Rabah Bouaziz est parti discr�tement le 11 octobre. Ses compagnons de lutte donneront certainement une meilleure id�e du parcours de Si Sa�d ce combattant, depuis sa jeunesse, en passant par ses premiers pas dans les organisations nationalistes puis pendant la lutte de Lib�ration, notamment � la direction de la F�d�ration de France du FLN (historique) puis depuis l�ind�pendance, comme le souligne Arezk, son fils a�n�, dans El Watan. Je me contenterais de relater les moments o� nos destins se sont crois�s jusqu�� ce jour de juin 2008 o� je le revis pour la derni�re au cimeti�re d�El- Madania pour la comm�moration du sacrifice au combat d�Henri Maillot. Il �tait fatigu�, mais � 80 ans il �tait venu comme beaucoup d�anciens dirigeants nationalistes de progr�s, aux c�t�s des militants communistes, braver l�interdiction annonc�e de la c�r�monie par les autorit�s� Il avait demand� apr�s moi, je l�ai cherch� dans la foule et on s�est retrouv� quelques instants contents de nous revoir, peu bavards comme d�habitude l�un et l�autre ! On s�est promis de se revoir plus longtemps� La premi�re rencontre avait eu lieu juste apr�s l�ind�pendance, en �t�, en France au cours d�un stage de formation des cadres de la F�d�ration de France du FLN. �a faisait chaud au c�ur, � la sortie de la clandestinit�, de retrouver et de mettre un nom et un visage sur tous ses militants femmes et hommes et dirigeants de la lutte de la Lib�ration nationale. Nous sommes rentr�s pour construire le pays et chacun avait trac� son chemin : j�avais choisi de rejoindre le PCA (Parti communiste alg�rien) et le journal Alger R�publicain, Rabah sera d�put� dans la premi�re l�gislature de l�Assembl�e nationale et membre du comit� central apr�s le 1er congr�s du FLN, avant d��tre nomm� pr�fet d�Alger. Pendant toute cette p�riode nos relations se poursuivirent, en dehors des rencontres des deux familles. Il m�appelait souvent � Alger R�publicain pour discuter, me demander un avis, exposer une id�e. Nos discussions �taient toujours correctes et fraternelles m�me quand nous abordions nos divergences id�ologiques et politiques. Je me rappelle, par exemple, de cette discussion, informelle, tr�s tendue et serr�e en marge du s�minaire �conomique afro-asiatique tenue � Alger au printemps 1965. Che Guevara d�fendait un point de vue disant que l�URSS n�aidait pas suffisamment les pays en voie de d�veloppement et qu�elle devait fournir des �quipements et des usines � des prix inf�rieurs � ceux des pays imp�rialistes. Un tiers-mondisme d�brid�. Les ambassadeurs de Yougoslavie et de Tunisie �taient aux anges et en remettaient une couche : �Les Russes vendent de vielles usines en les faisant passer pour neuves, apr�s un coup de pinceau !� Le repr�sentant du FNL du Vietnam, prudent, ne disait rien. Rabah se rapprochait du point de vue de Guevara. Je contrais ce point de vue en disant que l�important �tait d�j� d�avoir bris� le monopole que d�tenaient les pays imp�rialistes d�velopp�s sur le commerce international et l�industrie, que les pays en voie de d�veloppement �taient tr�s h�t�rog�nes, que l�URSS (comme les autre pays socialistes) devait elle aussi rattraper son retard et assurer sa d�fense, que les pays du tiers monde devaient d�abord compter sur leurs propres forces et qu�il n��tait pas question de subventionner les bourgeoisies de ces pays� Alger R�publicain du lendemain d�veloppa un point de vue plus complet. Entre Rabah et moi il y eu un nuage mais pas un conflit ! Au lendemain du coup d�Etat du 19 juin 1965, Rabah ne fut plus pr�fet, je ne fus plus journaliste apr�s la disparition d� Alger R�p. Je le harcelais apr�s les arrestations et les tortures subies par les progressistes et camarades. Il disait qu�il n��tait pas inactif et que lui et ses amis essayaient de faire quelque chose. En d�cembre il me demanda de passer le voir chez lui dans sa maison au-dessus du T�lemly. Je trouve l�ancien pr�fet en bleu, une brique dans une main et la truelle dans l�autre : il �tait en train de retaper lui-m�me sa maison. Sa proposition faire �quipe avec lui dans le lancement d�un projet industriel d�Etat dans le cuir. Je fus emball� par la proposition d�autant qu�il fallait suivre le projet de �a� � �z� depuis la construction jusqu�aux essais et la gestion de l�usine. J��tais dans mon �l�ment et je quitte rapidement les assurances pour rejoindre l��quipe. J�avais pos� une seule �condition � : le recrutement d�un certain nombre de camarades qui venaient d��tre lib�r�s de prison et de deux femmes de camarades dont les maris avaient �t� contraints � la clandestinit�. Rabah r�pondit oui naturellement, et c�est ainsi qu�une vingtaine de familles allaient retrouver un revenu et autant de camarades un travail. Le directeur g�n�ral n�allait jamais regretter cette courageuse d�cision, il trouva � ses c�t�s une �quipe comp�tente, travailleuse, honn�te, favorable au secteur d�Etat� Cette tradition d�orientation progressiste allait se poursuivre pendant longtemps dans le secteur du cuir et de la chaussure. La seule d�fection involontaire fut la mienne. Mais avant d�arriver � cette p�rip�tie, je voudrais relater un moment douloureux de sa vie. Un jour Rabah m�appelle de Paris o� il �tait en mission officielle pour le compte de l�entreprise TAL, pour dire qu�il venait d�apprendre le d�c�s de sa m�re et qu�il ne pouvait arriver � temps pour l�enterrement. Il me demanda d�y aller. Je me rendis juste � temps � Tizi- Rached pour accompagner ��� sa place� sa m�re jusqu�� sa derni�re demeure, au milieu des chants religieux, un rameau � la main� Le jour o� mon p�re mourut, je ne pu aller consoler ma m�re pour des raisons de s�curit�. Mais Rabah et Salima son �pouse furent pr�sents. En effet, fin 1967 la gendarmerie se lan�a � ma recherche, presque toute l�organisation du PAGS de la zone industrielle de Rouiba venait de tomber�J�eus le temps de rejoindre le Parti dans la clandestinit�. Quand nous nous rev�mes 25 ans apr�s Rabah me dit avec beaucoup de tendresse et le sourire qu�on lui conna�t quand il voulait masquer une �motion : �Tu as pass� presque la moiti� de ta vie en clandestinit� !� Depuis nous nous sommes rencontr�s souvent au hasard des manifestations contre l�int�grisme et le terrorisme islamiste : �Djazair hourra d�mocratia !� Le dernier rendez-vous rat� fut celui de juin 2009 pour l�hommage � Maillot. Salima y �tait. Je la f�licite pour son excellent papier publi� dans la presse en hommage aux sportives et sportifs de plusieurs g�n�rations. Je lui demande si Rabah allait venir. Elle me dit qu�il �tait malade. Le tourbillon de la vie ne me permit pas de le revoir chez lui, h�las ! Nous venons de perdre un moudjahid authentique ! A. Noureddine Mercredi 14 octobre 2009 Je voudrais ajouter � ce t�moignage de A. Noureddine que le regrett� Rabah Bouaziz a fait partie de ces nombreux combattants qui durant la guerre de Lib�ration se sont comport�s en patriotes �clair�s. Non seulement ils ne sont pas tomb�s dans les pi�ges de la �chasse aux sorci�res� contre les porteurs d�id�es progressistes, notamment �berb�ristes� et communistes, mais � ma connaissance (� v�rifier aupr�s d�historiens) lui-m�me comme le colonel Ouamrane, le colonel Si Sadeq (Dehil�s) et d�autres durant la guerre de Lib�ration ont fait ce qu�ils pouvaient pour pr�server, pr�venir ou prot�ger des militants et combattants comme Ammar Oud Hammouda ou Mustapha Sa�doun cibl�s pour liquidation par des chefs de guerre sectaires. Apr�s l�ind�pendance, m�me lorsque des patriotes comme Rabah Bouaziz se trouv�rent malgr� eux en porte-�- faux par rapport aux revendications et aux sensibilit�s populaires, de par leurs fonctions officielles, leur statut social, leurs convictions doctrinales ou leur appr�ciation des �v�nements, nombre d�entre eux sont rest�s activement ouverts au dialogue social et politique et aux efforts unitaires.