T�te baiss�e, la partie inf�rieure du visage cach�e par une voilette, Samia tend la main en direction des passants, � l'instar des autres mendiants qui se sont install�s t�t le matin � l'entr�e d'un grand cime - ti�re de la capitale. Recroquevill�e dans un coin, elle l�ve � peine la t�te pour �empocher� les pi� - cettes que les passants lui posent dans la main. F.-Zohra B. - Alger (Le Soir) - La jeune mendiante a cependant une particularit� : elle a un travail. Elle est femme de m�nage dans une grande entreprise, elle fait la manche, dit-elle, pour arrondir ses fins de mois. Elle conc�de, d'ailleurs, difficilement � nous adresser la parole et regarde avec m�fiance les autres mendiants. �Je ne leur fais pas confiance, ici la concurrence est rude et ils sont capables d'aller me d�noncer�, confiet- elle. Et de poursuivre : �Mais je ne fais rien de mal, l� o� je travaille, je fais consciencieusement mon boulot. Mais que voulez-vous, je ne gagne pas assez pour subvenir aux besoins de ma famille�. De cette famille, elle ne soufflera mot. Samia dira, toutefois, qu'elle a d�cid� de demander de l�aum�ne en �coutant le r�cit de mendiantes crois�es dans le quartier populaire o� elle habite. �Je les entendais dire qu�on pouvait gagner beaucoup d'argent sans effort. Elles aussi se cachent et m�me si elles ne travaillent pas, la plupart des habitants du quartier ne savent pas qu'elles mendient � longueur de journ�e dans les art�res de la capitale�, souligne la jeune fille qui pr�cise que dans le cimeti�re o� elle a �lu domicile, elle est la seule � avoir un travail. Constatant que nous la d�rangions et que nous lui faisions rater des occasions de �soutirer� de l'argent aux visiteurs, elle nous demanda de nous �loigner pour un moment. La plupart des mendiants ont quitt� leur place pour harceler un homme qui essaye tant bien que mal de se d�gager. Samia se joint au groupe. Une femme expliquera que le monsieur a commis l'erreur de tendre un gros billet � un des mendiants, attisant la convoitise des autres qu�teurs. Le monsieur se d�gage difficilement, alors que les pr�tendants � l'obole, d�pit�s, reprennent leur place. Mais les mendiants ne baissent pas leur vigilance et certains, notamment les plus �g�s, n'h�sitent pas � tirer les femmes par le bras, ce qui n'a pas manqu� d'agacer bon nombre de passantes, contraintes de faire preuve de fermet� pour pouvoir se d�gager et reprendre leur chemin. Ce man�ge se d�roule sous l'�il indiff�rent des vendeurs de fleurs qui sont, eux, occup�s � vanter leur marchandise � ceux venus se recueillir sur les tombes de leurs proches. Beaucoup d'ailleurs s'arr�tent pour acheter des fleurs. Toutes ces activit�s bouchent l'entr�e, assez �troite, du cimeti�re. En ce premier jour de la f�te de l'A�d, les all�es sont bond�es de monde. �Jamais je n'ai vu autant de gens�, dira un habitu� des lieux. Aux alentours de ce lieu de recueillement et au niveau de toutes ses entr�es, une pr�sence polici�re fort importante est constat�e. L ' a ffluence est telle qu'un gigantesque embouteillage s�y est form� et m�me dans les quartiers limitrophes. Cette situation n'est pas pour d�plaire � Samia et ses compagnons, � qui, d'ailleurs, elle n'adressera � aucun moment la parole. Seule dans un coin, elle continue discr�tement d'empocher les pi�ces que lui tendent les passants. Elle avoue gagner, depuis une ann�e, des sommes importantes, mais elle refusera d'en d�voiler le montant. Elle se contentera seulement de dire qu'elles d�passent de loin ce qu'elle gagne mensuellement comme femme de m�nage. �Vous savez, m�me les membres de ma famille ne savent pas que je mendie ici, mais ils ne me posent pas de questions du moment qu'ils empochent mon argent !� avoue-t-elle avec amertume. Samia r�v�lera qu'elle n'est pas seule dans cette situation. Beaucoup d'autres femmes jeunes et moins jeunes ayant d�j� un travail mais mal r�mun�r�, s'adonnent � la mendicit� pour arrondir leurs fins de mois. A la question de savoir si elle les connaissait personnellement, elle r�pondra que non mais qu'autour d'elle, on en parle souvent. La jeune mendiante passera les deux journ�es de l'A�d devant la porte de ce cimeti�re de la capitale car c'est l�, d'apr�s elle, que l'on amasse beaucoup d'argent. �Les gens sont g�n�reux lors des f�tes religieuses, ditelle en souriant, tout en pr�cisant qu'elle ne demande l�aum�ne qu�au niveau des cimeti�res, �dans la rue, c'est dangereux�. A la fin de la journ�e, le cimeti�re se vide de ses visiteurs. Samia s'est, d�s le d�but de l'apr�smidi, engouffr�e dans un bus plein � craquer, avec son pr�cieux butin bien dissimul�.