La promotion des droits de la femme rurale au cœur d'une journée d'étude    Se prendre en charge    Hackathon Innovpost d'Algérie Poste Date limite des inscriptions hier    Energies renouvelables et qualité de la vie    Plantation symbolique de 70 arbres    Le mandat d'arrêt contre Netanyahou est une lueur d'espoir pour la mise en œuvre du droit international    Génocide à Gaza : Borrell appelle les Etats membres de l'UE à appliquer la décision de la CPI à l'encontre de responsables sionistes    «Les enfants fêtent les loisirs»    L'équipe nationale remporte la médaille d'or    Opération de distribution des repas chauds, de vêtements et de couvertures    Le wali appelle à rattraper les retards    Une saisie record de psychotropes à Bir El Ater : plus de 26.000 comprimés saisis    Eterna Cadencia à Buenos Aires, refuge littéraire d'exception    Irrésistible tentation de la «carotte-hameçon» fixée au bout de la langue perche de la francophonie (VI)    Tébessa célèbre le court métrage lors de la 3e édition des Journées cinématographiques    Les équipes algériennes s'engagent dans la compétition    Le programme présidentiel s'attache à doter le secteur de la justice de tous les moyens lui permettant de relever les défis    Lignes ferroviaires: la création du GPF, un grand acquis pour le secteur    La caravane nationale de la Mémoire fait escale à Khenchela    Implication de tous les ministères et organismes dans la mise en œuvre du programme de développement des énergies renouvelables    Le Général d'Armée Chanegriha reçu par le vice-Premier-ministre, ministre de la Défense et ministre de l'Intérieur du Koweït    Beach Tennis: le Championnat national les 29-30 novembre à Boumerdes    Numérisation du secteur éducatif : les "réalisations concrètes" de l'Algérie soulignées    Clôture du séjour de découverte technologique en Chine pour 20 étudiants    Les incendies de forêts atteignent en 2024 l'un des plus bas niveaux depuis l'indépendance    Ghaza: le bilan de l'agression sioniste s'alourdit à 44.235 martyrs et 104.638 blessés    Attaf reçoit le président de la Commission de la sécurité nationale et de la politique étrangère du Conseil de la Choura islamique iranien    La transition numérique dans le secteur de l'enseignement supérieur au centre d'un colloque le 27 novembre à l'Université d'Alger 3    Hand-CAN- 2024 dames: départ de l'équipe nationale pour Kinshasa    Concert musical en hommage à Warda el Djazaïria à l'Opéra d'Alger    Le Président de la République préside l'ouverture de la nouvelle année judiciaire    Liban: Josep Borrell réaffirme le soutien de l'UE à la FINUL    Sonatrach : lancement d'un concours national de recrutement destinés aux universitaires    Tunisie: ouverture des Journées Théâtrales de Carthage    Le président de la République préside la cérémonie de prestation de serment de la nouvelle Directrice exécutive du Secrétariat continental du MAEP    L'ANP est intransigeante !    L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Entretien avec Ren� Gallissot :
�Henri Curiel �tait � un haut degr� de contradiction�
Publié dans Le Soir d'Algérie le 05 - 04 - 2010

Le Soir d'Alg�rie : Vous dressez un portrait du personnage � travers ses paradoxes : juif �gyptien �tranger, apatride en exil, gaulliste et communiste. Pouvez-vous pr�ciser ces �l�ments de l'identit� d'Henri Curiel ?
Ren� Gallissot : Juif �gyptien �tranger est une cat�gorie propre � la classification de ceux qui sont � la fois consid�r�s comme Egyptiens tout en appartenant � une minorit� anciennement sous protection �trang�re. Le r�gime dit des Capitulations qui pla�aient les minorit�s sous la protection d�un Etat chr�tien d�un temps qui ne connaissait que des Etats religieux, est aboli en Egypte en 1936, et Henri Curiel a opt� pour �tre reconnu �Egyptien� alors que la famille �tait sous protection du Royaume d�Italie et plusieurs de ses membres (dont son fr�re Raoul alors en France) ont choisi d��tre Fran�ais. La cat�gorie est ainsi un condens� d�histoire et marque une discrimination dans la hi�rarchie de d�consid�ration qui situe en dessous des Egyptiens v�ritables. Ces Egyptiens juifs sont enterr�s au �cimeti�re des Etrangers� et Henri Curiel, plusieurs fois arr�t�, sera intern� � �la prison des Etrangers�. Ceci sous-entend qu��tre Egyptien, c�est �tre musulman ; ce qui s�appliquera en aboutissant � l�exode des Juifs d�Egypte et de la plupart des autres minoritaires, sauf les Coptes, chr�tiens d�Egypte, dont le nom veut pr�cis�ment dire �gyptiens � partir du grec �guptai� ; ils n�ont pas d�autre patrie mais demeurent des Egyptiens de seconde zone quand les Egyptiens ne se nomment pas ainsi, mais en arabe : Misri (et l�Egypte Misr). Egypte et �gyptiens sont des appellations �tablies sur les atlas et accept�es internationalement par suite de la domination des puissances coloniales, � commencer par celle de la puissance britannique. Avec le nom de Copte, l�appellation de Gitan renvoie aussi � la d�signation d�Egyptien, sur la rive nord de la M�diterran�e, de ces �Roumi� ou Roms byzantins, magiciens et interm�diaires en tous genres ; les �Egyptiennes� sont porteuses de ce charme magique. Je fais un rappel d�histoire longue. L�histoire courte est l�histoire contemporaine qui, depuis �-peu-pr�s deux si�cles, est faite de nations et de passion nationale, et l�id�ologie nationale remonte le temps en inventant des peuples h�r�ditaires, corps des Etats-nations, et on dit race fran�aise et race �gyptienne. Par r�ponse extr�mement vive � la cr�ation expansionniste d�Isra�l faisant dispara�tre la Palestine en 1948 et sous l�effet des mont�es r�p�t�es au front, des arm�es arabes, le nationalisme dominant en Egypte s�est affirm� arabo-musulman, minorant encore plus les Coptes, et poussant au d�part des Juifs et des minorit�s �europ�ennes�. Henri Curiel gagne Paris en 1951, apatride en exil ayant deux patries de c�ur, l�Egypte et la France. Le groupe Curiel est d�abord celui des camarades juifs d�Egypte de cet exode d�exclusion nationale, �tablis � Rome (de l� le nom de groupe de Rome comme pour cacher que les directives viennent de Paris et d�Henri Curiel), � Turin, Milan, Gen�ve et ponctuellement d�autres villes de pr�sence juive s�pharade. De l�, dans le livre, cette premi�re attention aux Juifs d�Egypte et au d�montage des l�gendes qui fabriquent les identit�s nationales. Ce que fait Shlomo Sand p our le l�gendaire biblique et la g�n�alogie consacr�e des Juifs sionistes ; l�auteur de L�invention du peuple juif, est un ancien �tudiant de Vincennes. Communiste gaulliste et r�ciproquement, n�est qu�un paradoxe que pour ceux qui ne connaissent que le gaullisme m�tropolitain int�gr� � la vision politique int�rieure provinciale fran�aise. Un gaulliste d�Outre-mer, c�est autre chose. Le fond de d�part, c�est le Front populaire antifasciste (� noter que l�Internationale communiste dit Front national ; en 1941 encore) ; par antifascisme, il s�agit de former des fronts nationaux d�mocratiques, et c�est aupr�s de cette Ligue ou Union d�mocratique qu�Henri Curiel devient communiste, restant partisan d�une Internationale communiste qui n�existe plus et id�alisant l�URSS. C�est � partir de ce mouvement qu�il cr�e et anime son propre groupe : mouvement d�mocratique de lib�ration nationale, avec l�objectif d�en faire par fusion d�autres groupuscules, le parti communiste �gyptien dont il serait autant dire le secr�taire g�n�ral, la t�te dans tous les sens du nom. Ce que la r�pression et l�exil rendront impossible ; Henri Curiel, selon la formule de Maxime Rodinson, est rest� le Secr�taire g�n�ral d�un parti communiste incr��. Il a soutenu la fondation du parti communiste soudanais ; le leader syndical Abd-el-Khaled Mahjoub, �tudiant en Egypte, a �t� form� au groupe Curiel. A la demande de Moscou qui souhaitait voir des communistes �gyptiens musulmans arabes, la section coloniale du PCF (avec Elie Mignot) cr�era in vitro un parti d�clar� Parti communiste �gyptien, clandestin et r�prim� apr�s avoir d�nonc� Nasser, nouvel Hitler, puis prolong� par des orthodoxes � tout crin et par des �marxistes nass�riens�. Aussi pour le PCF dont il n�a jamais �t� membre, Henri Curiel est un �communiste �gyptien douteux�. Par contre, communiste gaulliste, Curiel le demeure ; depuis 1941, il participe aux Amiti�s fran�aises, anim�es au Caire par Georges Gorse ; la librairie Curiel est le lieu de rencontre et de propagande de l�alliance antifasciste. Dans le mouvement d�ind�pendance nationale, aucune contradiction ; Henri Curiel restera attach� aux gaullistes de gauche, � l�entourage de De Gaulle, un peu comme un compagnon de la France libre (il ne peut l��tre car il n�a pas combattu, � la diff�rence des Verg�s par exemple), un homme de r�sistance nationale, intouchable. De l�, ses contacts � l�Elys�e, la longue tol�rance de ses activit�s par la DST, et l�illusion d�un lien, autre que de discours national reconverti, entre gaullisme et Tiers-Monde.
Les activistes du r�seau Curiel sont rarement sous les projecteurs. Vous leur consacrez un chapitre. Pouvez-vous les �voquer rapidement ici ?
L�attention port�e aux �porteurs de valises� a surtout �clair�, l�engagement des �jeunes voltigeurs� mis en vedette par le proc�s du r�seau Jeanson, et peu condamn�s au demeurant car ce sont des enfants de bonne famille (voyez la part du Lyc�e Jeanson�de- Sailly, 16e arrdt) ; ce sont des lyc�ens et des �tudiants engag�s, quelques-uns jusqu�� l�insoumission, en 1959 et 1960. L��clairage m�diatique s�est braqu� sur les femmes, ces �tigresses�, certes proches de Francis Jeanson et aussi d�Henri Curiel. J�ai voulu montrer le travail clandestin de fond de ceux qui ont aid� l�ind�pendance alg�rienne sur un cours plus long. Les biographies retenues le sont comme pages d�histoire. Apparaissent les proches du groupe des Juifs communistes exil�s d�Egypte : Didar Fawzy, Joyce Blau, Joseph Hazan qui, lui, sera membre du PCF ayant le contact avec Jacques Duclos, et qui est le soutien financier et �l�employeur� ; il paiera encore de sa personne pour la tenue des rencontres palestinoisra�liennes comme Raymond Stambouli qui pr�te sa maison. Le p�re Robert Davezies est le t�moin de la Mission de France et du devenir des pr�tres ouvriers, insoumis � la papaut�. Les fr�res De Wangen, et plus encore Jehan, le baron, c�est Solvay comme dit la DST qui le m�nage et le tient. Itin�raires de droite traditionaliste catholique passant � gauche et � l�avantgardisme intellectuel et social. Le jeune Jehan De Wangen soutient le th��tre de Babylone de Jean-Marie Serreau o� se rejoignent les acteurs autour de Jacques Charby qui a publi� les t�moignages, et les �lyonnais� du th��tre de Villeurbanne, et les intellectuels de Marseille en dissidence communiste� �JO�, Georges Mattei, copain de jeunesse de G�rard Chaliand, conduit tous les engagements jusqu�� la revue Partisans (Maspero) et � Che Guevara, t�moin de la �g�n�ration alg�rienne� quittant le Parti communiste pour l�extr�me gauche. S�ajoutent ensuite ceux qui sont communistes mais prennent fait et cause pour les r�volutions d�Afrique et d�Asie puis la Tricontinentale : Martin Verlet et Jean Tabet qui assure le lien entre Henri Curiel et Mehdi Ben Barka. Ce concours d�insertions dans le temps des luttes de lib�ration nationale anticoloniales et le champ intellectuel des Temps modernes � Mai 68, et au-del�, participe de l�essai d�une biographie qui se veut historique, si possible, et s��carte donc du journalisme d�hebdomadaires ou de t�l�vision. C�est aussi rappeler que la revue Espritet les personnalistes chr�tiens du Seuil (ou de la minorit� UNEF) n�occupent pas tout l�horizon, d�autant qu�ils ne sentent pas le soufre puisqu�ils entretiennent la distance (religieuse ou de classe ?) se d�fendant de suivre le communisme. L�ann�e 1956 marque aussi le d�but de la fin du communisme ou �marxisme sovi�tique� (formule d�Herbert Marcuse).
Dans la phase alg�rienne de l'itin�raire de Curiel, vous �voquez les visions conflictuelles de l'Alg�rie l'opposant � Francis Jeanson. En quoi y a-t-il d�saccord entre eux ?
En parlant du Seuil o� il travaille, nous arrivons � Francis Jeanson qui n�est pas un personnaliste catho, sinon d��ducation familiale, et a des contacts principalement f�minins, avec les protestants et catholiques de gauche (vers Andr� Philip et Robert Barrat) qui sont, pour quelques-uns, au d�but du r�seau en octobre 1957. Homme � tout faire des Temps modernes, il est le porte-parole de Jean-Paul Sartre (notamment l�ex�cuteur de la descente philosophique d�Albert Camus) ; de Sartre, il privil�gie le th��tre, et de l�existentialisme, retient la libre conduite personnelle en marginalit� sociale, le bon plaisir plut�t que l�acte gratuit. Devenu anticolonialiste, il entend reprendre la r�volution promise par le Front national de la r�sistance ; le Front de lib�ration nationale, c�est donc le FLN. Litt�raire vers� � la prose philosophique, il n�est en rien un politique, pour ne rien dire de ses complaisances mondaines. Je n�ai jamais rien lu d�aussi politiquement inconsistant malgr� les statistiques reproduites, que son livre publi� au d�but de 1963, la R�volution alg�rienne, cette r�volution devenue Femme ouvrant la r�volution mondiale. L�accord politique n�est donc pas possible avec Henri Curiel, mais l�association factuelle. A d�faut de l�action communiste de masse, Henri Curiel m�ne dans le concret et en veillant scrupuleusement au travail clandestin, une pratique d�aide � la guerre alg�rienne d�ind�pendance. Pour lui, c�est une part, sans distinguer comme le PCF : le �tout� (Moscou) et �la partie� (la guerre d�Alg�rie), du combat national des pays domin�s. De l�, l�affrontement (en salle) au minicongr�s de fondation du Mouvement anticolonialiste fran�ais, organisation voulue par Henri Curiel pour tisonner les partis de gauche et le parti communiste. Curiel se pense un strat�ge politique qui s�emploie en m�me temps � la �pratique concr�te� de l�aide aux luttes et mouvements nationaux de lib�ration, mu par sa grande illusion volontaire de communisme international mais ayant une absence d�illusions sur la validit� en soi de chaque mouvement, alg�rien compris par-del� les liens mat�riels reconduits. L�animosit� est rentr�e et donc intense, cependant moins vive et continue que le ressentiment de l��chec des groupes communistes en Egypte, pour Henri Curiel.
Toujours � propos de l'Alg�rie, vous qualifiez la d�marche pieds rouges de �d�marche id�aliste � c�t� de la soci�t� alg�rienne plus qu'aux c�t�s�. Qu'est-ce au fait qu'un pied rouge? Curiel en �tait-il un ?
Le livre de Catherine Simon, apr�s des efforts de pr�caution, superpose finalement sur une dizaine d�ann�es, ceux qui, pour moi, sont �pieds rouges� de l��t� 1962 au printemps de 1964 au plus, et les coop�rants qui soignent et enseignent en fonction de leur engagement de soutien des mouvements de lib�ration. Certains certes, principalement chr�tiens, manifestent des sentiments fusionnels avec la vision de leurs semblables intellectuels alg�riens pris de passion nationale d�veloppementaliste. L�analyse est � faire mais pas par culpabilit� r�troactive � d�noncer ce que �l�Alg�rie est devenue aujourd�hui�, en fait la banale perp�tuation de ceux qui sont rest�s ma�tres de l�Etat redistributeur. Ainsi � l�ind�pendance, j�ai vu principalement en �bullition et en effort de noyautage, deux groupes (de l�ordre chacun des premi�res dizaines au plus) d�activistes professionnels r�volutionnaires, voulant conduire ou impulser la r�volution socialiste en Alg�rie : les �Pablistes� autour de Pablo, venant d�une branche de la IVe Internationale, et les partisans de Boudiaf (PRS) issus principalement du groupe de la Voie communiste en rupture du PCF et quittant l�Alg�rie apr�s M. Boudiaf. Certains ont contribu� � la reprise des services et de la production apr�s l�exode dit des �pieds-noirs�, et aux exp�rimentations socialistes d�autogestion. Il y a un miracle apr�s l�ind�pendance, plus que le chaos des combats de chefs et de wilayas, celui d�avoir fait remarcher l��conomie et r�pondu rapidement aux besoins de base de la soci�t�. Par obnubilation, les conteurs d�histoires ne voient que le combat de chef. Ce qui s�est pass� � Alger est tout � fait autre chose ; l�Universit� d�Alger apr�s l�ind�pendance est devenue un foyer mondialement unique d�effervescence intellectuelle ; �taient pr�sents les jeunes repr�sentants et dirigeants des mouvements de lib�ration d�Afrique (des colonies espagnoles et portugaises), de l�ANC d�Afrique du Sud et de mouvements am�ricains, latino-am�ricains et afro-am�ricains. De l� ce moment de ferveur et d�exercice intellectuel et politique ; les enseignants �taient de jeunes marxistes, le plus souvent critiques ; l�arme �tait l�analyse de discours. Tous mes �tudiants �taient plus �g�s que moi, et les s�minaires et cours prolongeaient les d�bats dans de longues soir�es et nuits fumeuses � d�construire l�europ�ocentrisme et analyser les soci�t�s domin�es frapp�es d�interdit d��mancipation civile et bloqu�es dans le sous-d�veloppement ; le mot-clef �tait celui de mode de production. C�est � cette universit� � la fois vivante et parall�le, critique comme on dira en Mai 1968 et � Vincennes, que Mehdi Ben Barka voulait donner le nom d�Universit� tricontinentale.
Vous abordez le chapitre consacr� � la Palestine par deux interrogations : �Curiel communiste internationaliste? Curiel sioniste ?� Que r�pondez-vous � ces questions ?
Les points d�interrogations sont �videmment intentionnels. Mais par pour me d�filer, ce que font ceux qui parlent du livre en faisant l�impasse sur la question palestinienne. D�abord deux remarques sur les limites d�Henri Curiel. Comme le notait ironiquement Maxime Rodinson, le marxisme de Curiel est celui de l�Ecole du parti ; brochures sovi�tiques et textes reproduits avec Travail salari�, salaire et capital, extrait portatif de Marx par Engels, ce qui n�est d�j� pas si mal, et les partitions p�dagogiques des �principes du communisme� qui ont l�efficacit� de la p�dagogie stalinienne. Le communisme de Curiel est internationaliste en commen�ant au moment de l�antifascisme du Front populaire, mais ignore tout de l�Internationale communiste. Il marche � l��toile comme si cette Internationale existait toujours. Ainsi, il ignore qu�il y a eu un communisme palestinien port� essentiellement par des intellectuels juifs marxistes, en rupture de sionisme et de juda�sme, qui sont pass�s ensuite dans la Ligue anti-fa (antifasciste), et de plus jeunes ont abouti au Mouvement nationaliste arabe. Aussi, je rappelle ce long d�bat politique et intellectuel qui rejette le sionisme, m�me sur place, dispute d�un Etat palestinien d�mocratique, et esquisse une solution binationale � l�int�rieur de l�Etat d�mocratique palestinien unique. Je rappelle aussi les vicissitudes du communisme et du syndicalisme en Egypte du fait des engagements minoritaires suivant le projet de l�Internationale communiste (1930) d�une f�d�ration arabe des partis communistes pr�parant une F�d�ration des Etats arabes. La disparition de la Palestine en 1948, fait qu�� la suite de l�URSS, les communistes et Henri Curiel parmi les premiers, s�attachent � la solution du partage de la Palestine (novembre 1947). On en est encore l� ; au reste, � quelques rectifications de fronti�res pr�s et une formule sur les droits des r�fugi�s, c�est ce qui est port� sur papier � la derni�re rencontre � Taba. Les gouvernements isra�liens jouent contre cette solution, et celui des Etats-Unis ne fait que suivre cette fuite en arri�re � courte vue, sinon suicidaire, pour ne pas mettre en p�ril l��chafaudage du pacte militaire du �Grand Moyen-Orient�. Je dis cela parce qu�Henri Curiel, communiste des temps antifascistes, s�est arr�t� � cette id�e de partage, cherchant donc � mettre en rapport des interlocuteurs des deux bords. Tr�s bien pour la n�cessit� d�un Etat palestinien. La r�union des �pourparlers de Paris� en 1976 avec P. Mend�s-France, tient de l�exploit ; mais les participants sont des pacifistes sans mandat ; certes Issam Sartaoui a l�aval d�Arafat, mais tout personnel, et il sera mis en minorit� � l�OLP ; les Isra�liens sont des pacifistes d�clar�s, � le g�n�ral Peled peut rencontrer son compagnon d�armes, le g�n�ral Rabin �, mais ce sont des opposants, partisans de l�existence de deux Etats, d�un Etat palestinien selon les lignes de 1947 r�vis�es, pour assurer la perp�tuit� de l�Etat juif ; aucun ne cache son id�al sioniste de l��tablissement sacr� de l�Etat juif.
Vous dites que l'Etat juif est impens� et posez la question que Curiel lui-m�me n'a pas pos�e : Qu'est-ce que l'Etat juif ?
Dans la pens�e d�Henri Curiel, comme dans le v�u de l�ONU apr�s la Seconde Guerre mondiale, l�Etat d�Isra�l doit donner un �tablissement au peuple juif selon la charte des Etats-nations : un peuple, un Etat, un territoire, voire une langue. Le peuple juif r�pond de l�Etat d�Isra�l, conform�ment au sionisme ; rappelons que la majorit� des juifs, soit religieux, soit d�assignation � l�identification juive, vivent en dehors d�Isra�l. La part majeure est bien d���tre juif en diaspora�, selon l�intitul� du livre de Richard Marienstras reprenant la formulation du mouvement internationaliste qu��tait le Bund et ensuite la branche mondiale du Mouvement ouvrier juif. Les sionistes ne sont longtemps que la part mineure des migrations des juifs d�Europe. Le fait passe aux oubliettes par ignorance ou volontairement. Il demeure l�id�e du Peuple-Etat juif comme si le sionisme �tait l�unique destin ; c�est l�gitimer l�Etat national par la communaut� qui reste de r�f�rence religieuse m�me en disant culture. Le communautarisme religieux est contradictoire avec la conception d�mocratique et la libert� de pens�e et l��galit� citoyenne des droits. Comme pour la plupart des intellectuels et politiques appartenant � la g�n�ration antifasciste et Henri Curiel � un haut degr�, la contradiction de cette conception d�un Etat juif n�appara�t plus : le peuple juif est de m�me, un impens� ? Certes aujourd�hui le questionnement reprend notamment dans le livre de Shlomo Sand, qui d�construit la fiction nationale g�n�alogique d�un peuple unique ; mais dans son dernier chapitre, il �carte comme utopique, l�id�e binationale, et se trouve en flottement entre r�f�rentiel d�un Etat juif et citoyennet� isra�lienne d�mocratique. Les humains font l�Histoire � reculons, du moins en devant rompre avec l�id�ologie dominante, celle aujourd�hui du nationalisme d�Etat.
Peut-on d�m�ler les fils de l'affaire Curiel aujourd'hui ? Qui l'a tu� ? Qui est � l'origine de l'assassinat ?
Je n�ai pas voulu que le livre soit �cras� par l�Affaire ; je fais donc la mise au point en 5e partie, en situant le crime dans la lourde suite des assassinats politiques sous la pr�sidence de Val�ry Giscard d�Estaing. Les proches de Curiel qui surfont la place de son action tiers-mondiste, cherchent du c�t� des services �trangers : CIA, Mossad, Afrique du Sud. L�organisation d�aide aux luttes nationales : Solidarit� accomplissait un travail modeste ou ponctuel, et des Services ne passent g�n�ralement � l�acte que si les actions sont fortement mena�antes pour le r�gime qu�ils servent, sinon ils laissent faire les Services du pays qui abrite les militants. Certes l�Afrique du Sud de l�apartheid r�primait l�ANC par tous les moyens et ne supportait gu�re les r�v�lations sur l�assistance nucl�aire fran�aise coupl�e du reste avec l�assistance � Isra�l ; les liens entre le Boss et le Mossad sont av�r�s, en particulier pour la surveillance des militants actifs. Le Boss �liminera (� Paris) Dulcie September qui est responsable de l�ANC � Londres ; le Mossad ex�cute des responsables palestiniens (inscrits sur la liste Golda bien qu�ils n�aient rien � voir avec les attentats de Munich ou de Vienne). La CIA pr�pare et r�alise les coups d�Etat, g�n�ralement militaires, en Am�rique latine, et en Afrique en complicit� avec les services de l�Elys�e et les r�seaux Foccard en r�serve ; mais la CIA laisse les Services nationaux op�rer sur leur territoire, ce qu�on appelle les �actions homo�, pour dire liquider un homme. La cible Curiel est vis�e dans la longue guerre postcoloniale reprise sous Giscard ; c�est la guerre d�Alg�rie qui continue, ou plut�t les d�fenseurs de l�Alg�rie fran�aise reprennent du service, en association notamment avec le grand r�seau d�extr�me droite Ordre nouveau (Aginter depuis Lisbonne et Madrid, qui monte les attentats par bombes, et d�l�gue les ex�cutions aux commandos sur place, anciens de l�OAS et branche Action du SDECE). Le nom de Curiel est prononc� � Madrid dans une des r�unions entre Services fran�ais et marocains mettant au point la r�alisation de la Marche verte pour Hassan II. A la t�te du SDECE, Alexandre de Marenches se croit investi de la mission d�abattre le KGB ; il est l�op�rateur pour l�Elys�e, de la guerre des Services entre Services fran�ais et Services alg�riens (via l�Amicale des Alg�riens en Europe). Cette guerre secr�te est doublement triangulaire : aux c�t�s du Palais d�Hassan II, les Etats-Unis par la CIA (� sa t�te, l�ami de De Marenches, W. Colby), qui a une base au Maroc, le SDECE donc, et en sus, l�Espagne franquiste encore coloniale, contre le triangle qui serait command� par l�URSS s�appuyant sur l�Alg�rie et ses Services qui sont aux mains de militaires, et Khadafi prenant le relais de Nasser dans l�alliance du panarabisme et du panislamisme aidant les R�volutions du Tiers- Monde. Ces anti-communistes forcen�s, li�s aux r�seaux traditionalistes catholiques, reproduisent la vieille parano�a des �tats-majors et diplomates fran�ais et du journalisme de service, hant�s par la collusion du bolchevisme et de l�arabisme. Leur mot de reconnaissance est de d�signer chaque fois, la main de l�Arm�e Rouge alors que l�arm�e sovi�tique n�est plus Rouge depuis longtemps (cf. Main Rouge en r�plique, Arm�e rouge japonaise, Arm�e rouge arabe). Les articles du Point de Georges Suffert reprennent ces hallucinations du SDECE derri�re De Marenches. La DST ne suit gu�re car elle fait roue libre apr�s avoir tol�r� les activit�s d�Henri Curiel sous bienveillance de De Gaulle � Pompidou, et ayant son regard � l�int�rieur de l�organisation Solidarit�, aussi se prononce-t-elle contre l�assignation � r�sidence � Digne alors que l�assassinat se trame ; le retour de Curiel � Paris pr�cipite le passage � l�acte par les r�servistes de la Branche Action sous couvert de �commando Delta� ; les ex�cutions, avant Curiel, de Fran�ois Duprat, cofondateur du parti de Le Pen, et par la suite, de Pierre Goldman, puisent dans le groupe dissident d�Occident, dit Groupe Jeunesse solidariste qui en outre a �t� embauch� dans la campagne �lectorale de Giscard d�Estaing et poursuit ses op�rations, notamment au Liban avec les Phalanges et par les attentats contre l�Amicale des Alg�riens apr�s les bombes contre les ambassades d�Alg�rie � Rome, Bonn et Londres. Alexandre de Marenches r�pond au juge qu�il ne se rendra pas � sa convocation puisqu�il n�a rien � voir avec cela, homme du secret, du secret d�Etat pr�sidentiel. La juge Laurence Vichniewsky, aujourd�hui verdissante, qui est habile � r�diger les rapports de non-lieu, conclut en date du 8 juillet 1992, � un incontournable non-lieu (derni�re ligne) ; elle avait pris soin d�s les premi�res phrases d�avertir que �l�hypoth�se d�un crime politique est pos�e�. Fermer le ban, Secretd�fense.
Vous �tes historien sp�cialis� dans le mouvement communiste international et dans la question nationale analys�e d'un point de vue marxiste. Ce sont deux domaines travers�s par la violence r�volutionnaire. En r�f�rence � Curiel et � Fanon o� en est la violence r�volutionnaire aujourd'hui ?
Pour faire bref, Frantz Fanon ne s�est pas tromp� sur le centre de gravit� de la violence qui se situe dans les masses domin�es et mises hors production et travail, ce prol�tariat informel ou ces masses prol�taires ; cette mis�re sociale est aussi mis�re culturelle et mis�re sexuelle. Il se trompe en pensant cette violence, r�volutionnaire ; ce sens s�acquiert. La violence peut �tre d�tourn�e et capt�e, instrumentalis�e par des courants r�actionnaires. Durablement ?


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.