On leur a promis la fête, ils l'ont vécue «jusqu'à ce que mort s'ensuive». C'est fou qu'il y ait encore des gens assez… fous pour aller au stade. Mais on leur a aussi dit que le football est une folie. Les «fous de foot» est tout de même une formule dérisoire. Une dérision squattée par l'ennui. Plus grave, guettée par le péril sur leur vie. On l'avait dit «mythique», ce stade 5-Juillet. Un «temple» à qui on a fabriqué à l'usure et au mensonge un brin de magie difficile à repérer dans sa monumentale austérité en béton. Et sa mortelle sécheresse et sa criante impuissance à créer le rêve. Il n'y a pas de rêve sans réalité, seuls les brasseurs de typhons ont cette vocation à souffler sur l'illusion de vie dans un espace depuis longtemps livré au vide sidéral. Le stade 5-Juillet n'est ni un temple mythique ni même un grand stade de football. Seulement une immensité de béton usé par les années et l'incurie. Une arène désertée par l'humanité et orpheline d'une vocation. Une arène où on risque plutôt de voir éclater sa vessie que de laisser éclater sa joie. Qu'a-t-il offert de si spectaculaire, quelle magie a-t-il suscitée pour que l'usine à chimères continue à émerveiller autant de corps tellement transpirants que les yeux blasés ne regardent plus là où ils devraient regarder ? Cela fait longtemps que l'herbe a séché sur la boue. Ça fait longtemps qu'on ne joue plus au ballon. Mais on a continué à jouer avec la vie d'enfants en disette de bonheur, au point de frapper des pieds sur le béton pourri pendant que sur le terrain, d'autres enfants de leur âge, gavés de millions, ne savent plus taper dans le cuir. «C'est la fête du foot ce samedi», leur a-t-on dit. Allez, tout le monde, répétez que c'est la fête du foot. Et tout le monde a répété. L'orchestre, le chœur, la galerie et les tireurs de cordes. Il n'y a eu ni fête ni foot. Seulement un trou béant pour avaler deux bambins morts d'avoir été chercher un instant de vie. Alors, Monsieur le Ministre, on ferme ce stade ou pas encore ? On arrête les dégâts en arrêtant le mythe ? On arrête de jouer ? Ce n'est plus de pelouse qu'il s'agit là. L'herbe ne pousse plus. Surtout pas sur les épines plantées dans le cœur des mamans éplorées. La boue et les bosses de chameau, on a fini par s'habituer. De toute façon, personne ne parle plus de spectacle. On ne joue plus depuis longtemps. Sauf au jeu de la mort. Le jeu du foulard étrangleur et des trous camouflés. Alors, on ferme ce nouveau mouroir qui tue quand le sabre et le gourdin sont en congé de récupération ou on attend encore un peu ? Combien de temps encore et à partir de quel seuil de l'horreur ? Le foot est une folie, quand il y a le foot. On ne va pas au stade pour mourir, Monsieur le Ministre. Vous aviez peut-être raison ou moins tort de ne pas le fermer pour la pelouse, il n'y a rien à y voir qui vaille la peine d'être vu. Mais samedi, deux gamins ont laissé leur vie plus haut que l'herbe, plus haut que la tribune officielle. Là où on croit s'amuser sans pouvoir soulager sa vessie de son urine et sa poitrine des aigreurs accumulées. Samedi soir, il n'y avait ni fête ni foot ni folie. Seulement la folie furieuse de la mort, et ce matin, la gueule de bois d'avoir encore cru. Au temple mythique, au béton et à d'autres sornettes meurtrières.