Si les Algériens sont nombreux à vouloir honorer le rite religieux du sacrifice du mouton de l'Aïd El-Adha, ils le sont tout autant à se plaindre de la cherté des bovins. A Djelfa, éleveurs et revendeurs ont leurs arguments pour justifier le diktat des prix. Il est à peine 7 h et le marché ovin de Ain-Erroumia (30 km du chef-lieu de Djelfa) grouille d'une activité marchande qui ne tarde pas à atteindre son pic avec l'arrivée des derniers essaims de troupeaux et la conclusion des ultimes transactions entre éleveurs et maquignons ou simples acheteurs. Ce Souk hebdomadaire offre l'image d'une bourse particulière en pleine effervescence et l'activité y débute en fait dès l'aurore, voire la veille au soir. Avec près de 3 millions de cheptel ovin et près de 5.000 éleveurs, Djelfa est, en effet, réputée pour être une des principales wilayas pourvoyeuses en viande ovine de qualité et connaît une affluence inhabituelle durant les jours précédant l'Aïd. "Je vous donne 30.000 DA pour cet agneau !", lance une voix à laquelle le propriétaire d'un troupeau de plus d'une dizaine de bêtes, rétorque par la négative, tout en exigeant le prix de 35.000 DA. Le client, un revendeur, se montre coriace et ne quitte pas les lieux : il attendra le temps qu'il faudra pour que le propriétaire des bêtes fléchisse. D'autres voix fusent par intermèdes, créant un brouhaha accentué par le bêlement de centaines de moutons soumis aux enchères et à l'appréciation des acheteurs et autres revendeurs. Lorsqu'un potentiel acheteur se voit indiquer le prix de 40.000 DA pour un mouton, il ne peut s'empêcher de lancer à l'éleveur :" Et à quel prix vais-je le revendre alors ?". Et au maquignon d'égrener les charges que son cheptel lui impose pour justifier le montant annoncé. Le chapelet des charges sera alors déroulé par tous les éleveurs qui ont investi le marché. La quantité "dérisoire" achetée auprès de l'Etat et la cherté de l'orge figurent en tête des doléances. Un producteur arrivé de Laghouat, propose des agneaux à 35.000 DA et affiche une certaine fierté à exhiber le meilleur "spécimen" de son troupeau, un bélier de six ans (seddassi) qui a fait l'objet d'une offre maximale de 70.000 DA. "Même à ce prix, je ne suis pas gagnant. Il faut compter 100.000 DA pour que les dépenses assumées pour son élevage soient amorties ", tranche-t-il, suggérant, ainsi, qu'il est le propriétaire de la bête, ce qui n'est pas toujours évident. Difficile, en effet, de distinguer l'éleveur du revendeur et, encore moins, de savoir s'il s'agit de la 1ère ou de la 2ème main. Le revendeur préfère souvent éluder la question. Il est encore moins évident de s'entendre "avouer" le montant du profit engrangé sur chaque tête vendue, aussi bien par le producteur que le revendeur. "C'est un circuit très complexe, les éleveurs se plaignent de ne pas gagner assez, et les revendeurs qui saisissent l'occasion de l'Aïd pour se faire de l'argent encore plus. Que dire alors du citoyen qui est, en réalité, le maillon faible de la chaîne ?", s'indigne Ahmed, habitant de Djelfa qui n'hésite pas à parler d'une "maffia" du mouton. Il en veut pour argument, l'enrichissement de plusieurs familles de la région grâce à l'activité de l'élevage, dont certaines réputées pour être les plus nanties de la ville. Munis de téléphones portables, quelques éleveurs reçoivent des appels pour se renseigner du "cours" pratiqué dans ce "souk". Il s'agit des plus "rodés" du milieu qui ont une clientèle fidèle, acquise au fil des années, et qui permettent aux éleveurs de tisser leur propre réseau dans lequel interviennent parfois des intermédiaires, explique-t-on. La lutte contre la contrebande dérange Les maquignons et autres éleveurs de Djelfa sont unanimes, en outre, à regretter le renforcement par l'Etat du contrôle aux frontières pour lutter contre toutes les formes de contrebande. D'aucuns vont même jusqu'à souhaiter que l'Etat lâche du lest s'agissant du trafic ovin, considérant cette situation "responsable" du déséquilibre entre l'offre et la demande et, par conséquent, des prix moins rentables comparativement à l'année passée. L'un d'eux se veut plus sage et tempère : "Nous comprenons cette décision mais nous espérons que l'Etat n'oublie pas de prendre en charge nos revendications. A ce rythme, l'Algérie perdra tous ses éleveurs !", lâche-t-il avant de s'attarder sur le manque de pâturages, accentué cette année par une pluviométrie moins avantageuse que celle de l'année passée. "L'Etat a décidé de développer les exploitations agricoles au détriment des pâturages, nous sommes alors contraints de louer des espaces auprès de leurs propriétaires lorsqu'ils sont disponibles", explique Mohamed, un septuagénaire éleveur. Et à un autre de raconter le "calvaire" enduré pour protéger le cheptel des agressions aussi bien par le fait de l'homme que d'animaux comme le sanglier, le chacal, etc... Il est 10 h, certains éleveurs quittent le site avec leur élevage. L'un d'eux a conclu une "bonne affaire" pour le maquignon qui a acquis 29 têtes au prix de 35.000 DA chacune. Il ne dira pas évidemment à quelle somme il les revendra à Alger. Il en est de même pour deux cousins vendeurs de fruits et légumes à El-Harrach qui espèrent "au moins rembourser" leurs dépenses en reconvertissant leur activité en l'espace de quelques jours et ce, à l'abri de tout contrôle de l'Etat. C'est ainsi que des espaces sont squattés dans la capitale par des revendeurs "occasionnels" de moutons qui justifient leurs prix par les "multiples risques" encourus durant le transport notamment et les dépenses consenties pour nourrir les bêtes. Aussi, une bonne partie d'Algériens préfère-t-elle patienter jusqu'à la veille de l'Aïd pour perpétuer la "Sunna", le plus souvent "pour faire du même coup plaisir aux enfants".