Jamais le th��tre n�a connu une situation aussi tragique. Le public a fini par d�serter les trav�es d�un territoire artistique, broy� par les petites affaires et une absence presque totale d�intelligence, se suffisant du nombre de pi�ces produites comme si jouer devant des salles souvent vides �tait la vocation d�une entreprise culturelle alors que les centres culturels fran�ais font salle comble. Aujourd�hui, les structures th��trales publiques dont l�organisation ne correspond plus aux r�alit�s du moment, ne semblent pas trop accorder beaucoup d�importance � cette question essentielle qu�est le public. Il faudrait voir comment fonctionne la pr�paration des �g�n�rales� et de la suite pour s�en convaincre. Une corv�e � passer. Les pi�ces sont produites � la vavite, mal phagocyt�es et manquant s�rieusement de profondeur et de densit� sur les plans dramaturgique et sc�nographique. L�interpr�tation laisse souvent � d�sirer. La foule ne peut, dans ces conditions, se d�placer pour aller assister � un spectacle qui n�apporte absolument rien de probant et de beau. Sans compter l�absence presque totale d�une gestion rationnelle de l�entreprise th��trale o� des festibouffes appel�s festivals n�arrivent pas � faire oublier que ces th��tres publics sont ferm�s durant une grande partie de l�ann�e. En plus, les directeurs et les autres responsables qui n�arr�tent pas de crier � qui voudrait les entendre que leurs caisses sont vides, trouvent des moyens ing�nieux pour se partager une rente transformant le �patron� et ses adjoints en �commissaires� et en �directeurs de production� de pi�ces, qui, m�me l�entr�e gratuite, n�arrivent souvent pas � d�passer la dizaine de spectateurs, exception faite de la �g�n�rale� et des s�ances de festi-bouffes, en mobilisant bus et autres moyens pour amener des spectateurs qui s�ennuient vite, � force de pi�ces trop pauvres. C�est vrai qu�aucun travail de promotion n�est fait par les gestionnaires des th��tres publics qui ne d�passent presque jamais la programmation du nombre de repr�sentations obligatoires. Derni�rement, Annaba a accueilli un �festival culturel local du th��tre professionnel � (sic), une d�nomination souffl�e, para�t-il, par des responsables du minist�re de la Culture qui semblent d�pass�s par les choses de la langue, d�autant que les amateurs constituaient l��crasante majorit� de ces troupes. Pas d�affichage � l�universit� et dans les lieux publics. Ni SMS ou email. On ne conna�t pas. Certes, on a alert� le Cous. Mais � Annaba, la direction qui ne fait nullement un travail d�information et de communication s�rieux s�amuse � ester en justice un com�dien, Souilah, pour avoir �crit un article dans El Khabar (qui devrait r�agir) d�non�ant cet �tat de fait. La justice a donn� raison au com�dien qui n�a fait qu�exprimer une opinion, mais t�tus, les responsables du TRA auraient fait appel contre ce com�dien qui y travaille depuis plus de trois d�cennies. Absurde, tragique. Les festi-bouffes pullulent un peu partout. Ainsi, le directeur se mue en �commissaire � (gagnant un cachet cons�quent en dehors de son salaire) et d�autres se d�placent, avec des frais de mission alors que ce ne sont que des activit�s ordinaires d�un th��tre qui programme beaucoup plus les activit�s politiques de partis et d�autres manifestations que des pi�ces de th��tre pour le peu de journ�es ouvrables. C�est dans ce contexte qu�il a �t� d�cid� de faire des th��tres municipaux des structures r�gionales, multipliant encore les jeux de la rente et de faux b�n�fices � distribuer, omettant magistralement la question fondamentale de la r�ception. Aujourd�hui, il est temps de se poser la question de l�absence du public : pourquoi le public boude-t-il depuis les ann�es 1990 le th��tre ? C�est autour de ce probl�mecl� que devraient s�articuler tous les d�bats sur la repr�sentation th��trale en Alg�rie. Des solutions pourraient �tre propos�es, embrassant tous les espaces de l�art sc�nique (mise en sc�ne, discours, �criture dramatique�). De 1963 � 1965, le TNA accueillit 116 565 spectateurs (places payantes) pour 311 repr�sentations, ce qui repr�sente une moyenne de 363 spectateurs par repr�sentation. Les s�ances scolaires et officielles ne sont pas comptabilis�es dans ce chiffre. Les ann�es 1970 virent le public commencer � diminuer, avec 300 spectateurs en moyenne par repr�sentation. C�est l��re de la d�centralisation qui a connu l�apparition avec le statut de th��tre r�gional des th��tres d�Annaba, de Constantine, d�Oran et de Sidi-Bel-Abb�s. Les ann�es 1980 ont conserv� ce public. La crise s�envenima durant les d�cennies 1990 et 2000 qui ont connu un grave recul du public d� essentiellement � la disparition des grands de la sc�ne nationale (Allel el Mouhib, Hadj Omar, Kateb Yacine, Malek Bouguermouh, Mustapha Kateb, Alloula, Kaki, Medjoubi�) ou � leur d�part � l��tranger. Mais il faut aussi dire que le r�pertoire �tait diversifi�. On montait des pi�ces d�auteurs alg�riens (Kaki, Safiri, Rouiched, Alloula, Bena�ssa, Kateb Yacine�) et �trangers comme O�Neil, Shakespeare, Goldoni, Moli�re, Brecht, Beckett, Calderon, Robl�s et bien d�autres. Les pi�ces explicitement politiques �taient trop peu nombreuses. Les sujets d�ordre individuel (l�amour, la bont�, etc.) dominaient la sc�ne. Les th��tres d�Etat arrivaient � s�duire le public qui s�y d�pla�ait volontiers, achetant son billet d�entr�e. Des hommes comme Allel el Mouhib, Mustapha Kateb, Kateb Yacine, Hadj Omar, Alloula, Bena�ssa, etc., tr�s bien form�s, poss�daient une grande culture leur permettant de ma�triser tous les contours de la repr�sentation. Les choses ont chang�. Le �vide� a engendr� une situation tragique. Le manque de background des hommes et des femmes de th��tre d�aujourd�hui, le retour � la centralisation, l�opportunisme ambiant et l�absence de culture th��trale sont les lieux les mieux partag�s dans un univers o� les directeurs sont nomm�s � vie, sans aucun projet � pr�senter, ni de comptes s�rieux � rendre. Le TNA et son directeur, M�hamed Benguettaf deviennent les lieux centraux de toute l�activit� th��trale. Tout le monde se met � monter les pi�ces de ce com�dien-directeur g�n�ral du TNA (faisant apparemment doublon avec la direction des arts du minist�re de la Culture) qui n�arrive pas encore � d�passer un style monologique o� manque cette polyphonie qui fait les textes de Alloula ou de Kateb Yacine. Il faudrait reconna�tre qu�aujourd�hui, il n�existe plus de v�ritables auteurs dramatiques, ni de metteurs en sc�ne, � m�me de donner � voir des spectacles vivants et agr�ables. Ce d�ficit marqu� par la rapidit� avec laquelle on �crit et on monte des pi�ces est l�expression d�une incomp�tence flagrante et d�une m�connaissance des r�gles et des techniques de l�art dramatique. Alloula, par exemple, prenait tout son temps pour �crire et mettre en sc�ne ses textes. Tous les th��tres r�gionaux se mettent � r�aliser des pi�ces pour le �festival national du th��tre professionnel � qui aurait lieu en mai. L�essentiel, c�est d�y �tre. Le th��tre devient hors-jeu, il est exclu des lieux. On ne sait pour quelles raisons on continue � m�priser l�int�rieur en programmant les �g�n�rales� au TNA, faisant des th��tres dits r�gionaux des annexes de celui d�Alger. Cette centralisation irr�fl�chie de la chose culturelle engendre un rapport fonci�rement in�gal d�assujettissement entre le centre et la p�riph�rie et une remise en question de l�ordonnance de 1970 portant d�centralisation des th��tres. Cette propension � la mise en valeur du centre refl�te bien le discours minist�riel qui, ainsi, �lude la dimension politique sous-tendant le jeu de la d�centralisation. Les �coop�ratives� (fonctionnant encore comme des entit�s trop peu autonomes, calqu�es sur les coop�ratives agricoles) qui n�ont rien � voir avec les �coop�ratives� fran�aises comme celle du th��tre du Soleil et les th��tres publics pr�sentent souvent le m�me style, une �criture dramatique d�cousue, sans profondeur, ni densit�, les m�mes techniques et des jeux sc�nographiques similaires. Fonctionnement pl�onastique. Redondance au niveau des choix esth�tiques et sc�niques Ce regard monologique contribue grandement � la mise en veilleuse du public qui, d�sormais, s�ennuie au th��tre et ne s�embarrasse pas de bouder des repr�sentations dont l�entr�e est pourtant gratuite. Mais contrairement � ce qui est soulign� ici et l�, ce public pourrait red�couvrir les plaisirs du th��tre si les pouvoirs publics r�fl�chissent � un autre fonctionnement de l�entreprise th��trale favorisant le th��tre jeune public et la formation, pas celle en vogue ces derniers temps, s�assimilant � de l�agitation non op�ratoire et � une entreprise renti�re. Ce serait bon de m�diter certaines exp�riences du pass� (Bachetarzi, TNA des ann�es 1960, 1970 et 1980, pi�ces de Alloula, Kateb Yacine, Rouiched, Bena�ssa). Tous les corps et les m�tiers du spectacle sont compl�mentaires, participent de l��laboration du sens et souffrent de l�absence s�rieuse de formation. L�Ismas (Institut sup�rieur des arts et des m�tiers du spectacle) de Bordj-El- Kiffan, d�laiss�, manquant d�un encadrement de qualit� (m�me s�il renferme quelques rares comp�tences) et de moyens financiers cons�quents, squatt� par le ballet, a connu une forte contestation des �tudiants qui ont r�agi contre cette triste situation. Ce qui a pouss� son directeur � la porte de sortie. Cet �tablissement qui souffre de l�amateurisme ambiant serait mieux g�r� par le minist�re de l�Enseignement sup�rieur. La gestion des espaces publics du th��tre devrait se caract�riser par une grande rigueur et une r�elle transparence qui donnerait � voir le vrai projet de l�entreprise et sa vocation. Ce qui n�est malheureusement pas le cas dans les conditions actuelles faites d�opacit� et d�une gestion bouilleuse, sans rep�res. Alloula a propos� un nouveau sch�ma d�organisation, tr�s int�ressant. Il faut voir comment sont g�r�s les �festivals � qui devaient, en principe, s�inscrire dans le cadre de l�activit� ordinaire, mais qui se muent en des lieux de distribution de la rente. Aucune structure s�rieuse, ni appels d�offres ou � communications, tout est fait dans l�opacit� la plus totale comme s�il s�agissait d�une entreprise priv�e. L��change de bons proc�d�s reste le lieu le mieux partag� o� on invite des �trangers sans s�interroger sur leur apport r�el. L�exp�rience du �festival du th��tre professionnel � d�Alger qui devrait avoir lieu dans deux mois est symptomatique de cette mentalit� �pici�re. On ignore tout des diverses activit�s ou des colloques. L�improvisation semble la ma�tresse des lieux. On d�cide en catimini et dans l�approximation, c�est-�-dire clandestinement, alors que tout devrait-�tre rendu public. Tout sera fait � la va-vite, excluant les artistes �gyptiens alors qu�ils �taient les lieux centraux de cette manifestation, remplac�s par d�autres invit�s venus du Machrek, Jordanie et Syrie, deux pays qui n�ont pas un th��tre florissant. Triste retournement des choses frisant le ridicule. M�me Samiha Ayoub qui tr�nait au-dessus de cette manifestation serait, elle aussi, ind�sirable. D�pit d�amour ! Qui choisit quoi ? Enigme. La censure est de la partie dans ce type de festi-bouffe qui semble se r�p�ter avec des �recommandations� (presque toujours les m�mes) dignes d�une r�union de dictatures � parti unique d�un jury dont on ne comprend pas la pr�sence. Les grands festivals n�ont pas de prix. Les �recommandations � sont d�un autre �ge. Ne serait-il pas temps d�ouvrir un d�bat s�rieux, sans complaisance sur les questions culturelles et mettre un terme aux sermons triomphalistes du minist�re de la Culture et des responsables du th��tre qui devraient faire leur autocritique et admettre la critique des uns et des autres, notamment de ceux qui consid�rent que le minist�re des festivals s�est substitu� � celui de la culture, apparemment vacant ? En attendant, la m�moire s�effiloche, les th��tres publics se d�faussent, les �festivals� sans objectifs se multiplient, l�opacit� gagne du terrain et l�argent public entreprend une triste danse du ventre. Le th��tre a besoin de son public pour survivre, loin des chiffres comptables de si�ges pourvus.