Ecrire sur le ton de la gravit� que le r�gime de Bouteflika est � un tournant d�cisif de son destin traduit vaguement la situation pr�sente d�un Etat de moins en moins r�actif face � la multiplication des scandaleuses dilapidations des biens publics, de la contamination par la contestation de la totalit� de la soci�t� et par le meurtre d�une personnalit� influente de son propre dispositif. Retranch� dans une sorte de huis clos politique d�o� rien ne filtre, le pouvoir abandonne, chaque jour un peu plus, le pays � la rumeur. Grande accoucheuse d�annonces inv�rifiables par d�finition, celle-ci intoxique et enfume l�atmosph�re sociale. Et c�est essentiellement l��trange d�sertion du pouvoir d�Etat, � son plus haut niveau, qui l�a nourrie et pose probl�me. O� est pass� le pr�sident de la R�publique et pourquoi demeure-t-il en retrait alors que la temp�te grossit ? Ce sont ces genres d�interrogation que tout le monde se pose et qui alimentent la sp�culation. D�ailleurs, certaines opinions ne se sont-elles pas inqui�t�es de la capacit� de Bouteflika � assumer pleinement sa charge en s�appuyant sur d�autres consid�rations que celle de sa maladie ? Econome de sa parole et de ses apparitions depuis presque une ann�e, le chef de l�Etat n�est d�sormais plus �pargn� par la critique dans les journaux et par le ressentiment qu�il suscite dans la population. M�me lorsque les charg�s de sa communication pensent lui donner une certaine �visibilit� en profitant de �l�effet football�, ils ajoutent, au d�pit ressass� du t�l�spectateur, une louche de sarcasme. Un coup de pub � un moment de grand audimat ? Rien n�est plus inexact que cette exposition du chef de l�Etat �d�tendu et convivial� quand le pays bouillonne et grogne. On le montra dans une sorte d�intimit� familiale (Bouteflika et ses fr�res) honorant �Zidane et sa tribu� alors que le moral de la soci�t� est loin de ces frivolit�s de salon. Certes, un pr�sident de la R�publique a le devoir d��tre en repr�sentation, comme l�exige l��tiquette de sa fonction, sauf que la publicit� qui accompagne ses faits et gestes doivent �tre prudemment �calibr�s� en fonction du contexte. L�ic�ne Zidane �tait �videmment une bonne opportunit� en termes d�image, mais encore fallait-il montrer dans les JT, un pr�sident en premi�re ligne dialoguant avec la nation et �coutant le brouhaha qui monte du front social. Rien de cela n�a eu lieu depuis plusieurs mois. Reclus dans le palais, il ne se manifeste publiquement qu�� travers des messages lus par des voix d�l�gu�es et r�dig�s par les �pistoliers � son service. Une dangereuse r�duction de sa pr�sence, depuis l�amendement de la Constitution (12 novembre 2008) et son entr�e en vigueur apr�s sa r��lection, qui ne peut plus �tre compens�e par l�autorit� limit�e d�un Premier ministre, auparavant chef du gouvernement. Dans les faits, par cons�quent, la probl�matique de Bouteflika, version III, est qu�il assume, de moins en moins, les pr�rogatives qu�il avait lui-m�me exig�es. Celles d�un r�gime pr�sidentiel fort et taill� � sa demande. La disparition de la dualit� au sein du bin�me de l�ex�cutif (chef d�Etat et chef de gouvernement), tout en lui donnant la latitude de conduire la totalit� de la politique du pays, le prive, par ailleurs, du dernier fusible pour se d�fausser. Or, paradoxalement, il se fait de moins en moins pr�sent dans les moments cruciaux qui justement l�interpellent� lui seul. Est-ce par d�fi, morgue ou plus simplement par usure politique qu�aujourd�hui il adopte ce style ? Ou bien est-il personnellement l�otage des r�seaux du syst�me en train de s�entre-d�chirer et dont il ne parvient pas � mettre en coupe r�gl�e les influences ? Deux questions qui demeurent sans r�ponse dans l�imm�diat, contrairement � ce qui est avanc� par certains analystes. Ceux-l� pr�conisent la �patience� en bons proph�tes car, �crivent-ils, Bouteflika est en train de prendre le temps n�cessaire avant les grandes d�cisions. Mais en attendant que ces samaritains aient raison, ce que l�on constate, par contre, c�est la mauvaise tournure que ce troisi�me mandat est en train de prendre. Une gouvernance incoh�rente et �contente� de son irresponsabilit� constitutionnelle, des gr�ves tournantes qui paralysent le pays et des institutions �lues totalement muettes. En clair, le chaos est en marche alors que le chef de l�Etat cultive l�indiff�rence et semble laisser filer les choses. De ce divorce avec le pays r�el, consomm� avec pertes et fracas, l�on se demande d�j� comment rebondira-t-il pour mener � son terme son mandat ? Lui, qui, jusque-l�, a affront� les turbulences de la mani�re la moins indiqu�e, saura-t-il corriger la trajectoire de sa propre magistrature ou bien pr�f�rera-t-il s�en remettre, comme il en a l�habitude, � son l�gendaire talent de man�uvrier ? Celui de re-cimenter le vieux statu quo au sommet et les �quilibres internes du syst�me dans le seul but de traverser, dans sa bulle, les quatre ann�es qui lui restent. C�est cette perspective, tant redout�e par le pays, qui se profilera aussi longtemps qu�il demeurera absent de l�espace public. En effet, comment croire qu�un pouvoir peut �tre cr�dible sans la parole ? Pour tout homme politique, le verbe qui engage constitue son �job� principal. Le tribun Bouteflika y a longtemps excell�. Alors pourquoi refuse-t-il d�exercer ce qu�il sait le mieux faire ? Angoissante question.