Elu pour la seconde fois cons�cutive � la t�te de l�Association des anciens condamn�s � mort, lors du dernier congr�s tenu les 2 et 3 du mois en cours, Mostefa Boudina, qui est �galement membre du Conseil de la nation, r�v�le dans cet entretien qu�il nous a accord� que cette frange de militants rescap�s de la guillotine qu�il repr�sente est en train de dispara�tre sans que ses t�moignages sur une page douloureuse de l�Histoire de la r�volution alg�rienne soient sollicit�s ou pris en compte. S�agissant du pardon qu�on veut arracher � la France, l�ancien condamn� � mort s�indigne devant les aveux tardifs des tortionnaires et explique que le pardon envers ces derniers est exclu et que les autorit�s officielles de la France doivent prendre leurs responsabilit�s par rapport aux crimes de l�arm�e fran�aise durant l��poque coloniale. Entretien r�alis� par Fatma Haouari Le Soir d�Alg�rie : Parlez-nous de votre association. Mostefa Boudina : Notre association existe depuis 1991, ann�e durant laquelle nous avons tenu notre congr�s constitutif. Logiquement, nous devions tenir notre deuxi�me congr�s cinq ans apr�s, soit en 1996. Malheureusement, les conditions n��taient pas r�unies � l��poque. Nous avons donc diff�r� ce rendez-vous jusqu�en 2004. Les 2 et 3 juin derniers, nous avons tenu notre troisi�me congr�s avec pour mot d�ordre �la fid�lit� � nos glorieux martyrs et l�accomplissement de notre devoir national�. Notre association regroupe les rescap�s de la guillotine qui sont porteurs de m�moire, les t�moins de ce qu�a pu commettre comme crimes le colonialisme fran�ais dans notre pays et nous sommes en m�me temps les victimes de la barbarie de ce colonialisme. Nous continuerons � accabler la France coloniale pour tous les crimes qu�elle a commis contre notre pays et notre peuple. 210 condamn�s � mort ont �t� guillotin�s, plut�t l�chement assassin�s puisque nous �tions des prisonniers de guerre et en d�pit de la protection en tant que tels par les conventions de Gen�ve, la France a pass� outre en les pi�tinant. Notre association s�attelle aujourd�hui, dans le cadre de ses activit�s, � transmettre le message de tous les h�ros qui ont affront� la mort courageusement. Nous nous consid�rons comme �tant parmi les gens les plus motiv�s pour �tre les gardiens et les d�fenseurs de l�histoire de notre r�volution. Notre mission est � la fois morale et politique. Il faut dire que nous sommes � l�arri�re-plan des cat�gories sociales. Beaucoup vivent dans une situation peu honorable pour leur rang. Il est vrai que peu d�anciens condamn�s � mort avaient un bon niveau d�instruction apr�s l�Ind�pendance. Et l�administration alg�rienne �tait dirig�e par les hommes de la promotion Lacoste. Ces gens-l� exigeaient des dipl�mes pour les recruter. Ce qui fait que beaucoup ont �t� �cart�s et se sont retrouv�s � occuper des postes de gardien, chauffeur, etc. Vous �tes combien de rescap�s de la guillotine ? Au lendemain de l�ind�pendance, nous �tions pr�s de 1 800 rescap�s qui ont �t� rassembl�s dans le m�me camp en France, avant notre lib�ration, du mois d�avril au mois de mai 1962. Ce nombre a consid�rablement diminu� car beaucoup de nos compagnons nous ont quitt�s. De 2004 � ce jour, plus de 250 anciens condamn�s � mort sont d�c�d�s. Nous sommes actuellement en train de reconstituer les statistiques et d��tablir la liste de ceux qui sont morts. Etes-vous de ceux qui exigent le pardon de la France ? Il est vrai qu�on parle de pardon et de repentance. Se repentir est une chose, ce terme vient du vocabulaire des criminels sous le poids de leurs crimes, ils savent qu�ils vont mourir et que le ch�timent de Dieu les attend. Je vais vous r�v�ler une information capitale concernant un condamn� � mort qui a laiss� un message avant d��tre ex�cut�, un message que nous n�avons pas le droit de trahir. Il s�agit de l�un des fr�res Lakhlifi, ex�cut� � un �ge o� on pense � s�amuser et � construire son avenir. Il avait � peine 20 ans et devant l��chafaud, il s�est adress� au colonel Morel et au bourreau qui s�appr�tait � lui �ter la vie en leur disant : �Vous allez m�assassiner, je vais laisser un message aux g�n�rations futures de mon pays.� Et en se tournant vers son avocat, il lui demande : �Dites � la jeunesse alg�rienne de ne jamais oublier, de ne jamais pardonner les crimes du colonialisme. Dites � la jeunesse alg�rienne d�aimer l�Alg�rie plus que nous l�avons aim�e.� C��tait un de mes compagnons du couloir de la mort. Cela s�est pass� un 31 juillet de l�ann�e 1960 � Froment-Luc, une prison militaire � Lyon, en France. Le matin de son ex�cution, nous �tions dans des cellules juxtapos�es. En entendant des pas soutenus, il m�a appel� par mon nom en me disant : �Ils sont venus te chercher !� Car il y avait un ordre chronologique par anciennet� et c��tait normalement mon tour, mais lorsque les criminels sont arriv�s devant la porte de sa cellule, il a cri� : �Allah Akbar (Dieu est grand), c�est moi qu�on vient chercher, adieu mes fr�res, saluez ma m�re et mon pays.� C�est tr�s difficile d��voquer ces douloureux souvenirs, mais ce sont des souvenirs qui continuent d�animer nos convictions et notre devoir jusqu�� la fin puisque nous avons eu la chance de survivre et d��chapper � nos bourreaux qui s�appellent Meissonnier p�re et fils. Ces criminels se sont permis d��crire un livre sur les assassinats qu�ils ont commis pour se vanter d�avoir �t� de bons fonctionnaires de la France. Le g�n�ral Aussaresses a avou� avoir assassin� froidement le chahid Larbi Ben M�hidi en simulant un suicide. Comment dans ce cas-l� peut-on accepter leur repentir ? Ces gens-l� ne se repentissent que parce qu�ils ont un r�veil de conscience tardif. Ils sont en train de se repentir pour la paix de leur �me. Ils ont un pied dans la tombe. Ils ont trop vieilli et le fardeau de leurs crimes p�se d�sormais lourd sur leur conscience. Et c�est pour cette raison qu�on entend parler de repentance de ces criminels en France. Nous, les anciens condamn�s � mort, n�avons que faire de leur repentance. Leurs crimes sont imprescriptibles. Nous disons non au pardon des criminels ! On n�a qu�� revoir l�Histoire de la France elle-m�me. Est-ce que les Fran�ais ont pardonn� � Hitler ? Est-ce que les Allemands eux-m�mes ont pardonn� � Hitler ? Pourtant l�Allemagne a demand� pardon au peuple fran�ais et au peuple juif. L�Italie a demand� pardon au peuple libyen. Mais quand il s�agit de l�Alg�rie, la France continue de tergiverser alors que les tortionnaires se morfondent de culpabilit�. Un officier de l�arm�e fran�aise coloniale a adress� une lettre au pr�sident Sarkozy l�implorant de demander pardon, dans ces termes : �J�avoue, Monsieur le Pr�sident, avoir assassin� 75 Alg�riens � Skikda.� Nous voulons mettre les points sur les �i�, nous n�avons jamais demand� � ces criminels de se repentir ! Seulement, c�est � la France de faire la part des choses et de prendre ses responsabilit�s par rapport � l�avenir des jeunes g�n�rations des deux rives. Le pardon doit s�adresser au peuple alg�rien souverain d�un Etat souverain pour repartir du bon pied et �tablir des relations bilat�rales bas�es sur le respect de la dignit� humaine. Est-ce qu�un travail d�archivage et de collecte de documents et de t�moignages est fait par votre association ? Absolument ! Nous avons entrepris depuis 2004 un travail d�audition sur cassette de t�moignages individuels des condamn�s � mort sur leur parcours militant et de fida�, des p�riodes d�arrestations et des tortures, sur ce qu�ils ont endur� et ce qu�ils ont subi comme humiliations et souffrances dans les couloirs de la mort. Nous disposons d�un lot d�enregistrement, d�un tableau biographique qui est actuellement expos� au si�ge de l�association. Nous avons �galement entrepris un travail sur les m�thodes de torture qui �taient utilis�es. Mais, concr�tement, y a-t-il des ouvrages qui parlent de votre cat�gorie de militants ? Nous ne sommes pas des historiens ni des �crivains, certains d�entre nous ont �crit. Moi-m�me j�ai �crit un livre qui s�appelle Rescap� de la guillotine,�dit� par l�Anep, avec un tirage de 2 000 exemplaires. Malheureusement, il n�a pas connu une large diffusion, en dehors du minist�re de l�Energie qui a pris un quota pour le distribuer dans les biblioth�ques. J�ai �t� contact� par des �trangers, notamment des Fran�ais, qui ont voulu en faire un film, mais j�ai eu des r�ticences. Ceci dit, notre contribution � l��criture de l�Histoire n�est pas sollicit�e et encore moins encourag�e. Nous �crivons mais nos �crits restent dans l�anonymat. Il y a des �missions � la t�l�vision alg�rienne sur toutes sortes de publications sauf celles relatives � la r�volution. J�ai envoy� un exemplaire de mon livre � la t�l�vision mais ils ne lui ont accord� aucune importance. J�ai m�me contact� le minist�re de la Culture pour que nos travaux d��criture b�n�ficient d�un passage � l��cran mais aucune suite ne m�a �t� donn�e. Nous organisons �galement dans le cadre de nos activit�s des rencontres plusieurs fois dans l�ann�e avec les jeunes des centres de formation professionnelle et des coll�ges et autres �tablissements scolaires. Comment les jeunes r�agissent- ils � ces rencontres ? Les jeunes nous font le reproche de nous �tre pris tardivement. Effectivement, c�est un pan entier et tr�s important de notre Histoire qui est peu connu des nouvelles g�n�rations. Ce qui est s�r, c�est qu�ils sont curieux et avides de savoir comment des Alg�riens qui ont souffert jusqu�au supplice supr�me et consenti des sacrifices puissent rester, malheureusement, dans l�anonymat. Ni leurs �crits ne sont encourag�s, ni leurs messages ne sont transmis. C�est un coup de force que nous engageons quotidiennement. Notre espoir reste nos jeunes qui doivent imp�rativement conna�tre l�histoire glorieuse de leur pays dont ils doivent �tre fiers. Elle est �crite avec le sang de nos martyrs. Je sais qu�ils sont soucieux de tout savoir. Je vous citerai cette rencontre organis�e au si�ge du S�nat avec des anciens condamn�s � mort. Il y avait Yacef Sa�di et Tahar Zbiri. Je suis intervenu pour parler de mes compagnons, des souffrances morales et physiques que nous avons subies, les �tudiants qui �taient dans la salle en ont pleur�. C��tait un moment tr�s �mouvant. Le message �tait tr�s fort. Comment peut-on r�gler le probl�me des moudjahidine ? Cette question m�a �t� maintes fois pos�e par des journalistes et des personnes qui s�int�ressent � l�histoire de la R�volution alg�rienne et je r�ponds toujours de la m�me mani�re. Notre g�n�ration est en train de partir, soyez-en s�rs et nous vous le garantissons : nous les emm�nerons avec nous dans la tombe (rires)� Certains historiens fran�ais affirment que la torture n��tait pas r�pandue durant la guerre d�Alg�rie � Les criminels tentent de cacher la v�rit� et taire leurs crimes, mais la torture contre les Alg�riens �tait syst�matique et g�n�ralis�e en Alg�rie et en France. Ceux qui la pratiquaient �taient soit des anciens policiers pieds-noirs, soit des soldats ou d�anciens officiers ayant particip� � la guerre d�Indochine, qui torturaient sans vergogne et avec une rare bestialit�. Nous avions droit � la torture physique sous toutes ses formes. On nous blessait dans notre dignit� d�hommes en nous injuriant et en prof�rant des propos racistes et humiliants � notre endroit. Le prix de la libert� a �t� trop ch�rement pay�. Nos bourreaux nous ont fait trop de mal pour que l�on puisse pardonner leurs crimes.