon des t�moignages, il n� y a pas eu d�unanimit� entre les dirigeants islamistes quant � �l�opportunit� et la n�cessit� d�organiser une marche sur Bab-el-Oued.� �Cheikh Sahnouni de la Rabita avait signifi� aux organisateurs son refus de prendre part � la manifestation tout en les invitant � proc�der � son annulation�, souligne-t-on. Refus cat�gorique des radicaux. La manifestation est maintenue. Le mot d�ordre a fait le tour de la capitale depuis l�aube. Des appels ont �t� lanc�s dans plusieurs mosqu�es de la capitale, notamment celles des quartiers populaires. La manifestation a �t� entam�e apr�s la pri�re du Dohr. Destination : la mosqu�e Sunna de Bab-el-Oued. Les activistes islamistes ne veulent pas rater l�occasion. Ils veulent cr�er l��v�nement en ce cinqui�me jour des �meutes d�Octobre 88. Il est 14h45min. Les manifestants se trouvent � la sortie de la place des Martyrs. Dans quelques minutes, ils vont longer le boulevard Ben- Boula�d. Le si�ge de la DGSN constitue un passage oblig�. Celui-ci se trouve au niveau de la place Ouanouri-Mohamed, � quelques encablures du lyc�e Emir-Abdelkader. Le si�ge de la S�ret� nationale est quadrill� par l�arm�e. La tension monte d�un cran. Soudain, un coup de feu. Une premi�re balle, et une fusillade �clate. Le feu est partout. La panique est g�n�rale. Les premi�res victimes sont � terre. Parmi elles, un journaliste. Il s�agit de Sid Ali Benmechiche, exer�ant � l�APS. Le reporter en charge de couvrir la manifestation se trouvait en t�te de la manifestation depuis son d�but. Une balle perdue l�atteint mortellement. Selon des sources, ils sont au moins cinq personnes � avoir trouv� la mort lors de cette fusillade. Les bless�s, quant � eux, se comptent par dizaines. Les islamistes en tirent les dividendes. Ils se pr�sentent en victimes. C�est le d�but de la r�cup�ration du mouvement d�Octobre. Moins d�une ann�e, le parti dissous voit le jour. Vingt ann�es apr�s, certains habitants du quartier, rencontr�s sur les lieux, se rappellent cette triste journ�e. �On ne s�attendait pas � cette trag�die. C�est � cet endroit o� est tomb� le journaliste. Au d�part, on croyait qu�il s�agissait d�un journaliste �tranger.� Les journalistes �trangers, faut-il le rappeler, �taient nombreux � faire le d�placement � Alger pour couvrir la r�volte d�Octobre 1988. Le journaliste alg�rien n�a pas �t� identifi� sur place. On ne connaissait pas son nom. Ce n�est que quelques heures plus tard qu�on a r�ussi � identifier la victime. Ceci �tant, dans les conclusions d�un rapport publi� le 19 novembre 1988, la Ligue alg�rienne pour la d�fense des droits de l�homme (LADDH) a rappel� aux autorit�s judiciaires �le droit des familles des personnes d�c�d�es de mort violente de faire proc�der aux autopsies des corps�. �La famille du journaliste de l�APS, Sid-Ali Benmechiche, a fait une demande en ce sens et n�a pu l�obtenir malgr� les assurances de plusieurs hauts responsables, dont au moins deux ministres�, rappelle l�auteur et journaliste Abed Charef dans Alg�rie 88, un chahut de gamins ?
Abder Bettache

LES JEUNES ET LES �V�NEMENTS D�OCTOBRE 1988
Une date symbole en voie de disparition de la m�moire collective
Ils ont entre 18 et 24 ans. Lyc�ens, �tudiants � l�universit� ou ch�meurs, ils parlent des �v�nements du 5 Octobre 1988. Il y a vingt ans, certains n��taient pas encore n�s. D�autres trop jeunes pour s�en souvenir. Mais que savent-ils r�ellement de ces manifestations ? Que repr�sente cette date pour eux ? Que leur a-t-on racont� ? De simples questions que nous leur avons pos�es, histoire de savoir, si 20 ans apr�s les tragiques �v�nements les jeunes continuent de perp�tuer le souvenir de la �m�morable� r�volte de leurs a�n�s.
Lotfi M�rad - Alger (Le Soir) - �Je sais surtout que cette ann�e-l� (1988), il y avait des probl�mes entre les politiques et le peuple et qui ont conduit � un soul�vement populaire et des �meutes�, r�pond innocemment Amina. Hormis cette laconique phrase, cette lyc�enne avoue ne rien conna�tre de cette date en d�pit �des explications de mon p�re o� il nous arrive d�en d�battre en famille�. Souvent, c�est un documentaire sur l�Alg�rie diffus� sur une cha�ne de t�l�vision �trang�re qui provoque le d�bat �interg�n�rationnel� dans cette famille d�intellectuels. Mais le d�bat reste confin� dans les murs du salon de la maison familiale puisque reconna�t Amina �les �v�nements d�Octobre 1988 ne constituent nullement le sujet de mes discussions avec mes amies ou camarades de classe�. Un aveu que confirment sans �quivoque la plupart de ses cong�n�res. Hamid, Mourad, Riad et Salim sont tous d�accord pour dire que �l�am�re r�alit� de notre v�cu ne nous laisse pas le temps de parler histoire encore moins de politique�. Ces jeunes d�un quartier populaire d�Alger se retrouvent souvent pour palabrer. De tout et de rien et �ni dans ce tout encore moins dans ce rien, la politique trouve une place�, tranche Hamid, l�a�n� de la groupie, un ch�meur d�pit�. Force est de constater malheureusement qu�un foss� de plus en plus profond se creuse entre la g�n�ration 1988 et celle des ann�es 2000. Et � la terrible quinzaine noire de terrorisme, s�ajoute le r�le de d�sinformation des m�dias lourds plus particuli�rement l�unique cha�ne de t�l�vision publique. Celle-ci se contente d��voquer succinctement cette page de l�histoire r�cente de l�Alg�rie, vraisemblablement par acquit de conscience envers les centaines de victimes tomb�es lors de ces tragiques �v�nements. Rel�gu�s sciemment dans l�oubli. Vingt ans plus tard, l�ENTV et par ricochet le pouvoir continuent de tourner le dos � tous les �v�nements qui remettent en cause la l�gitimit� d�un r�gime ou qui marquent l��chec d�une politique gouvernementale. Une strat�gie qui semble fonctionner parfaitement puisque le souvenir d�Octobre 1988 tombe dans l�oubli chaque ann�e un peu plus. Les jeunes, aujourd�hui, ne savent pratiquement rien de ces tragiques �v�nements et Amina, Hamid, Mourad, Riad et Salim illustrent parfaitement cet �tat de fait au demeurant pr�judiciable � la m�moire collective. Mais la machine ne semble pas fonctionner, et heureusement d�ailleurs, avec d�autres jeunes. Karim avait quatre ans au moment des faits. �L�image d�une foule d�cha�n�e qui pillait les magasins des Galeries alg�riennes � El- Harrach est rest�e grav�e dans ma m�moire�, t�moigne-t-il d�embl�e. C�est cette m�me image que nous retrouverons dans toutes les villes d�Alg�rie lors des manifestations. Avec le recul �je compris que le peuple avait faim�, note ce dipl�m� en informatique de gestion employ� dans une entreprise priv�e.
�Continuit� d�un r�gime�
Si pour certains, Octobre 1988 a marqu� une nouvelle �tape au plan politique, �conomique et social de l�Alg�rie, Karim, lui, refuse d�adh�rer � cette th�orie et surtout de parler d��acquis d�Octobre 1988�. �De quelle ouverture d�mocratique parle-t-on ? A qui veuton faire croire qu�il y a eu apr�s Octobre 1988, un pluralisme politique ?�. Pour lui, ces �v�nements sont un coup mont� par le pouvoir de l��poque. �De pluralisme politique, le pouvoir a cr�� des partis pour identifier les opposants, avoir un �il sur eux et mieux les dompter. Et d�acquis d�mocratique, nous avons un champ audiovisuel toujours ferm� et une kyrielle de quotidiens dits �ind�pendants� qui ne sont l� que pour faire passer les messages propagandistes du pouvoir�, regrette Karim avant d�ajouter : �Les jeunes, eux, ne pensent qu�� fuir le pays car ils ont compris qu�ils ne peuvent pas compter sur l�Etat pour s�en sortir�. R�sultat des courses : marasme social, pauvret�, chert� de la vie, ch�mage et harraga � l�appel. En somme, �tous les ingr�dients sont r�unis pour provoquer un deuxi�me 5 Octobre�, soutient-il. Un avis qu�il partage avec Rachida, sa coll�gue de travail qui pense, elle, que l�Etat continue d�ignorer le peuple et fait semblant de ne pas comprendre les jeunes d�aujourd�hui qui ont �des id�es universelles, sont ouverts sur le monde et veulent tout simplement vivre comme les autres jeunes des autres pays�. Plus fataliste, Karim estime que �les �v�nements d�Octobre ont assur� la continuit� du r�gime�. Il rel�ve n�anmoins que �vingt ans apr�s le 5 Octobre 1988, certains aspects ont chang�. Les d�put�s touchent d�sormais 30 briques et la situation du simple citoyen alg�rien continue d�aller de mal en pis�.
L. M.

BAB-EL-OUED �CHOUHADA�, 20 ANS APR�S
Lifting architectural et des jeunes en proie � la malvie
Le 5 Octobre 1988, alors que rien n�annon�ait l�explosion populaire qui allait se produire, Bab-el-Oued a �t� d�vast� en quelques heures. Aujourd�hui, vingt ans apr�s, �Bab-el-Oued chouhada� n�a pas chang� pour ses habitants. Dans ce quartier populaire, bien qu�il ait pans� ses blessures, les jeunes parlent toujours de mal-vie. Les habitants de ce quartier, surpris par le d�cha�nement populaire, ont v�cu une semaine domin�e par la violence durant laquelle les jeunes et les moins jeunes sont sortis en masse dans la rue. Aujourd�hui, vingt ans apr�s le vent de r�volte qui a souffl� sur ce quartier, � l�instar des autres communes de la capitale, la population n�a rien oubli� de ces journ�es d�sormais ancr�es dans la m�moire collective. Bab-el-Oued, dimanche 28 septembre 2008, en cette matin�e du vingt-huiti�me jour du Ramadan, le march� grouille d�j� de monde. Ici, les activit�s sont immuables, et rien n�a chang� depuis les deux derni�res d�cennies, o� l�activit� commerciale reste importante. Aucune trace de l�explosion populaire de l'�poque, et rares sont les habitants qui en parlent encore. Ce quartier populaire a, semble-t-il, pans� ses blessures. Bab-el-Oued �chouhada� a pourtant �t� encore meurtri et martyris� durant ces derni�res ann�es. D�cennie noire, les inondations de novembre 2001 et le tremblement de terre de 2003. Ces �v�nements dramatiques ont aussi fait que la configuration de cette partie de la capitale a chang�. Ceux qui, � l��poque, �taient de jeunes coll�giens et lyc�ens sont devenus aujourd�hui des hommes et des femmes, grav�s en eux et � jamais les stigmates d�une semaine pas comme les autres. Ceux qu�on a interrog�s se souviennent et insistent pour dire que �c�est comme si c��tait hier�. Pour la plupart d�entre eux, tout a commenc� par des rumeurs qui ont circul� � travers les lyc�es et coll�ges de la capitale, un mois apr�s la fin des grandes vacances de l�ann�e 1988. C'�tait la derni�re ann�e du lyc�e, se rappelle Mohamed, r�sidant dans un quartier limitrophe � Bab- el-Oued. Les pr�paratifs du bac, le dernier virage avant la fac et le r�ve d�un avenir prometteur, cet �l�ve, qui avait brillamment r�ussi son cursus scolaire, �tait la fiert� de toute sa famille. �Je me souviens comme si c'�tait hier, j'avais 17 ans et je fr�quentais le lyc�e Ibn-Khaldoun de Miramar (Ra�s-Hamidou), la veille, l'hebdomadaire Alg�rie Actualit�avait �t� retir� des �tals, l'article �censur� circulait pourtant. Nous �tions jeunes et nous faisions seulement semblant de comprendre le sens et la port�e de l'article critiquant le pouvoir politique et la cause de sa censure�, se rappelle, en souriant, Mohamed. �Nous ne savons pas � ce jour, comment ni � l�initiative de qui, une marche a �t� improvis�e mais cela nous amusait. A chaque tournant, on se disait que les policiers allaient nous intercepter. Sur le chemin qui nous menait � une destination inconnue, la maison de jeunes ��Jeunesse 2000��, situ�e au niveau de la corniche de Ra�s-Hamidou, a �t� le th��tre d�actes de vandalisme et de pillage commis par des jeunes qui se sont m�l�s � la marche�, ajoutera notre interlocuteur. Mohamed nous racontera leur arriv�e � Bab-el-Oued et l'affrontement avec les policiers qui s'en est suivi. Il parlera m�me de �bapt�me du feu�, allusion aux balles tir�es et bombes lacrymog�nes. Ses camarades �voquent aussi les sc�nes de violence et de pillage du Souk-el-Fellah de Malakof, de la SNTA et de la Sonipec de Bab-El-Oued en passant par les Galeries alg�riennes. Vingt ans apr�s, Mohamed, comme bon nombre de ses camarades, a achev� ses �tudes universitaires et fond� un foyer. Pour lui, rien n'a chang� dans le quartier qui a encore connu les m�mes affres et malheurs suscit�s par l'injustice sociale. Il dira, vingt ans apr�s le jour o� il a couru jusqu�� perdre haleine avec des gamins de son �ge dans les rues d�vast�es de Bab-el-Oued, que les jeunes d�aujourd�hui vivent le m�me d�sarroi que celui v�cu par leurs a�n�s. �Les hitistes de l'�poque ont �t� remplac�s par des jeunes d�aujourd�hui�, dira un autre jeune de Bab-el- Oued. Mais Bab-el-Oued n�est plus le m�me, beaucoup de ses habitants sont partis. Certains ont �t� emport�s par les eaux lors des inondations de novembre 2001, d�autres relog�s dans d�autres quartiers suite � l�effondrement des habitations anciennes. Au niveau de la rue Mira, un boulevard a �t� am�nag� sur le front de mer apr�s les inondations. Sur la plage de Ka�- Essour, les familles viennent fl�ner l��t� jusque tard dans la nuit, profitant de la brise marine. Plus haut, la b�tisse du Souk-el-Fellah, premier lieu saccag� dans la nuit du 4 au 5 octobre, abrite un h�tel de police. Plusieurs immeubles ont �t� d�truits au niveau de la rue Rachid-Kouache, remplac�s par des jardins publics. L�ombre des jeunes �r�volt�s� de l��poque planera toujours sur ces lieux. Mohamed et ses camarades de l��poque n�arriveront jamais, confient-ils, � oublier le jeune Aidoudi et les autres fauch�s par les balles sous leurs yeux et Fatah, devenu handicap� moteur, qui vend des cigarettes � la sortie d�un caf�.
F.-Zohra B.

Le 5 Octobre 1988...
au Palais du gouvernement
Le Palais du gouvernement, si�ge de l�ex�cutif gouvernemental depuis l�Ind�pendance, a �t� converti en quartier g�n�ral du parti FLN au d�but de la deuxi�me moiti� de la d�cennie 1980. Toutes les structures bureaucratiques du parti ont �t� regroup�es, � cette �poque, dans cet �difice, certainement pour donner un meilleur ascendant au parti unique qui s�est toujours lament� de la marginalisation dans laquelle il a �t� accul� par le pouvoir administratif. L�installation de l�ex-secr�tariat permanent du parti, organe de direction, dans les locaux du palais, devait �tre un message pour marquer la primaut� du FLN dans un contexte caract�ris� par des luttes internes autour de r�formes politiques et �conomiques que l�Alg�rie s�appr�tait � mettre en �uvre en pleine crise, provoqu�e par l�effondrement des prix du p�trole. Une crise qui a bel et bien montr� que le sort de l�Alg�rie est suspendu � la rente p�troli�re. Ce constat am�re, valable jusqu�� aujourd�hui, n�a malheureusement jamais servi de le�on � nos gouvernants. Alors que les responsables du parti unique s�agitaient autour de la pr�paration du 6e congr�s qui devait se tenir au mois de novembre 1988, les gr�ves, qui n��taient pas autoris�es, �clataient un peu partout. Le malaise �tait � son comble. La SNVI, ex-Sonacome, qui vivait des moments cruciaux, paralys�e par des arr�ts de travail incessants et prolong�s depuis le d�but du mois de septembre, faisait l�objet de palabres interminables entre Alg�riens avides de nouvelles, y compris dans les hautes sph�res de l�ex-parti unique et de l�Etat. La rumeur, qui, en cette �poque, n��tait pas �des paroles en l�air�, constituait un moyen d�information admissible et acceptable. Certes, elle n��chappait pas � la d�formation mais dans une situation totalement opaque, cet �informel� permettait d�assouvir quand m�me, le besoin intense en informations. On entendait, parci par-l�, que �quelque chose� allait se produire sans pour autant r�ussir � �lucider ce qui se passait r�ellement. Toutefois, des signes avant-coureurs annon�aient d�j� que des changements profonds allaient se produire. De plus, faut-il rappeler que le pr�sident Chadli Bendjedid, qui dans un discours prononc� le 19 septembre 1988 s�est manifest� de mani�re tout � fait surprenante en versant de l�huile sur le feu, voulant pourfendre les opposants aux r�formes, a mis en exergue l�incomp�tence et l�irresponsabilit� de certains cercles du pouvoir en les accusant d��tre � l�origine des �maux� dont souffrait l��conomie alg�rienne. Nous sommes le 5 octobre 1988. En cette journ�e automnale magnifique, un soleil radieux brille sur Alger. Il est 14h et quelques minutes pass�es. La stup�faction se lit sur tous les visages des cadres de l�ex-secr�tariat permanent du FLN. L��tonnement est � son comble. Rapidement, l�inqui�tude et l�appr�hension se sont transform�es en effroi. Le Palais du gouvernement est d�j� entour� de milliers de jeunes d�cha�n�s, survolt�s, surchauff�s presque hyst�riques et surtout d�termin�s � faire embraser le si�ge central du parti unique. Ils surgissent de toutes les rues donnant acc�s au palais. Ils sont venus, dit-on, de tous les grands quartiers d�Alger : Bab-El-Oued, El-Biar, Soustara, Bab-El-Djedid, place des Martyrs... Ils sont l�, comme s�ils se sont donn� rendez-vous en ce lieu combien symbolique pour l�Alg�rie des ann�es 1980. En ce jour m�morable du 5 octobre 1988, le Palais du gouvernement est assi�g� par une foule immense et color�e. Les manifestants, qui se comptent par milliers dont l��ge ne d�passe pas la trentaine, ne portent ni banderoles ni pancartes et ne clament ni slogans politiques ni autres formules de contestation ou de revendication. Ils sont l�, dans une ambiance d�effervescence intense, pour saccager, br�ler et injurier le personnel politique de l��poque, responsable � leurs yeux de la faillite du syst�me. Cependant, ils ne v�hiculent pas seulement la col�re et l�exasp�ration, mais � les entendre, leurs clameurs et leurs hurlements ont quelque peu un lien avec les faits de l�actualit�. Certainement, ce jour-l�, ils sont ensemble, ceux qui r�clament le changement et la d�mocratisation et ceux qui veulent tout simplement sortir de leur �tat d�indigence. Les pierres pleuvent sur le palais et sur son entourage. Les v�hicules stationn�s sur le bas de l�esplanade ont commenc� � cramer. Les autres, plac�s un peu plus haut, sont compl�tement caboss�s. Leurs vitres et leurs pare-brises sont bris�s. Quelques jeunes emport�s par leur euphorie ou par leur col�re tentent de p�n�trer � l�int�rieur du palais. Leurs tentatives sont rest�es vaines. Quelques policiers en civil charg�s de la surveillance de l��difice sont compl�tement d�sorient�s. Leurs appels pour obtenir de l�aide sont rest�s apparemment infructueux. Ils tirent en l�air pour dissuader la foule de franchir les limites de l�enceinte officielle. A l�int�rieur du palais, le personnel est �pouvant�, presque affol� et ne sachant plus quoi faire. Le bureau du d�funt Mohamed-Ch�rif Messa�dia, responsable du parti unique � l��poque, est vide. Il a �t� appel�, dit-on, � la Pr�sidence pour une r�union urgente qui dure depuis ce matin. Le reste des membres de l�appareil, hauts responsables du parti, presque tous exministres, sont d�sempar�s, ahuris et constern�s. L�un d�eux, voyant que les services de s�curit� ne r�pondent pas aux multiples �SOS� qui leur sont lanc�s et effray� par le danger qui ne cesse de s�amplifier d�une minute � l�autre, ordonne � l�ensemble du personnel de s�armer de gourdins, de b�tons et de tout autre objet pouvant servir � se d�fendre, pour emp�cher les assaillants de p�n�trer � l�int�rieur du palais. Rares ceux qui acceptent de le faire, sa col�re s�est amplifi�e jusqu�� la vocif�ration d�obsc�nit�s et de grossi�ret�s. Quelques adolescents qui tentent de s�introduire en se faufilant entre les v�hicules sont vite ma�tris�s par certains policiers de garde, aid�s par une partie du personnel, ils sont ensuite attach�s, tabass�s, entass�s les uns sur les autres et enferm�s dans un cagibi situ� juste � l�entr�e. Cette situation troublante et chaotique a dur� plus de trois heures. Il est 17 h et quelques minutes, la foule commence � s�effriter, certains jeunes agissant en groupes continuent toujours � lancer sporadiquement des pierres. Alger la Blanche, survol�e de temps � autre par un h�licopt�re, est toute en fum�e. Les rues sont d�sertes et charg�es de gravats, de d�combres, de d�tritus et de d�bris de toutes sortes. Les v�hicules carbonis�s ne cessent de d�gager une odeur irritante. La r�volte s�est att�nu�e mais des soubresauts dans les quartiers environnants continuent � prolonger l��cho de la �journ�e�. Quelques fonctionnaires, notamment certaines femmes voyant la situation s�apaiser, se sont aventur�s � l�ext�rieur par la petite porte du haut du palais, en s�engouffrant dans certaines ruelles pour esp�rer rejoindre leurs domiciles. A ce moment, l�annonce de l�arriv�e des parachutistes est accueillie avec un immense soulagement, comme une sorte de d�livrance � l�int�rieur du palais. En quelques minutes, les chars se sont positionn�s et ont encercl� tout l��difice. Plus personne n�osait s�exposer aux militaires qui ont r�ussi tr�s rapidement � imposer un silence de morts dans les parages. Une centaine de fonctionnaires de l�appareil central du parti, de peur d��tre agress�s, ont choisi de passer la nuit � l�int�rieur m�me de leurs bureaux. A la tomb�e de la nuit, Alger, d�barrass�e du vacarme de la journ�e, semble retrouver son calme habituelle. La perplexit� et les incertitudes d�un avenir devenu subitement flou, l�impression attristante que �quelque chose� vient de changer et que les temps futurs ne seront plus jamais comme ils �taient, est fortement pr�sente dans les esprits des �fid�les� � l�exparti unique qui s�appr�tent � dormir sur leurs fauteuils compl�tement afflig�s par une journ�e m�morable. Au lendemain du 5 octobre 1988, ce d�luge populaire si impressionnant s�est d�gonfl� rapidement comme pour laisser place � la rh�torique habituelle. Le parti FLN, fortement �branl� mais encore r�solu, tente de minimiser les cons�quences de cet �ouragan� qui, quoiqu�on dise, a r�volutionn� certains principes et pratiques que certains avaient int�r�t � maintenir tels qu�ils avaient �t� consid�r�s des ann�es auparavant. Quelques mois plus tard, le parti FLN, affaibli par les �v�nements d�Octobre et rendu injustement responsable de l��chec du syst�me, il est d�log� du Palais du gouvernement et vid� de ses cadres et de son personnel. C�est la fin d�une p�riode qui a d�but� juste apr�s 1962 et le d�but d�une autre, pour un parti politique, qui bien que malmen� � plusieurs reprises au cours de son histoire, il est toujours parvenu � r�sister et � survivre aux �chocs violents� qui ont secou� parfois assez fortement le syst�me politique alg�rien. Cependant, apr�s avoir annonc� pompeusement sa r�novation d�s 1990, le FLN s�est recroquevill� sur lui-m�me pendant toute une d�cennie avant de se r�veiller � partir de 1999 mais sans pour autant se d�barrasser de son archa�sme d�avant- 1988 et de ses pratiques d�su�tes donnant tout � fait raison au politologue fran�ais Maurice Duverger qui disaient que �comme tous groupes humains, les partis sont conservateurs, ils ne changent pas facilement leurs structures m�me si l��volution les y pousse�. N�ayant jamais accept� de tirer les le�ons de son pass�, de faire son �mea-culpa� et de se moderniser, pourtant, dans l�int�r�t de tout un pays, le parti FLN, toujours r�calcitrant et coriace, continue aujourd�hui comme hier � couver l�autoritarisme combien d�sastreux d�un syst�me vou� � la faillite.
Abdelkader Larbi

BAB-EL-OUED SE SOUVIENT TOUJOURS DE LUI
Il �tait une fois Noureddine �Ras Kabous�
Parler des �v�nements d�Octobre 88 � Bab-el-Oued et ne pas �voquer Noureddine Khallout connu sous �Ras Kabous� (t�te de pistolet), c�est en occulter une partie importante. Le personnage n�est plus de ce monde. Il est d�c�d� en 2003, emportant avec lui sa souffrance.
Abder Bettache - Alger (Le Soir) - Que ce soit � la place des Trois-Horloges, � la Bazetta (Sa�d-Touati) ou au boulevard Abderrahmane-Mira, �Noureddine Ras Kabous� reste une l�gende dans la m�moire de �ouled� Bab-el-Oued. Dans ce quartier populaire de la capitale, son nom revient chaque ann�e lors de la comm�moration des �v�nements d�Octobre. Aujourd�hui disparu, vingt ans apr�s, le nom de �Ras Kabous� est �troitement li� aux tragiques �v�nements d�Octobre 88. Victime de ces faits, il n�a cess� de son vivant de revendiquer r�paration. Le personnage, tr�s connu dans l�Alg�rois, �tait port� comme �tant mort sous la torture qu�il a subie de la mani�re la plus barbare. Depuis, il n�avait cess� de l�affirmer publiquement, qu�il ne peut plus avoir de rapports sexuels avec sa femme, qu�il ne peut plus conna�tre de plaisir. �Son souffle lui a �t� coup�, t�moigne-t-on. Fervent supporter de l�USM Alger, �Ras Kabous� avait tourn� le dos depuis quelques ann�es aux erreurs de sa jeunesse. Une ann�e avant l��clatement des �v�nements d�Octobre, il trouve un boulot au sein de la soci�t� �Copemat� comme m�canicien. Le tournant de sa vie ? C��tait en octobre 1988, lorsqu�il avait �t� �identifi� par les �meutiers. Son tort ? �Les policiers sont venus directement chez moi pour avoir �t� un ancien repris de justice�. Selon des t�moignages, �c�est suite au vol d�un pistolet au commissariat de Bab-el-Oued, que Ras Kabous avait d�ailleurs restitu�, qu�il a �t� port� sur la liste des personnes cibl�es�. �D�s qu'on m'avait pris de chez moi, on a tout de suite commenc� � me tabasser sans m�me me parler. J'ai vu toutes les tortures possibles et inimaginables.� G�n�, Noureddine racontait difficilement son histoire.�On m'a compl�tement d�v�tu. On m'a fait le coup de l'�chelle. On m'a saucissonn� sur un banc et maintenu aussi par des menottes aux pieds. Mes tortionnaires ne cessaient de me viser le sexe par leurs coups. Ils ont atteint ma dignit�. On m'a fait asseoir sur des bouteilles. Ils m'ont enfonc� leurs matraques. On m'a castr�, racontait-il les vingt jours de tortures subies. Sa disparition avait fait le tour de Bab-el-Oued en particulier et d�Alger en g�n�ral. Le 3 novembre 88, il est remis � sa famille la nuit. Une fois chez lui, il est comme un �ancien moudjahid�. �J'avais re�u beaucoup de visites dont celle de TF1. Les policiers qui m'ont tortur� furent r�voqu�s. A l'h�pital, des personnalit�s sont venues me voir dont l'ancien ministre de l�Int�rieur Lakhdiri. Ils m'ont tous promis qu'ils m'aideraient et que je devais consid�rer ce qui s'�tait pass� comme un accident et que rien ne me manquerait. Mais aujourd'hui je reste toujours dans la m�me situation de mis�re, oubli�. Ce qui me fait mal au c�ur, c'est qu'on a inscrit mes s�vices au registre de l'accident de travail. Mes allocations, je ne les per�ois pas comme victime d'Octobre ! J'aurais pr�f�r� qu'ils me tuent, m'enl�vent un bras, un pied ou me paralysent, mais pas me castrer. Je tra�ne de d�pressions en crises. Avec tout ce que j'ai subi, je ne reste qu'un pauvre mis�rable. Et pourtant, je ne demande qu'un toit et du travail pour faire vivre ma famille.� Ne faisant plus partie de ce monde, Noureddine �Ras Kabous� a laiss� derri�re lui une femme et une fille adoptive. La famille Khallout r�side toujours dans un taudis � A�n Benian.
A. B.

ANOUAR BENMALEK PARLE D�OCTOBRE 1988
�Une sombre magouille d�apprentis sorciers incomp�tents�
Octobre 1988, c�est d�j� si loin, vingt ans. Chez nombreux, il ne subsiste qu�en vagues r�miniscences, parfois en rien qu�une sorte de brusque et filante rupture dans l�univers lin�aire d�alors. Anouar Benmalek, math�maticien, nouvelliste et �crivain, s�interdit, lui, de se complaire dans une attitude d�tach�e. On comprend, chez lui, cet �ent�tement� � revisiter constamment ce douloureux �pisode de l�histoire contemporaine. �Octobre 1988 m�a fait acc�der � l��ge adulte politique�, avoue-t-il. Nul doute. Anouar Benmalek, contrairement � d�autres, ne s�est pas content� de lire en intellectuel la trag�die d�octobre 1988. Il a �t� acteur engag�, tant la r�pression et la torture le rebutaient au plus haut point. Avec quelques camarades, il a fond� le Comit� national contre la torture qu�il a anim� en tant que secr�taire g�n�ral jusqu�en 1991. Il a �norm�ment �crit. Dans la presse et dans des tribunes libres. Inlassablement, il a lutt� pour que justice soit faite. Il ne l�che toujours pas prise. On le d�couvre aussi lucide qu�il l��tait au moment des �v�nements, aussi jaloux de sa cause et aussi engag�.
Entretien r�alis� par Sofiane A�t Iflis
Le Soir d�Alg�rie : Octobre 1988, c'�tait le soul�vement populaire. C'�tait �galement la r�pression f�roce dont le pouvoir avait abus� pour r�tablir l'ordre. Vingt ans apr�s, quelle appr�ciation faites-vous de ces �v�nements qui ont marqu� un tournant dans l'histoire contemporaine du pays ?
Anouar Benmalek : Pendant longtemps encore, s�affronteront en Alg�rie les tenants de la cr�ation ex nihilo des �meutes d�Octobre 1988 et de leur manipulation par de sombres officines du pouvoir et ceux, moins nombreux il est vrai, de l�explosion populaire spontan�e engendr�e uniquement par la grave d�t�rioration des conditions �conomiques et sociales que connaissait l�Alg�rie � cette �poque de chute des cours du p�trole, de p�nuries r�currentes des produits de premi�re n�cessit�, de totale incomp�tence de l�administration et de la provocation insupportable que constituaient la corruption et la pr�dation ostensible des richesses du pays par les membres de la caste dirigeante et de ses satellites. Je ne trancherais pas entre les uns et les autres � l�aide, par exemple, d�arguments historiques nouveaux ou de t�moignages in�dits (ou, mieux, d�aveux�) d�acteurs du pouvoir alors en place. Je pencherais plut�t pour une synth�se des deux explications. D�abord, un complot m�diocre de certains clans du pouvoir en vue de cr�er une agitation dans le pays destin�e � dire au clan oppos� : �Attention, je vais te montrer une partie de ma capacit� de nuisance si tu refuses d�accorder, � moi et � ceux que je repr�sente, la part qui me revient de droit dans la nouvelle redistribution de la rente, tant symbolique que financi�re, que tu te permets d�envisager sans mon accord !� Ensuite, des �meutes cens�es n��tre qu�un moyen de pression et, donc, suppos�es �contr�l�es et contr�lables�, qui �chappent brusquement � leurs instigateurs et deviennent un moyen d�expression in�dit et violent des frustrations et des aspirations d�une bonne partie de la jeunesse alg�rienne, prise au pi�ge d�un syst�me en bout de course qui ne lui offre plus comme perspective d�avenir que d�sespoir et ch�mage, cela sans que, paradoxalement, cette m�me jeunesse ne manifeste de demandes explicites de plus de d�mocratie politique et, encore moins, d�instauration du multipartisme ! En r�sum�, pour faire simple : une sombre magouille d�apprentis sorciers incomp�tents et incendiaires, d�bouchant sur un embrasement d�une partie de la jeunesse et, accessoirement et bien involontairement, sur la mise en selle du mouvement islamiste ! J�avais suivi les �meutes pratiquement de bout en bout, comme citoyen et comme chroniqueur d�un hebdomadaire. Je me rappelle tr�s bien cette sensation tr�s forte d�assister en direct � un coup mont� en train d��chapper � ses instigateurs : cette rumeur annon�ant les manifestations plusieurs jours � l�avance ; ces policiers suivant de loin les manifestants comme s�ils avaient re�u l�ordre de n�intervenir en aucun cas, quelles que soient les d�pr�dations commises ; ces myst�rieux occupants de voitures noires dont parlait tout le monde et qui auraient encourag� les �meutiers, d�signant m�me les �tablissements publics � br�ler ; la brusque mont�e de la tension et l�intervention, comme un coup de tonnerre, de l�arm�e et des services de police avec l�utilisation, sans limites, de tous les moyens de r�pression : tirs � vue, emprisonnement de jeunes Alg�riens par milliers, utilisation sur une large �chelle de la torture comme aux pires moments de la bataille d�Alger� J�ai eu � discuter, pour le besoin d�un article, avec des responsables de diff�rentes institutions s�curitaires accus�es d�avoir pratiqu� la torture contre les manifestants d�Octobre 1988. Chacun de ces responsables s��chinait, dans un m�me mouvement, � disculper le corps ou l�institution dont il d�pendait et � insinuer lourdement que c��tait l�autre corps ou l�autre institution, per�ue comme rivale ou dirig�e par un autre clan, qui �tait responsable de ces graves atteintes � l�int�grit� physique de citoyens alg�riens�
La r�volte juv�nile d'alors peut-elle �tre comprise comme une r�volution aboutie ?
Le pouvoir alg�rien a fait preuve, depuis les �meutes d�Octobre 1988, de sa capacit� extraordinaire � survivre � tous les coups du sort. De ce point de vue, malheureusement, la r�volte des jeunes d�sesp�r�s d�Octobre n�a pas apport� de changements structurels fondamentaux dans la mani�re dont ce pays est g�r� depuis son ind�pendance. A part l�existence, largement nominale, de partis d�opposition, le personnel politique n�a pas vraiment chang�, ni dans ses r�flexes profonds de m�pris du peuple, ni dans l�all�geance habituelle qu�il doit montrer aux v�ritables ma�tres de l�Alg�rie, je veux parler d�une poign�e de chefs de l�arm�e. Une des caract�ristiques les plus extraordinaires du pouvoir alg�rien (la seule, peut-�tre, port�e � ce point d�excellence) est sa capacit� � corrompre tous ceux qui, � un moment ou un autre, ne se trouvent pas loin de sa sph�re d�influence. Un peu � l�instar d�un trou noir dans l�espace qui avale irr�m�diablement tout astre passant dans son voisinage� Regardez un peu notre Assembl�e nationale, cens�e repr�senter l��chiquier politique national, de son extr�me gauche � sa droite islamiste conservatrice. Avez-vous d�j� entendu parler d�affrontements politiques fondamentaux dans cette enceinte ? Comment cela se fait-il que tous ces hommes et ces femmes, si diff�rents dans leurs id�ologies, soient, au fond, toujours d�accord pour avaliser sans rechigner les projets de loi qu�on leur soumet ? Avez-vous d�j� entendu parler d�un texte important (par exemple, celui ayant trait � la limitation scandaleuse de la libert� de croyance religieuse, pourtant garantie par la Constitution) propos� par le gouvernement qui aurait �t� rejet�, ou simplement combattu avec acharnement par une partie de cet h�micycle, au point de le clamer clairement et sans ambigu�t� dans les m�dias et de refuser de le voter ? En quoi cette Assembl�e soi-disant �multipartisane � diff�re-t-elle de l�ancienne Assembl�e b�nioui- oui du parti unique ? Il faut croire, malheureusement, que les pr�bendes financi�res et politiques distribu�es g�n�reusement par le pouvoir en place suffisent � anesth�sier largement la conscience des repr�sentants du peuple. Les morts et les supplici�s d�Octobre n�ont pas r�ussi � changer la donne fondamentale qui pr�vaut dans notre pays, comme, h�las, dans tous les autres pays dits fr�res : immuable dans sa substance depuis des d�cennies, le pouvoir dirige, le peuple subit et l�opposition dite officielle, domestiqu�e et servile, applaudit � tout rompre.
La torture la plus abjecte a �t� pratiqu�e � grande �chelle. Vous avez eu, en tant qu'animateur du Comit� national contre la torture, � entendre des t�moignages poignants des victimes.
Une des grandes �preuves de ma vie a �t� de participer, comme les autres militants du Comit� national contre la torture, � la collecte des t�moignages des tortur�s d�Octobre 1988. Pour moi, jusqu�alors, le mot torture faisait d�abord r�f�rence � celle pratiqu�e par les militaires fran�ais sur les maquisards alg�riens pendant la guerre d�ind�pendance. J�avais, certes, lu les t�moignages insupportables des tortur�s d�El-Harrach, supplici�s en 1965 par les forces de s�curit� alg�riennes apr�s le coup d�Etat du colonel Boumediene. Comme bon nombre de mes concitoyens, j�avais pr�f�r� choisir l�explication rassurante d�un �accident � de notre histoire nationale, abominable mais limit�. Je me trompais �videmment, mais je ne savais pas encore � quel point ! Octobre 1988 (et la suite�) a r�v�l� que la torture et les mauvais traitements physiques demeuraient, pour une bonne partie du r�gime alg�rien, un r�flexe irr�pressible et l�outil privil�gi� de �gestion� de la diff�rence et de la dissidence politiques. Le Cahier noir d�Octobre, publi� en Alg�rie en 1989, recense les abominations commises par l�arm�e et la police � l�encontre de la jeunesse de son propre pays. C�est un long catalogue du calvaire v�cu par les jeunes �meutiers, allant de la baignoire et de l��lectricit� au viol et � la castration par le biais du tiroir referm� violemment sur le sexe. C�est un document important � double titre : contre l�oubli de la parole des victimes, et contre l�oubli des crimes des tortionnaires. Dans un pays comme le n�tre, les crimes dont on ne se souvient pas sont ceux-l� qui se r�p�tent ! C�est pour cela que j�ai pris l�initiative de �republier � sur Internet ce Cahier noir d�Octobre et ses t�moignages d�chirants sur l�ignominie qui a, durant ces journ�es de 1988, profond�ment avili le visage de notre pays. L�avenir d�une nation ne se construit pas sur le d�ni du pass�. L�amn�sie volontaire (synonyme, chez nous, du mot amnistie) consiste � ignorer dangereusement la profondeur de la blessure du corps social. Celle-ci, trait�e par l�humiliation de l�oubli impos�, finit in�vitablement par s�envenimer et se transformer en une gangr�ne funeste.
Il n'y a eu, � notre connaissance, aucune poursuite engag�e, encore moins de proc�s contre les auteurs de ces tortures. Comment expliquez-vous cela ?
Une suite de petits textes vot�s � la sauvette par un parlement aux ordres a abouti, assez rapidement apr�s Octobre 1988, � un m�lange d�amnistie de jure et de facto. Le r�sultat, en termes pratiques, aboutit, d�une part, � ce qu�aucun tortionnaire officiel ne puisse �tre poursuivi pour ses crimes ; et, d�autre part, � ce que les victimes d�Octobre, quand elles r�ussissent � faire reconna�tre par l�Etat alg�rien la r�alit� du pr�judice subi, sont indemnis�es (et bien chichement) comme accident�s du travail ! Vous avez bien lu : accident�s du travail� Les victimes, dont certaines sont mutil�es � vie, ressentent �videmment bien douloureusement l�ironie cruelle de cette cat�gorisation administrative : accident�s� du travail des forces de s�curit� !
Vous avez eu � prendre la parole publiquement et � �crire �norm�ment. Mais cet engagement actif est demeur� quasi solitaire. Ils n'�taient pas nombreux, les intellectuels, � user des instruments qui sont les leurs pour d�noncer la torture. Avaient-ils peur ou ne prenaient- ils pas seulement conscience de l'�tendue du drame ?
Ils n�ont pas �t� rares, pourtant, les Alg�riens et les Alg�riennes qui se sont �lev�s en leur temps contre la torture et les atteintes contre les droits de l�homme et de la libert� en Alg�rie. Un certain nombre d�entre eux l�ont m�me pay� de leur vie. A ceux-l�, on ne rendra jamais assez hommage.
De tout temps, on a soutenu un peu trop l�g�rement en Alg�rie que les intellectuels, les journalistes et les artistes ne remplissaient pas leur devoir envers leur nation, alors que tant d�entre eux ont �t� assassin�s, ces derni�res ann�es, dans une relative indiff�rence, parfois dans des conditions �pouvantables, pour des id�es qu�ils pensaient justes et porteuses de progr�s social. Le drame est que la plupart d�entre eux ne sont m�me pas consid�r�s par le peuple pour lequel ils se sont sacrifi�s comme des martyrs de la d�mocratie ou des h�ros � �riger en exemple de probit� et de courage civique � la jeunesse alg�rienne tellement en mal de rep�re !
Qu'a-t-il manqu�, selon vous, � Octobre 1988 pour v�ritablement r�volutionner les m�urs politiques en Alg�rie ?
Notre pays fait partie d�une aire civilisationnelle pour laquelle les id�es de d�mocratie politique, d�alternance pacifique au sommet de l�Etat, de tol�rance et d�acceptation des minorit�s, politiques ou autres, sont, au fond, des concepts radicalement nouveaux. Le monde arabe, historiquement, consid�re avec fatalit� (et, disons-le tout net, avec une certaine complaisance dans la r�signation) que le chef est, par d�finition, celui qui d�tient la force, que d�tenir la force donne le droit d�en abuser, et que le seul moyen de changer de chef est l�usage de la violence et non les moyens pacifiques de l��lection d�mocratiquement contr�l�e. De l�, une cons�quence n�faste, et, � peu pr�s accept�e jusqu�� pr�sent par la soci�t� arabe : le chef se voit presque en calife disposant de tous les droits quasi divins que lui procure le contr�le des organes de coercition de l�arm�e et de la police, en particulier celui de se maintenir le plus longtemps possible au pouvoir par tous les moyens l�gaux ou ill�gaux ! En r�alit�, il n�y a plus d�ill�galit� stricto sensu puisque le chef d�finit lui-m�me le contenu de la l�galit� ! Chez nous, par exemple, les fraudes �lectorales ne suscitent pas l�indignation massive qu�elles devraient provoquer. Il semble presque aller de soi que l�administration ne puisse se pr�valoir de la neutralit� pr�vue par la Constitution pendant les �lections, mais soit oblig�e de se mettre au service des basses besognes du pouvoir en place. Cela ne choque pas autant que cela devrait. Dans le monde arabe, nous avons, pour parler un peu brutalement, les pouvoirs politiques que nous m�ritons ! C�est cela qui, � mon sens, explique qu�Octobre 1988 n�ait pas suffi pour changer de r�gime : manquait l�essentiel, c�est-�-dire une envie irr�sistible de plus de d�mocratie par la majorit� du peuple alors que seule une minorit� d�sirait ardemment cette d�mocratie et se battait pour elle. C�est un constat amer, je le reconnais, mais que la suite des �v�nements (comme la fascination d�un pan entier de notre soci�t� pour les m�thodes autoritaires des partis islamistes) semble conforter.
Vous demeurez, vingt ans apr�s, marqu� par les �v�nements d'Octobre 1988. Vous n'avez pas, si l'on peut dire, tourn� la page. Ce pass� fait partie de votre pr�sent. Vous portez toujours un regard lucide mais surtout critique. Est-ce � dire que vous saisissez dans le v�cu alg�rien pr�sent quelques ingr�dients qui ont fait �clore Octobre 1988 ?
D�une mani�re tr�s brutale, Octobre 1988 m�a fait acc�der � l��ge adulte politique, je veux dire par l� que j�ai compris une fois pour toutes que nous ne pouvions plus rien attendre du r�gime pervers qui dirigeait l�Alg�rie et que c��tait � nous, citoyens ordinaires, d�agir pour changer, ne serait-ce que de tr�s peu, la lamentable situation de handicap�s civiques qui �tait notre lot en tant qu�Alg�riens. L�exemple des jeunes tortur�s qui avaient accept� de t�moigner � visage d�couvert contre leurs tortionnaires m�a permis �galement de d�passer un peu la peur paralysante que j��prouvais alors, comme tout un chacun, devant les organismes de s�curit� de notre pays, si redout�s parce que trop souvent au service du pouvoir au lieu de l��tre � celui du pays. Ce pass�, ainsi que les terribles ann�es de terrorisme qui ont suivi, fait partie, �videmment, de mon pr�sent d�intellectuel et d��crivain. Ces �v�nements si douloureux irriguent, d�une mani�re profonde, pratiquement tous mes livres et l�ensemble de ma r�flexion.
S. A. I.

ENTRETIEN AVEC ME SALAH HANNOUN, AVOCAT, D�FENSEUR DES DROITS DE L�HOMME
�La justice alg�rienne n��tait pas en mesure d�engager de r�elles poursuites judiciaires�
Le 5 Octobre 2008. Date historique qui fait revivre la m�moire sur des �v�nements tragiques et douloureux v�cus par les Alg�riens, � la suite d�une explosion sociale sans pr�c�dent. Vingt ans apr�s Octobre 1988, la plaie est encore ouverte. Toute la lumi�re n�est pas encore faite au sujet des morts, des disparus, des bless�s et des tortur�s de cette trag�die. L�impunit� est la r�gle adopt�e par le pouvoir politique et juridique sur ces �v�nements. Faisant de ce dossier son cheval de bataille � l��poque, la Ligue alg�rienne des droits de l�homme a constitu� une commission d�enqu�te sur les atteintes aux droits de l�homme. Mais h�las, force est de constater que la crise �tait beaucoup plus importante pour que la justice ouvre ses portes aux enqu�teurs. Mis � part quelques proc�s qui se sont d�roul�s � Annaba et A�n-Defla et d�autres r�gions du pays, o� des peines d�emprisonnement ont �t� prononc�es contre des �meutiers, le verrouillage a �t� toutefois total pour ce qui est de la condamnation des �l�ments des forces de l�ordre, responsables de la torture. L�avocat Hocine Zahouane d�non�ait d�j�, � l�epoque, la �d�rive de la justice�. 721 personnes ont �t�, en effet, jug�es par des tribunaux de flagrant d�lit. Des verdicts �taient vivement rejet�s par la soci�t� et les instances de d�fense des droits de l�homme. Malgr� toutes ces protestations, le ministre de la Justice de l��poque, M. Mohamed- Cherif Kharroubi, avait d�clar� que les pr�venus ont �t� jug�s �selon la proc�dure l�gale normale, mais toujours en s�ances sp�ciales�, en raison du �nombre de d�tenus et du climat qui imposait qu'on fasse vite�. A la veille du 34e anniversaire du 1er Novembre 1954, le m�me ministre d�cida de remettre en libert� provisoire toutes les personnes arr�t�es pendant les �meutes. Et c�est ainsi que le dossier fut d�finitivement clos, au niveau de la justice. Vingt ans plus tard, nous apportons, dans cet entretien, le regard d�un jeune avocat, �tudiant en droit en 1988, dont le chemin emprunt� s�est inscrit dans les valeurs de la justice sociale, pr�n�e par les r�volt�s d�Octobre 88, dont il faisait partie.
Entretien r�alis� par Rosa Mansouri
Le Soir d�Alg�rie : 20 ans sont pass�s sur les �v�nements du 5 Octobre 1988 et la justice alg�rienne n�a pas livr� tous ses secrets sur cette trag�die. Les crimes sont rest�s impunis � ce jour. Est-ce qu�il y a une raison juridique pour expliquer cette impunit� ?
Me Salah Hannoun : Les �v�nements d�Octobre 1988 restent une plaie saignante dans l�Alg�rie postind�pendance. Ils repr�sentent aussi un certain rep�re, dans notre tentative de compr�hension de la suite des �v�nements politico-s�curitaires ayant ensanglant� l�Alg�rie depuis. Dans la m�me lign�e de la r�action du pouvoir, face � certains �v�nements politiques d�avant 1988, (�Tafsut imazighen� en 1980, cr�ation de la Ligue des droits de l�homme en 1985, �v�nements de Constatine en 1986, etc.), la r�pression �tait in�luctable, car elle constitue le prolongement de la politique liberticide engag�e par le pouvoir alg�rien depuis l�ind�pendance. Et comme dans toute dictature qui ne se respecte pas, en Alg�rie, l'impunit� est �rig�e comme mode de gouvernance. Un pouvoir sans l�gitimit� populaire, impos� par les chars, n�a que faire des notions universelles que sont la v�rit� et la justice. Des notions qui sous-tendent politiquement et judiciairement une r�elle d�mocratisation de la vie politique, avec une v�ritable s�paration des pouvoirs et une concr�tisation, de fait et de jure, de toutes les pr�rogatives r�galiennes qui reviennent constitutionnellement aux trois pouvoirs.
Le ministre de la Justice, M. Ali Benflis, install� le 23 novembre, juste apr�s les �v�nements, avait donn� des instructions aux procureurs g�n�raux pour porter, devant les tribunaux, les affaires de torture de jeunes manifestants. Pourquoi la justice n�a-t-elle pas ex�cut� ses ordres ?
A d�marrer du postulat de base que M. Benflis ait �t�, un tant soit peu, de bonne foi dans sa demande (le code de proc�dure p�nale lui permet de faire ces demandes), on est en droit de s�interroger, dans l�absolu, quant � la pertinence desdites demandes dans un syst�me compl�tement ferm� et obsol�te. M. Benflis �tait ministre d�un gouvernement, vitrine constitutionnelle d�un syst�me militaire, ayant ordonn� de tirer � balles r�elles et de pratiquer la torture sur des jeunes. On ne voit pas comment ce m�me syst�me se fera hara-kiri en demandant � la justice de faire son travail. En plus de cela, dans le contexte de l��poque de parti unique/inique, n�oublions pas que la justice n��tait qu�une fonction, conform�ment � la Constitution, programme de 1976. En 1988, il n��tait pas encore question, dans la norme constitutionnelle, de la notion de pouvoir judiciaire. Cela signifiait que la justice avait comme objectifs de contribuer � la r�alisation des objectifs de la r�volution socialiste. Traduit en termes claires, cela donnera : �Les luttes d�mocratiques sont des luttes r�actionnaires portant atteinte � la r�volution et aux constantes nationales� � Pour la v�rit� historique, politiquement, M. Benflis, et la justice alg�rienne avec, n��taient pas en mesure d�engager de r�elles poursuites judiciaires contre un arbitraire d�Etat ex�cut� par les �troupes�, mais th�oris� par des commanditaires bien assis dans leurs confortables fauteuils de pouvoir.
A ce jour, la liste d�finitive des victimes est rest�e secr�te dans les bureaux du d�partement de l�Int�rieur. Pourquoi la justice n�a pas exig� cette liste et la rendre publique, pour lever l��quivoque sur le nombre des victimes, qui peut atteindre 1 000 personnes ?
Dans tous les syst�mes r�pressifs des dictatures, il y a une r�elle r�partition des t�ches. La hi�rarchisation de la fonction r�pressive, avec son entretien en privil�ges, est une donne importante sur laquelle sont �difi�s ces syst�mes. Le socle de l�arbitraire d�Etat, ce n�est pas simplement le th�oricien, mais aussi l�ex�cutant. Sans les milliers d�agents de la S�curit� militaire, les �chefs� ne pourront aucunement maintenir le pays sous leur chape de plomb. Sans la justice, la r�pression des militants politiques et des ��meutiers� n�aurait pas l�effet dissuasif de la l�gale d�tention. Durant les �v�nements d�Octobre 1988, la propagande officielle justifiait la r�pression par son laconique �r�tablissement de l�ordre public�. Pour ce faire, les forces de l�ordre sont assujetties au sacrosaint principe de �la l�galit� qui les oblige � respecter la norme juridique dans leurs interventions. Dans cette logique, il est donc important de minimiser au maximum le nombre des victimes et l�ampleur des d�g�ts humains. Que l�Etat avoue avoir tu� mille personnes pour r�tablir l�ordre public, cela porte un nom : �R�pression planifi�e et g�n�ralis�e � grande �chelle�. Et c��tait vraiment le cas. M�me dans une dictature, y a certaines limites qui ne sont pas franchies. Sauf quand l�Etat alg�rien reconna�t, en avril 2002, dans une ordonnance pr�sidentielle, que pour le parach�vement de l�identit� nationale, il a fallu assassiner 123 jeunes et en blesser des centaines d�autres. Il fallait l�oser. C�est chose faite.
R. M.

PEU D�OUVRAGES ONT �T� CONSACR�S AU 5 OCTOBRE 1988
Tout n�a pas encore �t� dit
Les �v�nements du 5 Octobre 1988 sont l�une des pages importantes de l�histoire contemporaine de l�Alg�rie. Mais combien sont-ils les auteurs, les essayistes, les journalistes et historiens qui ont consacr� un ouvrage � cette date ?
Ly�s Menacer - Alger (Le Soir) - Pourtant, cette date est consid�r�e comme le point de d�part de ce qui est appel� le multipartisme, ou l�ouverture d�mocratique, en Alg�rie. Le 5 Octobre a mis � nu la politique du r�gime alg�rien, consistant � user de la torture pour faire taire les voix discordantes, en bafouant les principes �l�mentaires des droits de l�homme. Et c�est sur ce point qu�ont �t� ax�es les productions �crites des rares auteurs qui ont abord� ce dossier qui comprend jusqu�� maintenant de nombreuses zones d�ombre qui m�ritent d��tre explor�es. Le journaliste-chroniqueur du quotidien Le Matin, aujourd�hui suspendu, Sid-Ahmed Semiane, est revenu sur ces �v�nements avec des t�moignages poignants sur ce qu��tait la violence du pouvoir � l��gard des jeunes. L�auteur de Octobre : ils parlent, paru aux �ditions Le Matin en 1998, a tent� de recueillir un maximum de t�moignages aussi poignants les uns que les autres. Il fera parler des victimes de la torture dont certains gardent un handicap physique et mental pour le restant de leur vie, des journalistes ayant v�cu ces moments de douleur et de r�volte populaire, et aussi des hommes politiques qu�ils soient, � cette �poque, au pouvoir ou dans l�opposition. Des artistes ont, eux aussi, t�moign� de ce qu��taient la r�volte et la r�pression du r�gime qui n�a pas cess� de qualifier le 5 Octobre de chahut de gamins. Ce propos a donn� naissance � un livre du journaliste-�crivain Abed Charef, intitul� Octobre, un chahut de gamins. Le livre est paru aux �ditions Laphomic en 1990, soit deux ans apr�s le d�roulement des �v�nements, o� l�auteur revient sur ce qui s�est pass� dans le d�tail sur l�un des soul�vements populaires qui a boulevers� l�histoire contemporaine de l�Alg�rie. Outre Abed Charef, le d�funt sociologue alg�rien, M�hammed Boukhobza, assassin� en juin 1993, a sorti un livre intitul� Octobre 88, �volution ou rupture ?paru aussi aux �ditions Laphomic au d�but des ann�es 1990.
La fiction ne s�est pas vraiment int�ress�e au 5 Octobre. Les romanciers effleurent � peine le sujet dans leur production, � l�exemple d�Ahlam Mostghanemi qui met en sc�ne l�histoire d�un journaliste amput� d�un bras lors de ces �v�nements, dans une trilogie qui retrace une partie de l�histoire de l�Alg�rie des ann�es 1945 jusqu�� 1994. Les titres des romans qui composent cette trilogie sont : Faoud al-hawess ( L'anarchie des sens, Abir assarrir et Dhakirat al-jassed ( M�moire de la chair). L��crivain alg�rien Anouar Benmalek s�est aussi pench� sur la question dans Le livre noir d�Octobre 1988qu�il a publi� en collaboration avec l�ensemble des membres du Comit� contre la torture dont il a �t� le pr�sident. Ce comit� a �t� mis sur pied au lendemain du 5 Octobre et avait r�dig� un rapport d�taill� sur la torture dont ont �t� victimes les jeunes et les graves d�passements des services de s�curit� qui tiraient � balles r�elles, comme cela �tait le cas en Kabylie en 2001, sur des jeunes r�volt�s. Dans son livre, Octobre, paru en d�cembre 1988 chez les �ditions Laphomic, soit deux mois � peine apr�s ces douloureux �v�nements, le journaliste-�crivain Abed Charef dira que �l�histoire du 5 Octobre reste � �crire. Elle le sera un jour, car elle a co�t� trop cher. Non pas seulement en termes mat�riels, mais surtout en termes de traumatismes collectifs profonds et ind�l�biles, parce que grav�s dans les m�moires par les souffrances et les pertes humaines��. Vingt ans apr�s la publication de ce livre, les gens de la plume ne semblent pas inspir�s par les �meutes du 5 Octobre 1988. La hydre islamiste, qui a endeuill� l�Alg�rie au lendemain de ces �meutes, ne serait-elle pas derri�re le �d�sint�r�t� des auteurs, des journalistes et des universitaires, dont la majorit� des productions �voquent la violence islamiste des ann�es 1990 plus que tout autre �v�nement de l�histoire de l�Alg�rie post-ind�pendance ?
L. M.

COMIT� DES CITOYENS POUR LA D�FENSE DE LA R�PUBLIQUE
5 Octobre 1988 : le devoir de m�moire
Il y a vingt ans, des jeunes se sont r�volt�s. Beaucoup moururent en martyrs de la libert�, contre un pouvoir autiste, pour r�clamer leurs droits, plus de justice sociale et de libert�s. Un fol espoir naquit, un espoir de d�mocratisation de la vie politique, d�ouverture vers des libert�s authentiques. Il n�en fut malheureusement rien. Le m�me espoir renaquit en 1991 avec la mobilisation citoyenne pour d�fendre la R�publique, puis en 2001 avec les mouvements citoyens des arouch. Las, le syst�me resta plus que jamais fig�, instaurant une d�mocratie de fa�ade. Le terrorisme islamiste fit le reste avec ses horribles massacres, enfon�ant l�Alg�rie dans les gouffres de l�horreur et de l�incertitude. Vaincu par la r�sistance populaire et l�abn�gation des forces de s�curit�, des Patriotes et des GLD, l�islamisme int�griste cherche aujourd�hui � rebondir, aid� en cela par la compromission du pouvoir qui l�amnistia et le lava de ses crimes, sous le couvert d�une soi-disant r�conciliation nationale ; une amnistie pour ceux-l� m�mes qui voulurent instaurer un Etat th�ocratique r�trograde. La jeunesse continue sa r�volte et son insoumission, allant jusqu�au sacrifice ultime � la recherche d�une vie d�cente et digne. Par fid�lit� � la m�moire de tous les martyrs de la libert� du 1er Novembre 1954, du 5 Octobre 1988 et d�Avril 2001, de ceux des ann�es sanglantes de terrorisme islamiste, nous devons poursuivre cette lutte. Travailleurs, intellectuels, jeunes, hommes de science et de culture, syndicats autonomes unis et solidaires, faisons converger nos efforts pour faire triompher les libert�s d�mocratiques et �uvrons pour un projet de soci�t� r�publicain, en faisant front contre la compromission avec l�islamisme int�griste, danger mortel pour la R�publique.
Alger, le 3/10/2008
Le Bureau national

LES JOURN�ES D�OCTOBRE 1988
Vues d�hier et d�aujourd�hui
Par Sadek Hadjer�s (ex-premier secr�taire du PAGS)
�L�intifadha� d�Octobre 1988 a �t� un sursaut populaire, l�explosion d�un m�contentement accumul�. Elle a r�sult� de la conjonction de probl�mes de fond non r�solus et de manipulations irresponsables du pouvoir. Ces quelques journ�es v�cues dans l�enthousiasme des jeunes, la col�re et les espoirs de toutes les g�n�rations, ont �branl� le r�gime autoritaire sur le moment et durant quelques mois. Mais la grande vague de fond n�a pu transformer la nature et les logiques h�g�monistes du syst�me. L��difice oligarchique, b�ti sur une combinaison de pratiques super-�tatistes et d�app�tits lib�raux de plus en plus sauvages, a �t� repl�tr� et repeint aux couleurs d�un pluralisme sans d�mocratie. Ressenties d�abord comme exaltantes, ces journ�es laissent aux Alg�riens qui les ont v�cues un go�t d�amertume. On peut craindre dans le paysage politique actuel de redoutables r��ditions des confusions d�Octobre 1988. Le peuple exasp�r� risque d�en payer les frais et les d�ceptions. Des enseignements pr�cieux sont � tirer des causes et cons�quences de ces journ�es et des p�rip�ties qui les ont marqu�es.
Causes profondes et manipulation du m�contentement
Deux facteurs ont fait jonction au cours de la d�cennie 1980 : la mont�e du courant n�olib�ral dans le monde et la gestion incoh�rente et parasitaire de ses cons�quences en Alg�rie. Au cours de l��t�, un climat tr�s lourd s��tait install�, qui rappelle par certains c�t�s celui d�aujourd�hui. La d�gradation �conomique et le m�contentement populaire s��taient accentu�s en cons�quence de la d�structuration anarchique du secteur d�Etat, la chute du prix des hydrocarbures et une politique d�endettement irresponsable. Face � la p�nurie des ressources nationales, deux clans rivaux s��taient constitu�s dans le pouvoir, sous couvert d�un conflit biais� entre les options �tatique et privative. Chacun d�eux s�effor�ait de d�tourner sur le clan rival la col�re r�sultant des m�faits auxquels ils avaient �t� tous associ�s. Le discours du pr�sident de la R�publique le 19 septembre �tait significatif de ces tensions. Soucieux de maintenir ou de conqu�rir des privil�ges �conomiques pour eux et leur client�le, les uns et les autres croyaient r�soudre leurs contradictions non par un d�bat au grand jour, mais par des man�uvres et des diversions. Un seul point leur �tait commun : rien pour les couches salari�es et populaires, sinon la r�pression de leurs revendications. Certains technocrates et d�mocrates sinc�res int�gr�s au syst�me appelaient � des r�formes capables d�articuler positivement les deux secteurs dans l�int�r�t de l��conomie nationale et de la justice sociale. Ils seront eux-m�mes renvoy�s apr�s leur passage �ph�m�re dans les instances gouvernementales constitu�es apr�s Octobre 1988. L�important est que ces affrontements �au sommet� m�connaissaient


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