«J'ose dire pourtant que je n'ai mérité ni cet excès d'honneur ni cette indignité» Racine Ses proches auraient voulu qu'il soit ingénieur, médecin ou architecte, mais sa préférence est allée au métier qu'exerçait son père Arezki, celui de cheminot.Et lorsqu'il se pointe au rendez-vous fixé, à l'heure sonnante, il ne manque pas de souligner la ponctualité — denrée rare de nos jours — qu'il a héritée de son long parcours dans l'univers des voies ferrées. D'une voix douce, avec des mots simples presque chuchotés, Azzi nous retrace sa vie de combattant engagé, et pas seulement dans les maquis, pour la bonne cause pour la justice sociale et contre toutes les oppressions. Il a toujours été aux côtés des humbles et ces liens perdurent par-delà le temps. «Je traque les injustices avec la même détermination, même si au crépuscule de ma vie on a tenté de me nuire en m'empêchant de continuer à lutter à la Fédération nationale des retraités», tempête-t-il. Azzi, et il l'a brillamment fait dans son livre Parcours d'un combattant de l'ALN, évoque avec la grande sensibilité qui est la sienne son cheminement depuis Akbou où il a vu le jour en 1937, jusqu'au retraité toujours d'attaque qu'il est devenu. Cet homme discret dont le sourire arrondit encore les traits d'un visage enfantin est un rescapé ou un être revenu d'outre-tombe. Il raconte, amusé, les péripéties de sa «mort» et comment il a échappé in extremis à son «enterrement». Laissé pour mort «Blessé lors d'une escarmouche, mes yeux s'embrouillent, ma bouche se remplit de sang et je perds connaissance. Sans me rendre compte, une balle venait de me traverser le thorax. Toujours inconscient, mes compagnons m'ont transporté et mis un peu à l'écart, bien à l'abri, dans un fourré de lentisques pour revenir plus tard me récupérer. Pendant ce temps, la section s'est déployée pour protéger le repli de la patrouille. Dès le crépuscule, avant que l'odeur de sang n'attire les chacals qui pullulent dans la région, le sergent-chef, Abdelli, mes compagnons de patrouille et deux moussebiline sont revenus me chercher sur les lieux où ils m'ont caché. C'est alors qu'en trouvant un corps inerte et apparemment sans vie, ils concluent à ma mort et décidèrent de m'enterrer sur le champ. Ils creusèrent donc ma tombe, et au moment de me soulever par les pieds, l'élastique qui retient le bas de mon pantalon ayant cédé, la main qui a saisi mon mollet trouve plutôt bizarre de le sentir encore tiède, plus de cinq heures après, en dépit de la fraîcheur de la nuit. Il en a fait la remarque au sergent-chef, qui, d'un geste, ouvre promptement ma veste pour vérifier. Et c'est en écoutant les battements de mon cœur qu'il perçoit très faiblement, il s'exclame alors : ‘‘Dieu soit loué, il n'est pas mort.'' Devant ce miracle, il se relève, le visage rayonnant d'une joie à peine contenue, partagée du reste par mes compagnons et donne alors l'ordre de me transporter vite en direction de l'infirmerie.Manifestement mon heure n'était pas encore arrivée.» Azzi Abdelmadjid est né le 20 septembre 1937 à Akbou où il a vécu au milieu de sa famille. Son père Arezki était chef de gare et il a exercé au gré des mutations à El Adjiba, à Beni Amrane et enfin à Akbou, où il a été enlevé par les parachutistes avec un groupe de notables. Depuis, aucune nouvelle. «C'était un homme sobre qui avait le sens de la famille, qui travaillait consciencieusement, qui donnait l'exemple d'honnêteté et de probité. Il était sévère mais juste.»Le petit Abdelmadjid a eu un parcours scolaire chaotique. Il a été à l'école d'Akbou en 1944, juste après le décès de sa mère, puis a poursuivi son cursus à El Adjiba, chez l'instit Asselah, enfin à Beni Amrane, complété par la réussite au concours pour le cours complémentaire à l'école Lelièvre de Bab El Oued à l'âge de 14 ans... Après avoir milité avec les jeunes d'Akbou pendant une année, il monte au maquis en 1956.«A l'époque pour être accepté au maquis il y avait des critères rigoureux. Soit commettre un attentat, être convoqué au service militaire ou être recherché. J'avais reçu l'ordre d'être incorporé sous les drapeaux. C'était une raison suffisante pour qu'on m'accepte.»Abdelmadjid avait 19 ans. Il était à Ighram, au village de Taslemt. Il a été versé dans une section dirigée par le sergent-chef Abdelli.Après son aventure racontée plus haut et sa grave blessure, Abdelmadjid a été transporté à l'infirmerie. Il sera sauvé et gardé dans le service de santé. Il deviendra malgré lui infirmier. A ce titre, on a parcouru toute la zone avec l'aspirant Mezaï Hamid qui était infirmier à Béjaïa. Blessé pendant l'opération «Jumelles» et fait prisonnier à la suite de la reddition d'un officier de l'ALN, j'ai passé 6 mois dans les camps jusqu'en décembre 1959. Un jour, on m'a annoncé ma libération, j'étais content, mais sitôt sorti du camp, les gendarmes m'attendaient. Ils m'ont mis les menottes et m'ont emmené au PC. Emprisonné en allemagne J'étais de nouveau captif et emmené à Landau en Allemagne où j'ai passé 24 mois.Libéré en janvier 1962, il réintègre le FLN qui le charge d'organiser la ville d'Akbou lors du cessez-le-feu et le référendum d'autodétermination. Il est démobilisé et monte à Alger en août 1962 où il exerce aux Chemins de fer jusqu'à sa retraite en 1988. Au syndicat, il a gravi tous les échelons pour être élu secrétaire général adjoint en 1974. Il a été élu député à la première législature. Au cours de sa militance, Abdelmadjid a été marqué par des faits comme la bleuite et son atmosphère viciée qu'il décortique dans son ouvrage à travers des témoignages émouvants.«Il fallait vivre le contexte pour comprendre les enjeux et la stratégie mise en place par l'ennemi. La propagande relayée inconsciemment par les Algériens accusant l'ALN et Amirouche d'avoir massacré tous les étudiants et lycéens qui avaient rejoint les maquis après la grève de mai 1956, avait pour objectif de stopper le flux d'intellectuels qui venaient constituer l'encadrement de la Révolution. Rares ont été ceux qui ont bravé cette propagande. Il y avait un noyautage de l'ALN organisé par le puissant service psychologique de l'armée française. Comme j'étais dans le service santé j'ai eu à soigner les torturés. Il y a eu des erreurs et des dépassements. Ce n'est pas pour autant qu'on doit marcher dans la combine. A propos de chiffres il y a suffisamment de témoignages pour dire qu'il y a eu exagération. » Quant aux luttes syndicales auxquelles il a pris part dès l'indépendance, notre homme estime qu'il a accompli une mission enrichissante aux côtés de Bourouiba, Misraoui et autres, bien qu'il admette qu'en tant qu'organisation de masse, l'UGTA était un appendice au service du pouvoir. Un syndicaliste accompli Pour Abdelmadjid, le syndicalisme n'a pas de couleur et il se réjouit de la pluralité des syndicats qui luttent aujourd'hui quotidiennement pour la défense des intérêts matériels et moraux des travailleurs. Notre interlocuteur se désole de sa mise à l'écart de la Fédération nationale des retraités qu'il a servie de longues années durant avec dévouement. «Ce n'est pas ma voix qu'on a fait taire, mais celle de milliers de retraités avec qui j'avais lié mon sort. Malheureusement pour eux, ceux qui m'ont succédé enregistrent un déficit de courage flagrant pour affronter l'injustice et réclamer leur dû», résume-t-il amer. Abdelmadjid reste parfois étonné face au bégaiement de l'histoire. «Je ne suis pas d'accord d'abandonner l'accusation qui criminalise le colonialisme. Ce n'est pas la France d'aujourd'hui que nous culpabilisons. Nous culpabilisons un système, le colonialisme que le peuple français rejette. Il ne faut pas oublier l'horrible statut de l'indigénat, la répression féroce, les enfumades, les massacres de 1945.»Pour notre interlocuteur, il est impératif de songer à l'écriture de notre histoire contemporaine. «Je fais appel à tous ceux qui ont vécu la Révolution d'écrire, mais d'écrire objectivement et honnêtement, de témoigner pas seulement pour eux mais pour les générations futures.» Faisant écho aux nombreux commentaires qu'a suscités le livre de Saïd Sadi, M. Azzi reconnaît que : «la formidable polémique soulevée par le livre de Sadi sur le colonel Amirouche est enrichissante dans la mesure où elle lève le voile sur l'histoire de l'Algérie et qu'elle permet à notre jeunesse de découvrir celle qui n'est pas écrite dans les manuels scolaires. Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, le colonel Amirouche, qui est l'exemple du courage et de l'abnégation, est un héros national reconnu par les siens et par tous ceux qui l'ont approché. C'était déjà de son vivant, un homme de légende dont les exploits étaient chantés dans toutes les chaumières algériennes. L'ennemi qui l'a combattu a reconnu en lui un stratège et un brave. Il restera pour la postérité, dans toutes les mémoires.» A la question de savoir si l'Algérie saura relever les défis et prendre en charge sa destinée, Abdelmadjid rétorque : «L'histoire d'un pays ne se résume pas à un siècle. L'histoire récente nous a démontré quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, qu'il y a toujours une lame de fond qui apporte des changements souhaitables pour le peuple. Je suis optimiste car les jeunes ne se laisseront pas faire après tout c'est leur pays, leur avenir. Donc ils doivent prendre en charge leur destin.. ».