Lo�c Tribot La Spi�re est fondateur et d�l�gu� g�n�ral du CEPS (Centre d��tude et de r�flexion ind�pendant et pluridisciplinaire), le CEPS compte actuellement pr�s de 500 membres repr�sentant vingt-trois nations, toutes tendances politiques confondues. Fond� en 1985, le CEPS a �t� reconnu en 2003 Organisation internationale non gouvernementale (OING), seule du genre � �tre associ�e aux travaux du Conseil de l�Europe. Dans cet entretien qu�il nous a accord�, l�expert international est revenu sur la crise financi�re qui perdure toujours, selon lui, en soutenant mordicus que le monde devrait conna�tre, dans les mois qui viennent, une p�riode de tension avec, � la cl�, de grandes interrogations sur la situation budg�taire d�un certain nombre d��tats. Entretien r�alis� par Fatma Haouari Le Soir d�Alg�rie : La crise financi�re mondiale que nous connaissons, une nouveaut� ? Lo�c Tribot La spi�re : Depuis que le monde existe, l�Histoire ne cesse d��tre jalonn�e de crises qu�elles soient politiques, �conomiques, voire financi�res. Souvenons-nous, en effet, des sp�culations sur les bulbes de tulipe au XVIe si�cle ; sur les �pices au XVIIe sur le papier au XVIIIe et, plus pr�s de nous, ce qu�il fut convenu d�appeler, en son temps, la �bulle financi�re Internet�. Pour m�moire, certaines capitalisations de soci�t�s Internet avaient d�pass�, � l��poque, celles d�entreprises bien install�es comme Saint-Gobain en France, British Aerospace en Grande- Bretagne... Le retour � la raison fut �loquent et quand on recense, aujourd�hui, les plus beaux fleurons de cette p�riode Internet, force est de constater qu�il n�en reste plus grand-chose ! La crise financi�re que nous traversons s�inscrit parfaitement dans cette lign�e de �tentation sp�culative�. L�exercice ayant repos�, cette fois-ci, sur la survalorisation d�actifs, sur le pari insens� que les surendettements en cascade pourraient ne pas avoir de limite imm�diate, le tout port� par des outils et des m�canismes financiers subtils et difficilement compr�hensibles par le commun des mortels : un v�ritable rapt de bon sens qui a pu faire croire que l��conomie r�elle pouvait �tre au service de la finance. La crise actuelle est-elle diff�rente des autres que nous avons pu conna�tre ? Cette crise est cependant profond�ment diff�rente des autres. Elle est en effet globale : elle concerne tous les �tats, m�me les pays en voie de d�veloppement, et touche sans distinction tous les secteurs d�activit�. Elle est aussi profonde par l�ampleur des pertes qu�elle a suscit�es. Pour la premi�re fois, depuis la Seconde Guerre mondiale, nous avons connu une baisse de croissance d�environ 1,5 %. En un an, les carnets de commandes de l�industrie dans le monde ont chut� de 38 %. Jamais, dans l�histoire, ne s��tait produite une chute aussi soudaine d�une telle ampleur, m�me lors de la crise de 1929. Cette crise a par ailleurs contribu� � mettre en relief la carence des outils d�appr�ciation et de certification de la valeur : quid des outils de certification des comptes, des agences de notation ? Que penser de la fiabilit� des autorit�s de r�gulation des march�s financiers nationaux ? La crise est-elle termin�e ? La crise serait, para�t-il, en voie d��tre r�sorb�e ? si on regarde la sant� financi�re de grands �tablissements bancaires internationaux qui affichent des r�sultats superbement positifs pour l�ann�e 2009, laquelle fut cependant, rappelons-le, le temps fort de la crise et du soutien des Etats, on pourrait le croire ! Malgr� et ind�pendamment des d�clarations et des prises de position de nombreux sp�cialistes du monde de la finance et les r�sultats affich�s par certains groupes bancaires, constatons et affirmons que la crise n�est malheureusement pas tout � fait derri�re nous et les signaux de reprise que nous avons pu remarquer ont essentiellement �t� aliment�s par la fin du processus de destockage, la baisse du prix de certaines mati�res premi�res, le soutien des Etats... L� aussi, les derniers chiffres le montrent bien, le taux de ch�mage ne cesse de progresser. La courbe de ch�mage n�a pas diminu�, loin s�en faut. Depuis le d�but de la crise, 15 millions de personnes ont �t� frapp�es par le ch�mage (p�riode fin septembre 2007-2009) dans la zone OCDE. Le ch�mage devrait toucher plus de 51 millions de personnes suppl�mentaires (en un an, le taux de ch�mage a augment� de plus de 40 % dans les pays de la zone OCDE). Le nombre de fermetures d�entreprises (que ce soit pour cause de faillite, de d�localisation, etc.) depuis un an ne cesse de progresser. Par ailleurs, nous devrions conna�tre, dans les mois qui viennent, une p�riode de tension avec, � la cl�, de grandes interrogations sur la situation budg�taire d�un certain nombre d��tats. On peut penser raisonnablement que nous allons traverser une crise de la dette souveraine. Ces derni�res ann�es, bon nombre d��tats, malgr� leurs engagements affich�s, n�ont pas su mener de politique rigoureuse en mati�re budg�taire, voire m�me pour certains d�entre eux, aid�s par des groupes bancaires internationaux, n�ont pas h�sit� � enjoliver, masquer substantiellement leur situation budg�taire. La crise financi�re que nous venons de conna�tre et l�intervention massive de bon nombre d��tats dans leur �conomie et dans leur secteur bancaire n�ont fait qu�accentuer cette fragilit�. La liste serait longue des �tats qui, effectivement, sont ou seront fortement chahut�s (comme la Gr�ce, l�Espagne, le Portugal, l�Irlande, sans parler de la Grande- Bretagne�). Selon le FMI, la dette publique totale des �tats les plus riches du G20 devrait atteindre, en 2010, 106 % du PIB contre 78 % en 2007 ! Ces s�ismes budg�taires devraient avoir des cons�quences sur ces �tats, leurs perspectives de d�veloppement pourraient amener � s�interroger sur le niveau de valeur de leur monnaie. La crise aura-t-elle, � moyen ou long terme, des cons�quences sur l��conomie alg�rienne ? Plus sp�cifiquement, en ce qui concerne l�Alg�rie, je crois qu�il importe de rappeler ce qui n�est qu�une lapalissade, � savoir qu�une �conomie est toujours plus stable lorsqu�elle est diversifi�e. Le contexte de crise que nous continuons de traverser impose, sans nul doute, de tirer des enseignements profonds pour l�avenir et, en ce sens, de d�velopper peut-�tre 4 pistes : continuer de mener et de d�velopper des politiques de lancement de grands chantiers d�infrastructures, voire de modernisation de certaines d�entre elles ; soutenir la cr�ation de PME de haute technologie sur des m�tiers innovants (nanotechnologie, technologie num�rique�). De nouveaux m�tiers vont na�tre, de nouveaux march�s vont se d�velopper. Il faut �galement d�velopper une v�ritable dynamique d�offres touristiques ; et bien s�r, d�velopper et mener une v�ritable et coh�rente politique en mati�re agricole. L�Alg�rie fut un grenier. Sur certains segments, elle importe d�sormais pas mal de produits agricoles. Le march� agricole n�est pas un sous-march� loin de l�. Et, � la cl�, cela impose d�accompagner le d�veloppement et le service agroalimentaires. En un mot, il convient de sortir de la d�pendance �nerg�tique ; former et d�livrer des dipl�mes si louable soit la d�marche, rend plus d�licate l�acceptation, voire la r�signation au ch�mage. La formation (et sa mat�rialisation par le dipl�me) est une ardente obligation � �l�activisme �conomique�. Former n�est pas sans cons�quence ! Et surtout se doter de moyens pour mieux comprendre, anticiper les �volutions des acteurs �conomiques, industriels mais aussi des consommateurs afin de savoir les traduire en projets et actions concrets. L�innovation est la clef par excellence de la prosp�rit�. A cet �gard, je ne citerai qu�un exemple : l�avenir de la fili�re gazi�re compte tenu de ce qu�elle repr�sente dans l��conomie alg�rienne (le gaz repr�sente 60 % de l��nergie alg�rienne en �nergie fossile !) Le monde, qui est en train de se construire, aura un autre rapport � l��nergie. Il trouvera les r�ponses pour consommer diff�remment, voire moins consommer. La place des �nergies fossiles sera sans doute moins p�renne qu�aujourd�hui (nouvelles technologies et lutte contre les �missions de CO2 obligent). Par ailleurs, les co�ts de d�couverte et de d�veloppement du gaz naturel vont en s�accroissant tr�s fortement pouvant, � terme, disqualifier ce type d��nergie au profit des autres. A moyen et long terme, est pos� l�avenir de ce type de fili�re. Il est capital que l�Alg�rie mobilise ses ressources et son expertise pour faire en sorte d��tre en mesure d�envisager, de pr�parer et de construire sa place dans le futur paysage �nerg�tique. Une v�ritable r�volution �copernicienne � pour Sonatrach tant en mati�re d�anticipation que de gouvernance, une imp�rieuse n�cessit� pour cette entreprise de r�pondre avec plus d�engagement et de clairvoyance aux v�ritables aspirations du peuple alg�rien et plus fondamentalement aux perspectives de d�veloppement de l�Alg�rie. Comment peut-on sortir de cette situation ? Plus globalement, sans �tre pessimiste, pr�cisons que les outils, les d�cisions et les r�glementations que les autorit�s politiques essayent p�niblement d��laborer ne devraient que partiellement corriger les d�rives auxquelles on a assist�. Le probl�me n�est certainement pas la r�glementation du montant du bonus des traders mais beaucoup plus dans la r�gulation m�me des activit�s des institutions financi�res. En effet, ces derni�res ann�es, on a assist� � une fr�n�sie des acteurs bancaires et financiers � d�velopper un certain nombre d�actions sur la base de leurs fonds propres. Bref, � sp�culer pour elles-m�mes, parfois en contradiction avec les objectifs de leurs mandants. Les r�ponses � apporter devront concerner la r�gulation de l�activit� financi�re et bancaire ; la r�glementation des agences de notation et la pr�servation de leur ind�pendance ; la mise en place d�autorit�s de r�gulation et de contr�le � dimension internationale, �tant entendu que ces actions n�auront de sens que si elles ont un caract�re contraignant et font l�objet d�un consensus et d�une adoption internationale. Au-del� des diff�rents plans de mesure de relance initi�s par les gouvernements des pays les plus affect�s par la crise, certaines mesures m�ritent d'�tre consid�r�es dans le but de r�tablir la confiance, gage d'un syst�me financier mondial efficient : le renforcement des m�canismes de gouvernance et de contr�le interne des institutions financi�res, l'encadrement et la r�gulation des transactions de titrisation, la r�glementation des fonds sp�culatifs, la r�vision des syst�mes de r�mun�ration des dirigeants d'�tablissements financiers. Il convient, � cet �gard, d��tre lucide et ferme. Constatons, en effet, que, parmi certains �tats et places financi�res, les op�rations de march� redeviennent profitables mais martelons-le, ces profits ne sont pas dus uniquement � quelques �g�nies des march�s financiers�, ils ont �t� favoris�s par les plans de soutien massif des gouvernements, des politiques mon�taires des banques centrales. Il importe que ces profits soient, avant tout, consacr�s � renforcer les fonds propres des banques pour financer l��conomie et que ces profits assurent avant tout de fortes r�mun�rations, destructrices de valeur, mettre un terme aux activit�s de sp�culation sur fonds propres, le renforcement des pouvoirs des autorit�s de r�gulation des march�s financiers, l'encadrement et la supervision des agences de notation, la n�cessit� de renforcer la communication entre les �tats et d'�largir les cadres de concertation aux pays �mergents et en voie de d�veloppement. Que sera l�apr�s-crise ? La crise doit �tre per�ue et v�cue comme une opportunit� nous incitant � r�pondre aux questions de fond qu�elle nous pose. Elle nous oblige � changer notre vision des choses, notre fa�on de penser, d�agir, de construire, de cr�er, de concevoir nos rapports aux autres. Des segments d�activit�s seront significativement et durablement touch�s et devront, en cons�quence, red�finir leur p�rim�tre. De nouvelles offres de services, de nouveaux m�tiers �mergeront pour r�pondre � de nouveaux modes de consommation, de nouveaux comportements, h�rit�s de cette p�riode de r�cession. Il conviendra de repenser le mod�le entrepreneurial (tant dans son mode d�organisation que dans son mode de management et de gouvernance�). Le monde de l�apr�s-crise ne sera fondamentalement pas diff�rent de celui de l�avant-crise, il sera autre. A nous de l��crire !